samedi 25 juin 2011

vendredi 24 juin 2011

Ça plane pour moi…

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L'équilibriste Henry's à Lyon / d'autre images sur son site et voir video ci-dessous


Plus ils rampent et s'étalent, plus il faut prendre de la hauteur, élever le niveau, lâcher du lest, semer tous les poursuivants, leur donner le vertige,  tenir tête au vide, soutenir  sans sourciller la vision panoramique, montrer qu'on peut allègrement se poser au-dessus de tout ça, sur un doigt ou sur le crâne,  défier les lois terribles d'Isaac Newton, savoir se faire le plus léger possible, faire preuve, avec une déconcertante facilité, d'un sens du maintien infaillible dont seuls sont doués les champions de sur-place, ces amoureux de la stabilité qui savent l'instabilité générale, ces acrobates de l'impondérable qui savent la lourdeur des hommes, ces gagmen catastrophiques de l'existence qui savent ce que se ramasser veut dire et s'en prendre plein la gueule, mais savent fuir dans les hauteurs avec l'agilité et la joie des singes : rien qui réclame plus le sens de l'équilibre que se tenir immobile,  seul, à la pointe du rien. Et de là-haut, tête à l'envers, en souriant, mégot au bec, faire un furtif pied de nez à la mort et à la bétise.  
L. W.-O.



jeudi 23 juin 2011

La Fin du monde





L'Origine du monde est le plus laid tableau de ce monde, la pire croûte uro-génitale, la Joconde d'en bas, avec moustaches authentiques, et Gustave Courbet un tartineur que je n'aime décidément pas. En apprenant l'autre jour que le modèle en était certainement, d'après des médecins-anatomistes, une femme enceinte, qui plus est la bobonne de l'artiste révolutionno-franc-comtois, sinon sa bonniche, mon dégoût de cette icône velue et rance a décuplé.
Quel Courbet contemporain se chargera de son remake pompier ? Je ne parle pas d'un pendant "viril", cela je m'aperçois que c'est déjà fait et cette simple imitation ringarde, aussi hideuse que l'original, ne saurait suffire. (Voir ci-dessus)
Foin d'une origine du monde, l'heure est à la seule perspective de La Fin du monde.
La Fin du monde ? Ah mais le sujet nous en est seriné plein pot sur toutes les ondes, tous les canards, toutes les chaines et les touitteurs en font exploser leur forfait ! 
Imaginons la scène… Ratatinade la plus comique depuis le Titanic… Cela vient de se passer à New-York,  et cette séance historique a très certainement  été filmée : le Sauveur planétaire DSK est allongé nu, jambes écartées, sur un billard de l'Institut Médico-Légal, en train de se faire examiner et mesurer les organes et de subir un toucher rectal tandis qu'un détecteur de mensonge décrypte ses états d'âme, le tout bien-sûr se déroulant sur fond rose de présomption d'innocence.
Voilà qui réclamerait, plutôt qu'une toile à l'ancienne, un traitement digne de la technologie de l'époque. De fait, je serais d'avis que l'on confie à Gunther Von Hagens, le sublime Ruych du 21ème siècle, le soin d'immortaliser cette scène en 3D : qu'il "plastine" ce Sauveur planétaire en cette fâcheuse et instructive posture de ratatinade absolue.
Entre la prison à vie ou la plastination immédiate pour l'éternité, DSK lui-même préférerait la deuxième solution, car en bonus il aurait ainsi l'occasion de satisfaire quand même son désir contrarié de finir personnage immortel à l'époque de la fin du monde. Il ne pourrait rêver plus fidèle "sculpture de soi".
Et Michel Onfray, comme Lacan en son temps pour le Courbet, pourrait se payer cette Fin du monde avec ses faramineux droits d'auteur et la dissimulerait derrière un rideau dans son bureau, pour ne la montrer qu'à ses fans les plus dévôts. D'autant que l'on me dit (mais faut-il y croire ? ce serait trop beau ! ) que DSK serait un lecteur chevronné, adepte convaincu et pratiquant fanatique, du gourou normand de la Bite Libérée.
L. W.-O.

