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mercredi 19 avril 2017

Les Cherche-la-merde






"J'ai beau avoir toujours détesté les jardins zoologiques, et même toujours trouvé suspects les gens qui visitent ces jardins zoologiques, il ne m'a pas été épargné d'aller une fois dans le parc Schönbrunn, et, à la demande de mon compagnon, un professeur de théologie, de rester planté devant la cage des singes, pour observer les singes, à qui mon compagnon donnait de la nourriture (dont il avait bourré ses poches à cette intention). À la longue, le professeur de théologie, un ancien camarade d'études, qui m'avait invité avec insistance à l'accompagner à Schönbrunn, avait donné toute sa nourriture aux singes, quand, tout à coup, les singes se sont mis de leur côté à ramasser des restes de nourriture traînant sur le sol et à nous les tendre à travers la grille. Le professeur de théologie et moi-même avons été si épouvantés par le brusque changement d'attitude des singes, que nous avons tourné les talons sur-le-champ et quitté le parc de Schönbrunn par la première sortie qui se présentait. "

Thomas Bernhard, Vice versa
traduit par Jean-Claude Hémery


mercredi 28 décembre 2016

"À chaque jour suffit sa joie." (Clément Rosset tombé du ciel)

Clément Rosset, capturé par La Main de singe ©





(On trouvera en fin de billet moultes autres cadeaux rossettiens)

On me demande ce que je peux bien faire, ce que je deviens, pourquoi je fournis la vitrine de ce blog avec une telle irrégularité, si quelque chose ne tourne pas rond, si par hasard je ne serais pas mort, ou si je ne me foutrais pas un peu sinon beaucoup de la gueule du monde etc… Voilà bien des questions, que je trouve fort indiscrètes même quand je me les pose moi-même, ayant  disparu de mes propres radars et auxquelles je suis aussi réticent qu'incapable de répondre. Moins on en sait, et "moi" le premier, sur mon compte, mieux je me porte n'est-ce pas !

La supposition ci-dessus la moins sympathique en apparence s'avère en fait la plus juste et répond presque à ma place puisqu'elle dit en une formule lapidaire et éloquente ce que je ne pourrais dire qu'en toujours trop de mots, comme chaque fois qu'il s'agit d'évoquer sinon le réel, indicible, lui, mais du moins un semblant de réalité et se fendre d'une réponse sans tricher — très certainement donc, oui : je me fous de la gueule du monde.

Je pourrais me contenter de dire, comme Clément Rosset (citant son père) : "À chaque jour suffit sa joie." À quoi j'ajouterai, pour confirmer cet adage : "car les emmerdements ne manquent pas, leur nombre et leur nature s'aggravant de jour en jour, ce qui somme toute est assez banal et ne mérite guère qu'on s'en lamente publiquement plus qu'un autre." Autrement dit, pour reprendre une autre formule fameuse de Clément Rosset : "Soyez heureux ! Tout va mal !"

Dans le même registre, c'est franchement hilare que son ami Cioran lançait à la cantonade son légendaire "Tout est foutu !" — "mot" que, parmi les amis de Cioran, seuls sans doute Clément Rosset, Samuel Beckett, Henri Michaux et Paul Valet savaient goûter sans faire la grimace, gagnés d'avance à la contagion de son hilarité. Les fâcheux et les faux amis de Cioran, eux, ne riaient que jaune, ce qui sans doute augmentait encore son hilarité. Puisque la période des abominables vœux du Nouvel An approche, on pourra tester avec la famille, avec les prétendus amis, ou au boulot, l’effet garanti de ces formules magiques, en en faisant cette année celles de ses vœux : à tout coup on fera ainsi du vide autour de soi, ce qui s'avèrera un bienfait et une augmentation de confort, autrement dit ce que l'on peut espérer de mieux pour l'année à venir. 

N'étant moi-même pas plus chien que ces deux compères aussi lucides que réjouissants, je répondrai quand même aux curieux de mon sort, en faisant deux ou trois confidences.

Nos abstentions révèlent de nous un portrait plus certain que celui, en trompe l'œil ou caricatural, que s'ingénie à donner, pour la galerie, la comédie de nos faits et gestes.

