mercredi 9 mars 2016

Vite je retourne me coucher…







De mes vastes et luxuriantes terrasses panoramiques, à chaque réveil de mes cinq siestes quotidiennes, sanglé dans un éclatant kimono de samouraï acquis à Kiabi, tout en sirotant le plus cher des cafés et en écoutant à fond la tonique musique flûtée dont on se régalait jadis à Pompéï, Lugdunum et Rome, j'observe, sans trop parvenir à les distinguer les uns des autres, des phénomènes grotesques : le ramassage expéditif des poubelles, le safari de la fourrière, l'effroyable Printemps des Poètes, la chorégraphie des créneaux ratés malgré l'assistance automatique, l'effarante Fête du Livre, la transhumance des opposants à la Loi Travail, l'ordinaire lendemain de la journée de la Femme, le dynamisme des jambons humains vers le boulot, Casino ou le toubib, etc… Tout cela est certes instructif mais j'ai tout de même un peu beaucoup roulé ma bosse et sais à quoi m'en tenir quant aux activités du lassant bipède sublunaire : tout ce qu'il peut bien faire m'emmerde tant d'avance que j'en baîlle déjà. 
Avant de retourner dormir, je relis le courrier du pirate Roussiez qui a pris la peine, à l'aube, de me recopier une belle lettre éloquente d'Henri Michaux, où il dit sans ambage, au pénible Marcel Arland, le 1er juillet 1976, son refus qu'on lui consacre un numéro spécial de la NRF : 
« Il y a encombrement de textes sur moi pour le moment. De nouveaux à l’horizon et un massif N° spécial. Le peu de goût d’écrire qui me reste disparaît devant ce flot. 
Je vous en prie, vous au moins, ne donnez pas le ridicule de cette accumulation soudaine de critiques et d’exposés sur H.M.
Qu’on publie un jour un article, soit. Mais que la NRF opère un rassemblement de masse sur le sujet en question, non. 
Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. 
Lorsqu’est arrivé le moment où sur le corps se désorganisant tout tour à tour devient danger grave, la chaleur de l’été, le froid de l’hiver, le manger, le mouvement, la mer, la montagne, les émotions, la lumière et les médicaments, alors la fatale disparition est proche. 
Du moins, que je ne finisse pas gavé de mon propre nom ».

Ainsi va la vie, mon ami… Dix millions de poètes, un seul Henri Michaux, voilà ce que je me dis.
Vite je retourne me coucher, en laissant tourner la belle et entêtante musique —  flûtes, trompettes, buccins & tambourins.

L. W.-0.

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