J'avais mis ce billet en ligne le 15 mai dernier, mais l'avais finalement retiré quelques instants plus tard, car les deux illustrations, incontournables, m'étaient insupportables d'atrocité. 
Or, en furetant sur le blog de Frédéric Schiffter, je m'aperçois ce matin qu'il vient d'utiliser la même image et lui a trouvé le même titre que mon propre billet. 
Ceci n'est que pure coïncidence, qui m'amuse. Car mon billet d'il y a un mois n'est resté en ligne que très peu de temps avant que je le sucre et, pour curieux qu'il soit  peut-être de ce qui peut se passer  sur ce blog, Frédéric Schiffter n'a pas pu, sauf gros coup de bol, tomber sur ce billet. C'est donc sans nullement songer à mézigue qu'il a trouvé et emprunté sur la toile cette image et imaginé ce titre.
Du reste, le billet du philosophe balnéaire (épisode salé de son feuilleton anti-cons) n'a rien d'autre en commun avec mon propre billet, comme on pourra le constater. 
Ce qui m'intéresse, en redonnant ici mon machin du 15 mai dernier, est justement de constater que les mêmes éléments, un titre et une image, peuvent, sur la Toile, donner lieu à deux traitements qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre et qui cependant, en toute ignorance l'un de l'autre, finissent par se rejoindre. Car les mêmes féministes dont F. Schiffter étrille le riquiqui sont aussi celles qui châtreraient au couteau de cuisine le pauvre DSK s'il tombait entre leurs mains, ce qui pourrait bien arriver si il parvient tout de même à sortir innocenté de son procès.  À tout prendre peut-être là encore préférerait-il la plastination plutôt que de tomber dans une telle embuscade. L. W.-O.


mardi 21 juin 2011

Rien à dire

" L'homme ne communique avec son semblable que quand l'un écrit dans sa solitude, et que l'autre le lit dans la sienne. Les conversations sont divertissement, escroquerie, ou escrime. "
 
Nicolás Gómez Dávila

mercredi 15 juin 2011

Lettre de refus / 1









Ayant eu vent de la reprise de publication "papier" de mon canard, nombreux sont les poètes et auteurs qui m'ont envoyé de leur propre initiative, par mail, des textes.  Je n'ai rien contre ces sollicitations, qui ne m'étonnent pas, d'autant plus que je donne en ligne mon adresse mail. Toutefois je n'ai jamais lancé d'appel à contribution : j'entends publier fort peu de contemporains et c'est moi qui les choisis et leur passe commande. Du reste le choix de mon casting est fait depuis longtemps déjà. Qu'on ne croit pas pour autant que j'affiche du mépris pour les auteurs qui m'envoient des textes. Parmi eux il s'en est même trouvé un ou deux dont je me félicite de l'initiative et dont j'ai été ravi au point de leur dire oui. Il est plus aisé d'accueillir que d'éconduire. Mais un revuiste comme tout éditeur doit surtout savoir dire non. Et son refus ne préjuge en rien de la qualité des pages qu'on lui propose. Il en va seulement de son goût et de ses lubies, forcément arbitraires et injustes. Tout refus standardisé, par exemple sous forme de lettre type, est une immonde muflerie. Il faut savoir franchement dire non, sans non plus s'abaisser à s'expliquer ou s'en excuser, mais un courrier personnel et singulier me semble la moindre des choses.  
En témoigne cet échange de mails récents, que je publie ci-dessous. Car je n'ai rien à cacher en la matière. Je mettrai bientôt en ligne d'autres lettres de refus. Je commence ici par la plus soft. Bien-sûr je ne donnerai pas les noms de ces correspondants, qui sont souvent des lecteurs réguliers de ce blog et se reconnaîtront. Je ne mets pas en ligne ces mails pour me moquer d'eux : tout au contraire pour qu'on me surprenne moi en flagrant délit de jouer au revuiste sérieux et sûr de son goût, en pauvre type qui juge du travail des autres et ne lésine pas sur la vacherie sans vergogne. La sportivité de certains correspondants a provoqué chez moi une réelle estime à leur égard. 
J'ajoute que, pour ma part, je n'ai jamais eu à essuyer de refus de qui que ce soit : de toute ma vie je n'ai jamais tiré aucune sonnette, jamais envoyé le moindre manuscrit à un éditeur ou à une revue.  (C'est tout au contraire moi qui envoie sur les roses les éditeurs qui me sollicitent. Mais c'est une autre histoire.) 
L'humiliation qu'on me dise non, je ne l'ai jamais connue. 
Ce qui augmente l'estime que j'ai pour ceux de mes solliciteurs que j'éconduis sans ménagement. 
À leur place, sans doute irais-je assassiner le fumier qui me recâlerait.
L. Watt-Owen