Je n'ai pas plus fêté Noël que je n'ai observé le Ramadan, participé à la primaire de la Droite, risqué l'éparpillement "façon puzzle"  sur les abominables Marchés de Noël, couru les commerces pour des cadeaux, foncé faire du ski, voté pour Miss France…

Ne fréquentant aucune famille (pas plus la mienne que celle des autres) je ne me suis attablé nulle part ailleurs que dans ma tanière et n'ai vu de dindes que blablatantes dans des émissions de télé et en guise de bûches me suis contenté de celles débitées par Thomas Bernhard dans Des arbres à abattre (où l'on trouve aussi beaucoup de dindes bavardes et mal cuites), 


De même, en lecteur averti de La Chute dans le temps, je ne risque pas de fêter le Jour de l’An. Je ne goûte les joies de la Nuit de la Saint-Sylvestre qu’en lisant le conte d’Hoffmann, Aventures de la Nuit de la Saint-Sylvestre ou son remake schmidtien. Voilà deux relectures de saison qui garantissent un réveillon singulier loin de la vulgarité des hordes festives, dont on se gardera des décibels terroristes en écoutant par exemple du Mozart au casque et en sirotant du Chateau Châlon, ce qui serait une manière de trinquer à distance avec Hoffmann, Clément Rosset et Cioran.

Comme il s'agit de la plus longue nuit de l'année, j'ajoute ci-dessous de quoi oublier (sans avoir besoin de se suicider ou de les exterminer ou de mettre la télé et se gaver d'antidépresseurs) les cons, leurs fêtes à neuneu, leur boucan, leurs mirlitons, leurs pétards, leur décompte à l'unisson, leurs embrassades monstrueuses, leur Danse des Canards, en passant des heures et des heures sans se lasser avec Clément Rosset, sinon en personne, du moins dans des vidéos burlesques et des entretiens relevant du stand up le plus cruel.

Voilà qui prouve de facto qu'"à chaque jour suffit sa joie." Même le pire de l'année.

Et on dira encore après ça que je me fous de la gueule du monde.

L. W.-O.

DU CLÉMENT ROSSET TOMBÉ DU CIEL !

Faute de neige, c'est du Clément Rosset, presque à la tonne, qui vient de tomber du ciel à Noël. Enfin ! ENFIN !!!!!!!!!!!! Un inconnu (qui est peut-être, allez savoir !, le dénommé Santiago Espinosa, traducteur et ami de Clément Rosset, et webmaster de son cocasse site "officiel" ?) a ouvert primo sur YouTube une "chaine" consacrée aux "Archives Clément Rosset", sur laquelle il a commencé à donner moultes videos rares, deuzio sur MixCloud son équivalent pour la matière uniquement sonore ou radiophonique. Voilà des années que j'attendais un tel miracle. Gloire et gratitude à celui a eu cette initiative délectable.

Puisque ces mises en ligne sont proposées pour être partagées et diffusées et que l'on ne sera pas nombreux à en faire la publicité, je ne me gêne pas pour en pirater ici quelques-unes. J'avais déjà fourni ce blog depuis des années avec toutes celles que je trouvais. Me voici désormais soulagé par ces deux magasins cybernétiques bourrés de matériel garantissant des heures et des heures de réjouissances. Je ne saurais trop conseiller de télécharger toutes ces raretés. On ne sait jamais.
 L. W.-O.




Clément Rosset invité par Christine Goémé pour À Voix nue, sur France-Culture, en 1994.



Clément Rosset / Le temps de vivre


Clément Rosset interviewé chez lui par Camille Tassel. (J'avais déjà, il y a quelques années piraté sur ce blog toutes les videos de cet entretien épatant, puisque sauf la première, elles avaient disparu de la Toile. Mieux vaut le voir ici dans sa totalité et non pas saucissonné.)


Clément Rosset  en 1998 à propos de l'idiotie, extrait du fameux documentaire de Jean-Pierre Limosin consacré à Thomas Bernhard dans la série Un siècle d'écrivains (que curieusement l'on ne trouve pas en ligne dans sa totalité)



Clément Rosset invité par François Noudelman pour "Autrement Philosophes"



BONUS : les 29 billets consacrés à Clément Rosset sur La Main de Singe

lundi 10 octobre 2016

Deux messages de désespoir






"J’aimerais terminer sur un message d’espoir. Je n’en ai pas. En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ?"
Woody Allen

samedi 8 octobre 2016

L'invasion des profanateurs de sépulture



"Ah les cons !"





