jeudi 24 mars 2016

"Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent…"



Depuis trois jours, des rafales s'acharnent sur mes terrasses et saccagent leurs mini-forêts. Les arbres se couchent, les fleurs s'envolent, les plantes sautent dans le vide. Tout était pourtant bien câlé, et arrimé à l'invisible fil de pêche. Vivre en étage élevé est un peu comme vivre sur un bateau : il faut s'attendre aux soudains passages-à-tabac. Ces bouts de ficelle n'ont pas tenu le coup. 

J'ai renoncé à sortir chaque fois tout remettre en place puisqu'aussitôt, dans mon dos, le vent renvoie tout valdinguer en ricanant et qu'on ne saurait, même moi, lui tenir tête. Et puis je n'ai que deux mains, l'une qui tient mon bob, l'autre mes lunettes.


J'observe le phénomène à travers les vitres, sur fond de nuages aussi rapides que dans un timelapse, tout en poursuivant, bien au chaud et bien à l'abri, ma lecture du Journal du Métèque de Jean Malaquais, où je tombe sur ces lignes de circonstance, datées du 16 septembre 1940 :

"Pour paraphraser Fielding (Essays on Nothing), il y a ceux qui prétendent écrire ce qu'ils pensent, et d'autres qui se flattent de penser ce qu'ils écrivent. Or, commente cet auteur, il en est d'une troisième sorte, bien plus nombreux, qui ne pensent guère avant de prendre la plume, et qui, couchant sur le papier ce qu'ils croient avoir dans la tête, ne produisent jamais que du vent. Eh bien moi, depuis que je gribouille ces notes, je me sens appartenir d'office à cette dernière fraternité."

Je relève les yeux vers la belle tempête. Les crayons oubliés sur la table foncent comme des flèches. Qu'ils aillent au moins se planter dans le cul ou la tête d'un con ! La table elle-même décolle, retombe, reprend de l'élan, redécolle. Les chaises bondissent et ruent. Mes papiers et mes livres tourbillonnent dans le vide puis sont soudain aspirés vers le haut, bientôt je ne les distingue plus. 

Me reviennent ces quelques vers de Jean de Sponde  :
"Le trait est empenné, l'air qu'il va poursuivant
C'est le champ de l'orage : Hé ! commence d'apprendre
Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent."

L. W.-O.

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