Mail reçu le 19 avril 2011 :

Bonjour,
quand doit reprendre la revue?
Comment proposer des poèmes? Directement via mail?
Cordialement
X




Réponse du 20 avril 2011 :

Cher Monsieur,

La brièveté de votre message vous fait honneur : au moins vous ne me lèchez pas le postérieur ou les godasses, vous !
Mais elle dit clairement qu'il vous semble naturel de publier dans une revue dont vous n'avez jamais pu lire un numéro puisque sa parution n'a pas encore repris et peut-être ne reprendra jamais.
Elle trahit aussi un irrépressible besoin de publier qui, lui, met un hénaurme et sonore bémol  à l'éventuelle qualité de vos productions poétiques.
Productions poétiques dont je ne saurais juger et vous dire quoi que ce soit puisque votre pièce jointe est dans un format que mon ordinateur ne peut ouvrir, et tant mieux car rien ne me garantit qu'une saloperie de virus ne s'en serve de cheval de Troie.
Je ne crois pas avoir fait appel à des textes sur mon site.
Et votre initiative de m'en envoyer de votre propre chef se fracasse ainsi toute seule sur le blindage inviolable de mon inintérêt radical.
Vous avez tort en sus de vous présenter avec la candeur du poète pour toute carte de visite.
Il se trouve, vous êtes bien mal tombé !, que j'éxècre les poètes et la poésie.
Il y en a quelque chose comme trente millions dans ce charmant pays, des poètes.
Et tous trouvent moyen d'être publiés, ne serait-ce que par leurs soins.
Vous vous êtes trompé d'adresse, sans doute par étourderie ou empressement, à moins que mon adresse mail ne fasse partie d'une vaste mailing liste de revues auxquelles vous proposez les mêmes pages avec la force de frappe des spams.
Ne vous en prenez qu'à vous et tant pis si vous m'en voulez.
Maudissez-moi tant que vous voudrez, peut-être alors reconnaitrez-vous que j'ai au moins cela de bon : servir de revigorant vecteur d'indignation.
Vous voilà donc, à défaut d'être lu et publié par moi, remonté et dopé à peu de frais.
Malgré tout si votre intéret pour ma revue n'était pas feint, vous pourrez toujours le satisfaire et le concrétiser en en achetant en ligne les numéros dès qu'ils paraîtront, si jamais ils paraîssent un beau jour.
Je vous les garantis d'avance sublimes.
Appréciez tout de même que je me sois fendu rien que pour vous d'un si éloquent message de réponse.
Tout le monde n'aura pas ma délicatesse.
Je suis une belle saloperie mais pas un mufle.

Cordialement,
--
L. Watt-Owen




mardi 14 juin 2011

" Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. "