"On a prétendu que "s'accepter soi-même" était indispensable si on voulait produire, "créer". Le contraire est vrai. C'est parce qu'on ne s'accepte pas qu'on se met à œuvrer, qu'on se penche sur les autres et, avant tout, sur soi, pour savoir qui est cet inconnu rencontré à chaque pas, qui refuse de décliner son identité et dont on ne se débarrasse qu'en s'en prenant à ses secrets, qu'en les violant et les profanant."

Cioran, Écartèlement

Les crétins qui ont célébré la mort de Cioran ("Déjà 20 ans!" clament-ils) ne méritent qu'une chose : que l'on crache sur leur prétendue existence et rigole avec mépris de leur certitude d'être, eux, paraît-il, bien vivants ! Ce que cet anniversaire a révèlé en tout cas, c'est que sa prétendue disparition arrange tout le monde. Tant de gens désormais citent Cioran, s'en réclament, ou le dégomment, le commentent, s'en servent d'argument commercial, de caution, ou de repoussoir, etc… : jamais on n'aura autant parlé de Cioran qu'aujourd'hui, et pas seulement en France. Jamais, sans doute, aura-t-il été si mal lu. Il ne fut pas à une telle fête avant 1995. Quand il passait chez son éditeur réclamer un état de ses ventes, nul ne l'y reconnaissait et le vigile le raccompagnait sans ménagement à la sortie, comme un clochard qui se serait égaré. Et sa lecture emportait la gueule, n'est-ce pas !  Aujourd'hui tout le monde s'en délecte. Le voilà désormais à toutes les sauces. Débité en bons morceaux, en tranches, en amuse-gueule sur les réseaux sociaux. Des citations frelatées de ses aphorismes servent même, choisies par des robots cybernétiques, à "habiller", avec des blagues belges, des forums de discussion d'adolescents, de motards, de fans de films gore, de bonnes femmes échangeant des recettes. Les managers, coachs, directeurs de ressources humaines, agents de développement personnel, chefs du personnel, animateurs de moral de l'entreprise, etc… en dopent leurs troupes. Il inspire des ministres, des chefs d'entreprise, des kadors du Marché, des élus du peuple, des traders, des pipoles, et tant de sales grandes gueules et autres petites têtes de la télévision, de la radio, de la Toile. Il est le consolateur, même l'inspirateur, de l'atroce Carla Bruni, qui, enceinte d'un vampire magyar, le lisait pendant sa grossesse ! Son œuvre est la Bible prétendue de tant de charlatans sans vergogne et de vendeurs de merde. Les immondes Pur-Porc et autres tarés identitaires qui hurlent au Grand Remplacement ont pris pour idole ce Prince des Métèques. D'ignobles canards le mettent en une pour doper leurs ventes, etc… Quasi tous ceux qui s'en réclament ainsi, l'instrumentalisent, le dépècent, comme ceux qui lui plantent dans le dos sa jeunesse à la Garde de Fer et ses éloges d'Hitler, sont ses assassins posthumes. Il va de soi que tous ces gens ne l'ont pas lu, n'y pigent strictement rien, s'en requinquent à bon compte. On ne saurait lire impunément cet increvable diable d'homme : il faut tout de même avoir un peu la vie qu'implique une telle jugeote. Tant qu'il était, selon leurs critères, encore en vie, la plupart de ces nécrophiles qui grouillent et prospèrent aujourd'hui sans vergogne sur son cadavre et sur le dos de son œuvre n'étaient pas encore nés, ou bien apprenaient encore à lire en faisant pipi dans leur culotte, ou, déjà mûrs et cons, n'en menaient pas large et, chiant dans leur froc, n'osaient guère l'évoquer publiquement. Ils ont aujourd'hui la prétention inouie de se croire plus vivants que lui ! La prétention de nous expliquer ce qu'il a dit ! La prétention de faire parler son fantôme avec, bien-sûr !, leurs mots à eux, de faire cracher le morceau à son œuvre etc… Et que dire de tous ces "amis" qu'après ses obsèques on a vu surgir de partout : ces fâcheux qui le dérangeaient sans scrupules, encouragés par sa légendaire hospitalité et sa courtoisie, font aujourd'hui le beurre rance de leur réputation sur des témoignages exclusifs, des lettres ressorties de tiroirs, à leur gloire naturlich ! À de rarissimes exceptions près, qui confirment la règle, je prends en grippe illico quiconque cite ou évoque Cioran. Moi le premier : cela va de soi…
L. W.-O.

samedi 1 octobre 2016

"L'enfer, ce n'est peut-être que la conscience du temps…"







Ci-dessus : video-surveillance du Musée de la montre et de l'horloge (USA)

"Cette nuit, ce matin plutôt, au lit, j'ai pensé que je devrais écrire un essai sur l'attention au temps. Car la maladie de tous mes jours, c'est à l'exaspération, à l'aiguisement de cette attention qu'elle se réduit. Ce matin donc, en me réveillant, la première sensation que j'ai eu a été celle de l'écoulement des heures, des heures indépendantes de tout acte, de toute référence extérieure à cet écoulement comme tel. 

Cette conscience éperdue du temps a été mon fléau toute ma vie. Dès mon enfance j'ai perçu la disjonction du temps de tout ce qui n'est pas lui, dès l'enfance j'ai senti l'existence autonome du temps., son statut séparé de celui de l'être, son règne propre. Le règne du temps, le royaume du temps, l'empire du temps.


Je me rappelle parfaitement cet après-midi d'été — je devais avoir cinq ou six ans — où tout se vida autour de moi, et il ne me resta plus que la sensation d'un passage sans contenu, d'une fuite en soi, d'un écoulement qui me fit peur. Le temps se décollait de l'être à mes dépends. Il n'y avait plus de monde, il n'y avait plus que du temps. Depuis lors je ne vis qu'accidentellement dans l'événement ; je ne vis plus que dans l'absence d'événement, dans le temps qui ne s'abaisse pas à l'événement.


L'enfer, ce n'est peut-être que la conscience du temps. "


Cioran, Cahiers

jeudi 22 septembre 2016

"Un homme vrai, ça étonne à chaque instant" : Beckett vu et dit par Roger Blin


Roger Blin dans Fin de partie
Beckett et sa femme Suzanne aux obsèques de Roger Blin en 1984



Beckett parle (1987)









Samuel Beckett / L'Expulsé par Roger Blin






BEGINNING TO END par l'incroyable Jack Macgowran !!!!

Après le billet d'hier à propos de Samuel Beckett, une fort chic lectrice de ce blog m'envoie ce savoureux bonus : " Il s'agit d'un fragment d'un texte de Roger Blin évoquant sa rencontre avec Beckett et l'aventure que fut la première mise en scène de Godot au Théâtre de Babylone. Cet article Une solidarité entre maigres parut dans la revue Arts en 1953 et à ma connaissance ne fut jamais repris."

Témoignage de Roger Blin : "Nous avons beaucoup travaillé, pas mal ri, pas du tout enfilé les libellules métaphysiques. C'est aux couturières que la trouille a commencé. Beckett m'a demandé de le tutoyer puis est parti se cacher en Marne et Oise (sic). Et Estragon, Vladimir, Lucky et Pozzo ont été livrés aux bêtes, près du petit arbre, en état de fraîcheur avancée et comme leurs collègues Molloy, Malone et Worm, regrignotant à rebrousse-poil sous les décombres du ciel, l'amour de la vie. De Beckett, je ne peux rien dire sinon que je l'aime et l'admire profondément. Un homme vrai, ça étonne à chaque instant".

Un grand merci pour cette délectable initiative, que j'enrichis par un autre bout de film rare où surprendre Beckett in vivo, ainsi que de la voix de Roger Blin interpétant L'Expulsé (bandes rares mises en ligne sur Youtube par un autre aficionado de Beckett, qui, sur sa chaîne donne aussi Le Dépeupleur par David Warrilow, et du Guitry épatant). J'en profite tant qu'on y est en donnant Beginning to end par l'incroyable Jack Macgowran. Et ci-dessous d'autres friandises pour les insatiables et les insomniaques. Après ça, on dira encore que je suis une peau-de-vache.
L. W.-O.