Witold Gombrowicz

CONTRE LA POÉSIE


"Presque personne n'aime les vers, et le monde des vers est fictif et faux." Tel est le thème de cet article. Il paraîtra sans doute désespérément infantile, mais j'avoue que les vers me déplaisent et même qu'ils m'ennuient un peu. Non que je sois ignorant des choses de l'art et que la sensibilité poétique me fasse défaut. Lorsque la poésie apparaît mêlée à d'autres éléments, plus crus et plus prosaïques, comme les drames de Shakespeare, les livres de Dostoïevski, de Pascal ou tout simplement dans le crépuscule quotidien, je frissonne comme n'importe quel mortel. Ce que ma nature supporte difficilement, c'est l'extrait pharmaceutique et épuré qu'on appelle "poésie pure" surtout lorsqu'elle est en vers. Leur chant monotone me fatigue, le rythme et la rime m'endorment, une certaine "pauvreté dans la noblesse" m'étonne (roses, amour, nuits, lys) et je soupçonne parfois tout ce mode d'expression et tout le groupe musical social qui l'utilise d'avoir quelque part un défaut. Moi-même, au début, je pensais que cette antipathie était due à une déficience particulière de ma "sensibilité poétique", mais je prends de moins en moins au sérieux les formules qui abusent de notre crédulité. Il n'est rien de plus instructif que l'expérience, et c'est pourquoi j'en ai trouvé quelques-unes fort curieuses : par exemple, lire un poème quelconque en modifiant intentionnellement l'ordre de lecture, de sorte qu'elle en devenait absurde, sans qu'aucun de mes auditeurs (fins, cultivés et fervents admirateurs du poète en question) ne s'en aperçoive ; ou analyser en détail un poème plus long et constater avec étonnement que "ses admirateurs" ne l'avaient pas lu en entier. Comment est-ce possible ? Tant admirer quelqu'un et ne pas le lire. Tant aimer la "précision mathématique des mots" et ne pas percevoir une altération fondamentale dans l'ordre de l'expression. C'est que le cumul des jouissances fictives, d'admirations et de délectations repose sur un accord de mutuelle discrétion. Lorsque quelqu'un déclare que la poésie de Valéry l'enchante, mieux vaut ne pas trop le presser d'indiscrètes questions, car on dévoilerait une vérité tellement sarcastique (sic) et tellement différente de celle que nous avions imaginée que nous en serions gênés. Celui qui abandonne un moment les conventions du jeu artistique bute aussitôt contre un énorme tas de fictions et de falsifications, tel un esprit scolastique qui se serait échappé des principes aristotéliciens. Je me suis donc retrouvé face au problème suivant : des milliers d'hommes écrivent des vers ; des milliers d'autres leur manifestent une grande admiration ; de grands génies s'expriment en vers ; depuis des temps immémoriaux, le poète et ses vers sont vénérés ; et face à cette montagne de gloire, j'ai la conviction que la messe poétique a lieu dans le vide le plus complet. Courage, messieurs ! Au lieu de fuir ce fait impressionnant, essayons plutôt d'en chercher les causes, comme si ce n'était qu'une affaire banale. Pourquoi est-ce que je n'aime pas la poésie pure ? Pour les mêmes raisons que je n'aime pas le sucre "pur". Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. Et en poésie, l'excès fatigue : excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d'épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lorsqu'un homme s'exprime avec naturel, c'est-à-dire en prose, son langage embrasse une gamme infinie d'éléments qui reflètent sa nature tout entière ; mais il y a des poètes qui cherchent à éliminer graduellement du langage humain tout élément a-poétique, qui veulent chanter au lieu de parler, qui se convertissent en bardes et en jongleurs, sacrifiant exclusivement au chant. Lorsqu'un tel travail d'épuration et d'élimination se maintient durant des siècles, la synthèse à laquelle il aboutit est si parfaite qu'il ne reste plus que quelques notes et que la monotonie envahit forcément le domaine du meilleur poète. Son style se déshumanise, sa référence n'est plus la sensibilité de l'homme du commun, mais celle d'un autre poète, une sensibilité "professionnelle" - et, entre professionnels, il se crée un langage tout aussi inaccessible que certains dialectes techniques ; et les uns grimpent sur les dos des autres, ils construisent une pyramide dont le sommet se perd dans les cieux, tandis que nous restons à ses pieds quelque peu déconcertés. Mais le plus intéressant est qu'ils se rendent tous esclaves de leur instrument, car ce genre est si rigide, si précis, si sacré, si reconnu, qu'il cesse d'être un mode d'expression ; on pourrait alors définir le poète professionnel comme un être qui ne s'exprime pas parce qu'il exprime des vers. On a beau dire que l'art est une sorte de clef, que l'art de la poésie consiste à obtenir une infinité de nuances à partir d'un petit nombre d'éléments, de tels arguments ne cachent pas un phénomène essentiel : comme n'importe quelle machine, la machine à faire des vers, au lieu de servir son maître, devient une fin en soi. Réagir contre cet état de choses apparaît plus justifié encore que dans