Bonus 1 :
"Je suis inquiet et venimeux"
Franz Kafka dit par Roger Blin


Bonus 2 :
par Roger Blin, Jean Martin et Delphine Seyrig

mercredi 29 juin 2016

" Ce qu'il faut c'est décourager le monde qu'il s'occupe de vous… "




" Ce que je voulais, c'était (…) plus entendre personne causer. L'essentiel, c'est pas de savoir si on a tort ou raison. Ça n'a vraiment pas d'importance… Ce qu'il faut c'est décourager le monde qu'il s'occupe de vous…  Le reste c'est du vice. "

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit

mardi 28 juin 2016

L'homme ordinaire de Douarnenez





" La solitude tenue n'est ni un exploit, ni un retrait. 

C'est un plaisir, comme l'incognito."

Georges Perros, Papiers collés


Merci au chic anonyme qui m'a envoyé hier
le tuyau de ce très rare documentaire sur Georges Perros.





Ci-dessus : Georges Perros offrant des légumes 
au sublime Noël Roquevert sur le marché de Douarnenez !!! 
(captures écran par L. W.-O.)

Noël Roquevert : "Ah ils ont pris une tatouille !"

Video ci-dessous : Roquevert racontant 
sa bagarre au bois de Boulogne !!!!!

dimanche 19 juin 2016

" Et comment savez-vous que vous n'êtes pas déjà mort ? "




Penché sur le papier que je griffonne ou martèle avec mon Olympia de Luxe de 1963, je ne lève la tête que pour admirer les beaux nuages qui passent majestueusement à hauteur de ma terrasse babylonienne. Je caresse les flancs de ces étonnants bestiaux, me resserre un godet de vin des Abymes, trinque avec Bukowski qui chantonne en boucle "I am still here, leaning toward this machine", je roule une cigarette comme je tape : sans regarder mes doigts et tout en me goinfrant de Panettone, je remets Gil Scott Heron et j'avise l'heure sur ma montre en panne.





Plissant les yeux, j'essaye de distinguer au loin, là-bas en bas, si ces hordes braillardes sont une manif de la CGT, une charge de CRS, la Gay Pride, un vide-greniers de parents d'élèves, la Zombie Walk, ou des régiments de hooligans. Mes pauvres yeux ne font pas plus de différence que ma pauvre tête entre ces troupeaux nerveux et excités. Je me contrefous de l'actualité qui dynamise mes délirants contemporains. Sous les yeux de Raymond Carver, je m'envoie cul sec un verre d'Abymes en même temps qu'un poème de Miroslav Holub :

"D'aucuns s'agitent
comme s'ils n'étaient pas encore nés.
Un jour toutefois
William Burroughs, interrogé par un étudiant sur
son opinion au sujet d'une
éventuelle vie posthume,
dit :
— Et comment savez-vous que vous n'êtes pas déjà mort ?"

Écrire est pour moi le seul moyen infaillible de le vérifier.

L. W.-O.



vendredi 25 mars 2016

"What do you want, motherfucker ?!?!"