d'autres domaines, parce que nous nous trouvons sur le terrain de l'humanisme "par excellence". Il y a deux formes fondamentales d'humanisme diamétralement opposées : l'une que nous pourrions appeler "religieuse" et qui met l'homme à genoux devant l'oeuvre culturelle de l'humanité, et l'autre, laïque, qui tente de récupérer la souveraineté de l'homme face à ses dieux et à ses muses. On ne peut que s'insurger contre l'abus de l'une ou de l'autre. Une telle réaction serait aujourd'hui pleinement justifiée, car il faut de temps à autre stopper la production culturelle pour voir si ce que nous produisons a encore un lien quelconque avec nous. Ceux qui ont eu l'occasion de lire certains de mes textes sur l'art seront peut-être surpris par mes propos, puisque j'apparais comme un auteur moderne, difficile, complexe et peut-être même parfois ennuyeux. Mais - et que ceci soit clair - je ne dis pas qu'il faut laisser de côté la perfection déjà atteinte, mais que cet aristocratique hermétisme de l'art doit être, d'une façon ou d'une autre, condensé. Plus l'artiste est raffiné, plus il doit tenir compte des hommes qui le sont moins ; plus il est idéaliste, plus il doit être réaliste. Cet équilibre qui repose sur des condensations et des antinomies est à la base de tout bon style, mais nous ne le trouvons ni dans les poèmes ni dans la prose moderne influencée par l'esprit poétique. Des livres comme la Mort de Virgile , de Herman Broch, ou même le célèbre Ulysse , de Joyce, sont impossible à lire parce que trop "artistiques". Tout y est parfait, profond, grandiose, élevé, mais ne retient pas notre intérêt parce que leurs auteurs ne les ont pas écrits pour nous, mais pour leur dieu de l'art. Non contente de former un style hermétique et unilatéral, la poésie pure est un monde hermétique. Ses faiblesses apparaissent d'autant plus crûment que l'on se prend à contempler le monde social des poètes. Les poètes écrivent pour les poètes. Les poètes se couvrent mutuellement d'éloges et se rendent mutuellement hommage. Les poètes saluent leur propre travail et tout ce monde ressemble beaucoup à tous les mondes spécialisés et hermétiques qui divisent la société contemporaine. Pour les joueurs d'échecs, leur jeu est un des sommets de la création humaine, ils ont leurs supérieurs et parlent de Casablanca comme les poètes parlent de Mallarmé et se rendent mutuellement tous les hommages. Mais les échecs sont un jeu et la poésie quelque chose de plus sérieux, et ce qui nous est sympathique chez les joueurs d'échecs est, chez les poètes, signe d'une mesquinerie impardonnable. La première conséquence de l'isolement social des poètes est que dans leur royaume tout est démesuré et que des créateurs médiocres atteignent des dimensions apocalyptiques ou encore que des problèmes mineurs prennent une transcendance qui fait peur. Depuis quelque temps déjà, une polémique sur la question des assonnances divise les poètes et on aurait pu croire que le sort du monde dépendrait de savoir si on pouvait faire rimer "belle" et "lettre". Voilà ce qui arrive lorsque l'esprit de syndicat l'emporte sur l'esprit universel. La seconde conséquence est plus désagréable à dire. Le poète ne sait pas se défendre de ses ennemis. En effet, voilà que l'on retrouve sur le terrain personnel et social la même étroitesse de style que nous avons mentionnée plus haut. Le style n'est qu'une autre attitude spirituelle, devant le monde, mais il y a plusieurs mondes, et celui d'un cordonnier ou d'un militaire a bien peu de points communs avec celui d'un poète. Comme les poètes vivent entre eux et qu'entre eux ils façonnent leur style, évitant tout contact avec des milieux différents, ils sont douloureusement sans défense face à ceux qui ne partagent pas leurs crédos. Quand ils se sentent attaqués, la seule chose qu'ils savent faire est affirmer que la poésie est un don des dieux, s'indigner contre le profane ou se lamenter devant la barbarie de notre temps, ce qui, il est vrai, est assez gratuit. Le poète ne s'adresse qu'à celui qui est pénétré de poésie, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au poète, comme un curé qui infligerait un sermon à un autre curé. Et pourtant, pour notre formation, l'ennemi est bien plus important que l'ami. Ce n'est que face à l'ennemi et à lui seul que nous pouvons vérifier pleinement notre raison d'être et il n'est que lui pour nous montrer nos points faibles et nous marquer du sceau de l'universalité. Pourquoi, alors, les poètes fuient-ils le choc libérateur ? Parce qu'ils n'ont ni les moyens, ni l'attitude, ni le style pour le défier. Et pourquoi n'en ont-ils pas les moyens ? Parce qu'ils se dérobent. Mais la difficulté personnelle et sociale la plus sérieuse que doit affronter le poète provient de ce que, se considérant comme le prêtre de la poésie, il s'adresse à ses auditeurs du haut de son autel. Or ceux qui l'écoutent ne reconnaissent pas toujours son droit à la supériorité et refusent de l'entendre d'en bas. Plus nombreuses sont les personnes qui mettent en doute la valeur des poèmes et manquent de respect au culte, plus l'attitude du poète est délicate et proche du ridicule. Mais, par ailleurs, le nombre des poètes grandit et, à tous les excès déjà cités, il faut ajouter celui du poète lui-même et celui des vers. Ces données ultra-démocratiques minent l'aristocratique et orgueilleuse conduite du monde des poètes et il n'y a rien de plus engageant que de les voir tous réunis en congrès se prendre pour une foule d'êtres exceptionnels. Un artiste qui se préoccupe réellement de la forme s'efforcerait de sortir de ce cul-de-sac, car ces problèmes apparemment personnels sont étroitement liés à l'art, et la voix du poète ne peut convaincre lorsque de tels contrastes le ridiculisent. Un artiste créateur et vital n'hésiterait pas à changer radicalement d'attitude. Et, par exemple, à s'adresser d'en bas à son public, tout comme celui qui demande la faveur d'être reconnu et accepté ou celui qui chante, mais sait qu'il ennuie les autres. Il pourrait proclamer tout haut ces antinomies et écrire des vers sans en être satisfait, en souhaitant que l'affrontement rénovateur avec les autres hommes le change et le renouvelle.Mais on ne peut tant exiger de ceux qui consacrent toute leur énergie à "épurer" leurs "rimes". Les poètes continuent à s'accrocher fébrilement à une autorité qu'ils n'ont pas et à s'enivrer de l'illusion du pouvoir. Chimères ! Sur dix poèmes, un au moins chantera le pouvoir du verbe et la haute mission du poète, ce qui prouve que le "verbe" et la "mission" sont en danger... Et les études ou les écrits sur la poésie provoquent en nous une impression bizarre, parce que leur intelligence, leur subtilité, leur finesse, contrastent avec leur ton à la fois naïf et prétencieux. Les poètes n'ont pas encore compris que l'on ne peut parler de la poésie sur un ton poétique et c'est pourquoi leurs revues sont remplies de poétisations sur la poésie et que leurs tours de passe-passe verbaux et stériles nous horrifient. C'est à ces péchés mortels contre le style que les conduisent leur crainte de la réalité et le besoin d'affirmer à tout prix leur prestige. Il y a un aveuglement volontaire dans ce symbolisme volontaire où tombent, dès qu'il s'agit de leur art, des hommes par ailleurs fort intelligents. Bien des poètes prétendent échapper aux difficultés que nous venons d'exposer, en déclarant qu'ils n'écrivent que pour eux-mêmes, pour leur propre jouissance esthétique, quoique, dans le même temps, ils fassent l'impossible pour publier leurs oeuvres. D'autres cherchent le salut dans le marxisme et affirment que le peuple est capable d'assimiler leurs poèmes raffinés et difficiles, produits de siècles de culture. Aujourd'hui, la plupart des poètes croient fermement à la répercussion sociale de leurs vers et nous disent étonnés : "Comment pouvez-vous en douter ?..." Voyez les foules qui accourent à chaque récital de poésie ! A combien d'éditions les recueils de poèmes ont-ils droit ? Que n'a t-on pas écrit sur la poésie et sur l'admiration dont sont l'objet ceux qui conduisent les peuples sur les chemins de la beauté ? Il ne leur vient pas à l'esprit qu'il est presque impossible de retenir un vers à un récital de poésie (parce qu'il ne suffit pas d'écouter une fois un vers moderne pour le comprendre), que des milliers de livres sont achetés pour n'être jamais lus, que ceux qui écrivent sur la poésie dans des revues sont des poètes et que les peuples admirent leurs poètes parce qu'ils ont besoin de mythes. Si, dans les écoles, les cours de langue nationale tristes et conformistes n'enseignaient pas aux élèves le culte du poète et si ce culte ne survivait pas à cause de l'inertie des adultes, personne, hormis quelques amateurs, ne s'intéresserait à eux. Ils ne veulent pas voir que la prétendue admiration pour leurs vers n'est que le résultat de facteurs tels que la tradition, l'imitation, la religion ou le sport (parce qu'on assiste à un récital de poésie comme on assiste à la messe, sans rien y comprendre, faisant acte de présence, et parce que la course à la gloire des poètes nous intéresse tout autant que les courses de chevaux). Non, le procésus compliqué de la réaction des foules se réduit pour eux à : le vers enchante parce qu'il est beau. Que les poètes me pardonnent. Je ne les attaque pas pour les agacer, et c'est avec joie que je rends hommage aux valeurs personnelles de beaucoup d'entre eux ; cependant, la coupe de leurs péchés est pleine. Il faut ouvrir les fenêtres de cette maison murée et faire prendre l'air à ses habitants. Il faut secouer la gaine rigide, lourde et majestueuse qui les enveloppe. Peu importe que vous acceptiez un jugement qui vous ôte votre raison d'être... Mes paroles vont à la nouvelle génération. Le monde serait dans une situation désespérée s'il ne venait pas dans un nouveau contingent d'êtres humains neufs et sans passé qui ne doivent rien à personne, qu'une carrière, la gloire, des obligations et des responsabilités n'ont pas paralysés, des êtres enfin qui ne soient pas définis par ce qu'ils ont fait et soient donc libres de choisir. 
Witold Gombrowicz
La Havane, 1955