La connerie générale bat des records. La Grande Faucheuse moissonne autour de moi. La physiologie déconne. L'insomnie et la dèche s'acharnent sur ce qui reste du pauvre type, qui sait pertinement l'avoir bien cherché et se complait à s'avachir au comble de l'ennui, de la répugnance, de l'aboulie et du cafard mais je ne suis pas du genre à gémir sur mon sort et à pleurnicher ou paniquer. Je passe mon temps à rire comme personne et tout seul de la catastrophe de chaque jour : le grotesque est partout et tout est du plus haut comique pour qui se tient à distance et refuse de participer. À commencer par sa propre existence, dont chaque journée n'est qu'un enchainement de gags irrésistibles, certes cuisants vécus de l'intérieur. J'en fais le moins possible, histoire de m'éviter bien des catastrophes. Je refuse d'aller jouer la moindre comédie, je n'attend rien de rien ni de personne et, aussi incapable de la moindre résolution que d'envisager le moindre espoir, je me contente de fumer, de feuilleter des ouvrages inadmissibles, de me lever à l'heure, bien avant l'aube, où l'élément démocratique sublunaire ronfle encore sur des matelas à crédit, de faire trois siestes par jour pendant que les ronfleurs réveillés et dopés aux antidépresseurs et à l'alcool se démènent au boulot ou s'exténuent à en chercher. Je savoure le luxe de n'être attendu nulle part et de ne contribuer en rien à la perpétuation provisoire de ce monde sur lequel je crache par la fenêtre sans souci que quelqu'un passe en dessous. Sans aucune vergogne, je me laisse dériver cap au pire, en sifflotant faux du Chet Baker ou en me répétant comme un mantra la formule magique de Cioran : "Dans ce monde d'avortons et de poufiasses, il s'agit malgré tout d'être digne".  J'ouvre au hasard les Propos sur la racine des légumes, de Hong Zicheng, et je lis en opinant : "Une intégrité rayonnante comme le ciel se forme dans l'obscurité d'une pauvre demeure" ou encore : "Il faut admirer l'homme assez éclairé pour secouer ses manches et quitter la fête quand elle bat son plein. Il peut marcher sans crainte le long d'un précipice." Je tâte et dorlote mes bobos, je cultive ma nostalgie, je retaille plus aigû encore le crayon dont je ne me sers pas. Je démonte, nettoie, graisse et remonte mon arme préférée : ma vieille machine-à-écrire. Je constate que la souffreteuse batterie de mon ordinateur est comme moi : elle se vide de plus en plus vite et se recharge de plus en plus lentement. Je rallume une cigarette. J'espère que ce con de boulanger a fait du bon pain, que le livreur a bien ravitaillé le bureau de tabac, que les éboueurs sont bien passé, que les militaires patrouillent avec des pétoires chargées afin que la chérie circule tranquillement en métro et me revienne entière avec tous ses beaux yeux, ses organes et sa frimousse sublimes, que les fonctionnaires de l'EDF veillent à ce que je puisse à tout moment me chauffer le cul, me percoler le meilleur des cafés, écouter du Henri Mancini ou du Ran Blake, ou brancher ma Stratocaster, surfer d'un œil torve sur la Toile en marmonnant des "Regarde-moi ce con !", mettre la radio et la couper aussitôt en lâchant des "Ta gueule, saloperie", etc… Brèfle… Cette belle vie est épuisante. Elle est réservée aux grands champions du surplace, discipline qui réclame tout le bonhomme, et s'avère pire qu'un marathon puisqu'elle est un marathon sans fin, sans concurrents, sans public, sans voiture-balai ni soigneurs. Je ne la recommande et ne la souhaite à personne. Elle serait fatale à qui n'est pas taillé pour. (Qu'on se contente d'y rêver !).
L. W.-O.

samedi 12 mars 2016

Du sommet de ma Tour de Babel…

The Tower of Babel /The Wind par Du Zhenjun
Astuce : ouvrir le lien dans une autre fenêtre
pour déployer l'image en grand










Du sommet de ma Tour de Babel, vautré sur mon divan, j'aperçois distinctement à l'horizon de ma terrasse Est, pourtant à plusieurs dizaines de kilomètres, le skyline de mes montagnes natales et même, au-delà, le Mont-Blanc et la chaîne des Alpes. 
Après Ornette Coleman (Ramblin), puis la belle harpiste Dorothy Ashby (Stella by Starlight) j'écoute Carmen Mc Crae (My Foolish Heart), en relisant le formidable Journal de guerre de Jean Malaquais. 
Quel ouvrage éloquent à propos du "vivre ensemble" et de l'immonde promiscuité avec les bipèdes sublunaires  ! Mais qui lit de nos jours cet auteur saisissant ? Tant mieux ! Qu'il est délectable d'être le seul ou presque à lire des auteurs que l'on aime.