Traduction :
Contre les poètes, Editions Complexe, Bruxelles, 1988


Rappel : Witold Gombrowicz dans La Main de singe

Lien : le site officiel consacré à Witold Gombrowicz, gombrowicz.net

mercredi 8 juin 2011

Images choc




" Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est 
d'une aide plus efficace que les évangiles. "

Cioran

Cracher le morceau



" Se tuer parce qu'on est ce qu'on est, oui, mais non parce que l'humanité entière vous cracherait à la figure !  "

" En dehors de la dilatation du moi, fruit de la paralysie générale, nul remède aux crises d'anéantissement, à l'asphyxie dans le rien, à l'horreur de n'être qu'une âme dans un crachat. "

"Ce ne sont pas les préceptes du stoïcisme qui nous signaleront l'utilité des avanies ou la séduction des coups du sort. Les manuels d'insensibilité sont trop raisonnables. Mais si chacun faisait sa petite expérience de clochard ! Endosser des loques, se poster à un carrefour, tendre la main aux passants, essuyer leur mépris ou les remercier de leur obole, — quelle discipline ! Ou sortir dans la rue, insulter des inconnus, s'en faire gifler...
Longtemps j'ai fréquenté les tribunaux à seule fin d'y contempler les récidivistes, leur supériorité sur les lois, leur empressement à la déchéance. Et pourtant ils sont piteux comparés aux grues, à l'aisance qu'elles montrent en correctionnelle. Tant de détachement déconcerte; point d'amour-propre; les injures ne les font pas saigner; aucun adjectif ne les blesse. Leur cynisme est la forme de leur honnêteté. Une fille de dix-sept ans, majestueusement affreuse, réplique au juge qui essaie de lui arracher la promesse de ne plus hanter les trottoirs : « Je ne peux pas vous le promettre, monsieur le Juge. »
On ne mesure sa propre force que dans l'humiliation. Pour nous consoler des hontes que nous n'avons pas connues, nous devrions nous en infliger à nous-même, cracher dans le miroir, en attendant que le public nous honore de sa salive. Que Dieu nous préserve d'un sort distingué !  "

Cioran

Illuminations


Dès que la moindre idée me passe par la tête, je la laisse illico tomber.

L. W.-O.

mardi 7 juin 2011

Faire sensation



" J'ai vécu pour la sensation. 
Le morceau de mon corps que je préfère est mon petit robinet. "

Louis Scutenaire, Mes Inscriptions 1945/1963

lundi 6 juin 2011

Caca nerveux de la Vache Sacrée

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"La grand défaite, en tout, c'est d'oublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusqu'à quel point les hommes sont vaches."

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

dimanche 5 juin 2011

Croqueuses de pommes


Vous êtes impatients de la sortie mille fois annoncée de La Main de singe ? Faites comme ces trois lectrices : trompez l'attente en grignotant directement sur ses terres paradisiaques les succulents fruits radioactifs du Marquis de l'Orée, fournisseur de notre maison.

samedi 4 juin 2011

vendredi 3 juin 2011

L'abominable Georges Bataille






Je retrouve par hasard dans mes paperasses cette réponse que j'avais faite, il y aura bientôt dix ans, à l'animatrice d'une nouvelle revue  d'"avant-garde" qui sollicitait ma participation à un dossier "Georges Bataille" devant inaugurer son premier numéro. Je n'ai jamais su si cette revue a finalement vu le jour, et n'ai jamais cherché à le savoir. Je n'ai jamais non plus reçu de réponse à ma réponse. L. W.-O.

Chère Madame,
Je ne saurais accepter votre proposition de collaborer à votre projet de revue consacré à Georges Bataille.
D'abord parce que de ma vie je n'ai jamais accepté ni sollicité de collaborer à aucune autre revue que les miennes ou celles qui me comptaient dans leur rédaction.
Par ailleurs, puisque vous me demandez un témoignage "vécu" de mes rencontres avec lui, où êtes-vous allée chercher que j'aurais jadis connu Georges Bataille ? J'ai certes croisé sur ma route  tant d'écrivains, et des bien grotesques, mais au moins je n'aurai jamais fréquenté celui-ci et mon honneur est sauf. Que je sache, j'avais cinq ans en 1962 quand il a rendu à Dieu l'âme dont il se croyait doté en plus de son anus solaire.
Vous aurez compris que j'ai en aversion cet abominable Georges Bataille. La seule évocation de son nom me donne la nausée, car il sent l'urine, le caca, l'eau bénite, le cimetière et le rat. 
 De plus, Georges Bataille m'apparaît comme un auteur verbeux, ampoulé, mielleux, embarrassé, un amphigourique phrasibuleur dont les formules creuses n'impressionnent que les têtes de nœud ("Je pense comme une fille enlève sa robe" ou encore la oiseuse distinction entre "communication au sens fort" et "communication au sens faible."). Ses romans me répugnent, son érotisme de vieux puceau lubrique me répugne, sa gueule même me répugne, comme celle, onctueuse, d'un prêtre onaniste sous la soutane. Sa grandiloquence est au pinacle dans ses vers. Son nietzschéisme de bisuté d'internat, son humour de pétomane sous les draps, ses étreintes de cimetière, la branlette dans le ciboire, ses façons d'auvergnat  couperosé qui se la joue gentleman british, ses manières de chattemite, ses poses bossues de bibliothécaire aux doigts urineux et ongles noirs, qui rêve de se faire sodomiser par un éclair — décidément, il a tout pour plaire, comme disait ma mémé !
 Sa formule la plus célèbre suffirait à elle seule à me le rendre antipathique :"A quoi bon un roman auquel son auteur n'a pas été contraint ?" La fameuse contrainte à laquelle devrait être acculé un auteur de commettre un livre qui se pose là, comme un étron en somme, qu'il n'a pas pu retenir. Cette nécessité-là relève de ce que l'excellent Leibniz appelait déjà scribendi cacæthes. C'est la grosse commission fumante dans le confessionnal, qui soulage certes son auteur mais ne soulève en moi que répulsion. C'est le truc puant, dans lequel je ne marche pas, de la littérature qui ne se prend pas pour de la merde.
 Dans ces conditions vous admettrez avec soulagement chère Madame qu'il vaille mieux que je ne collabore pas à votre revue…

Faire son trou


Sweet home !

Ouvrir un site sur le net, et acquérir un nom de domaine, c’est comme faire bâtir : on est “chez soi”, propriétaire. Les blogs ne relèvent, eux, que de la location. Comme dans la “vie”, je me contente sagement, pour faire mon trou dans la toile, de cette condition précaire de locataire.
L. W.-O.
 

mercredi 1 juin 2011

Crever l'écran

Atelier de mon oncle fossoyeur par L. W.-O. © 2009 / click to enlarge

Mes crises de claustrophobie cybernétique sont tout ce qu'il y a de plus sain. Mais elles sont trop excessives et de fait bien injustes. 

C'est en effet grâce à la Toile que j'ai découvert ou appris à lire ceux de mes contemporains que j'estime  désormais les plus forts.

C'est aussi sur la Toile que je suis revenu d'autres contemporains qui, sur le papier, faisaient illusion. Leurs blogs ou sites "d'auteur" m'ont révélé tout leur chiqué, la contradiction fatale entre leur baratin et leur petite personne, et souvent aussi leur sale gueule.

Et, surtout, c'est sur la Toile que j'ai pu enfin me surprendre en flagrant délit de tout le cinéma que je me fais.

L. W.-O.