Je me demande où je vais bien pouvoir loger ma trentaine de machines-à-écrire dans ces 80 m2 envahis par les livres. Je n'en sacrifierai pas une seule.
En revanche, je songe à réduire drastiquement le nombre déjà riquiqui de mes derniers interlocuteurs, les cybernétiques, en éliminant les faux-cul, les réclameurs d'attention, les susceptibles, les lunatiques, les emmerdeurs, etc…. Quant aux interlocuteurs "en bugne-à-bugne", autrement dit in vivo, voici déjà belle lurette que l'épuration radicale en a été faite. Le pire des emmerdeurs est l'abruti toujours inopportun que j'aperçois dans le miroir. Mais j'ai trouvé l'astuce de repeindre le miroir en même temps que le mur, en noir. (Ma semaine de bonté est révolue : elle aura duré plus d'un demi-siècle. De l'indulgence envers les autres ou envers ce pénible et indécramponnable inconnu, le "moi-même", laquelle est la pire ?) 
Je regarde une nouvelle fois la vidéo du monstre marin énigmatique échoué sur une plage d'Acapulco car je me dis qu'il me ressemble terriblement — en tout cas je m'y reconnais tout à fait.
Puis je repique à une nouvelle sieste, en ruminant comme un mantra la formule de Cioran : "Dans ce monde d'avortons et de poufiasses, il s'agit malgré tout d'être digne." Tout est dans le malgré tout.
L. W.-O.

Jean Malaquais


mercredi 9 mars 2016

Vite je retourne me coucher…







De mes vastes et luxuriantes terrasses panoramiques, à chaque réveil de mes cinq siestes quotidiennes, sanglé dans un éclatant kimono de samouraï acquis à Kiabi, tout en sirotant le plus cher des cafés et en écoutant à fond la tonique musique flûtée dont on se régalait jadis à Pompéï, Lugdunum et Rome, j'observe, sans trop parvenir à les distinguer les uns des autres, des phénomènes grotesques : le ramassage expéditif des poubelles, le safari de la fourrière, l'effroyable Printemps des Poètes, la chorégraphie des créneaux ratés malgré l'assistance automatique, l'effarante Fête du Livre, la transhumance des opposants à la Loi Travail, l'ordinaire lendemain de la journée de la Femme, le dynamisme des jambons humains vers le boulot, Casino ou le toubib, etc… Tout cela est certes instructif mais j'ai tout de même un peu beaucoup roulé ma bosse et sais à quoi m'en tenir quant aux activités du lassant bipède sublunaire : tout ce qu'il peut bien faire m'emmerde tant d'avance que j'en baîlle déjà. 
Avant de retourner dormir, je relis le courrier du pirate Roussiez qui a pris la peine, à l'aube, de me recopier une belle lettre éloquente d'Henri Michaux, où il dit sans ambage, au pénible Marcel Arland, le 1er juillet 1976, son refus qu'on lui consacre un numéro spécial de la NRF : 
« Il y a encombrement de textes sur moi pour le moment. De nouveaux à l’horizon et un massif N° spécial. Le peu de goût d’écrire qui me reste disparaît devant ce flot. 
Je vous en prie, vous au moins, ne donnez pas le ridicule de cette accumulation soudaine de critiques et d’exposés sur H.M.
Qu’on publie un jour un article, soit. Mais que la NRF opère un rassemblement de masse sur le sujet en question, non. 
Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. 
Lorsqu’est arrivé le moment où sur le corps se désorganisant tout tour à tour devient danger grave, la chaleur de l’été, le froid de l’hiver, le manger, le mouvement, la mer, la montagne, les émotions, la lumière et les médicaments, alors la fatale disparition est proche. 
Du moins, que je ne finisse pas gavé de mon propre nom ».

Ainsi va la vie, mon ami… Dix millions de poètes, un seul Henri Michaux, voilà ce que je me dis.
Vite je retourne me coucher, en laissant tourner la belle et entêtante musique —  flûtes, trompettes, buccins & tambourins.

L. W.-0.

samedi 13 février 2016

The Dark Night of the Soul







"Sur les quais, dans toute une boite pleine de romans policiers anglais, je trouve un Saint-Jean-de-La-Croix en format de poche ! C'est, je pense, à cause du titre : The Dark Night of the Soul. Il est vrai aussi que la couverture en était trop voyante et que la confusion était possible, sinon inévitable."

Cioran, Cahiers