lundi 28 février 2011

Le banc d'André Dhôtel

Le banc d'André Dhôtel, par L. Watt-Owen ©, Mont-de-Jeux, Ardennes, 2009
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" D'ici tu pourrais voir le monde entier, si tu regardais bien. "
André Dhôtel, Un Jour viendra

Où que je passe…

Le Clos Monteverdi, par Louis Watt-Owen ©, Lyon, 2010 / click to enlarge

Où que je passe ou m'arrête, je me demande toujours ce que ce serait d'habiter ici.
L. Watt-Owen

vendredi 25 février 2011

" La vie est un message griffonné dans le noir "

Vladimir Nabokov à Montreux, un documentaire rare révélé par la chaîne new-yorkaise Thirteen.







Vladimir Nabokov cuisiné à la télévision américaine à propos de Lolita.




Piochant dans sa bibliothèque de Montreux, Nabokov se gausse des couvertures de certaines traductions de Lolita.



Nabokov and the moment of truth ! (sous titré)

jeudi 24 février 2011

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES / 5



" (...) Je possède également ma première locomotive :
Elle souffle sa vapeur, tels les chevaux qui s'ébrouent,
Et, courbant son orgueil sous les doigts professionnels,
Elle file follement, rigide sur ses huit roues.
Elle traîne un long train dans son aventureuse marche,
Dans le vert Canada, aux forêts inexploitées,
Et traverse mes ponts aux caravanes d'arches,
A l'aurore, les champs et les blés familiers ;
Ou, croyant distinguer une ville dans les nuits étoilées,
Elle siffle infiniment à travers les vallées,
En rêvant à l'oasis : la gare au ciel de verre,
Dans le buisson des rails qu'elle croise par milliers,
Où, remorquant son nuage, elle roule son tonnerre. "

Arthur CRAVAN, « SIFFLET », in MAINTENANT, N°1, avril 1912




Liu Fang (pipa) and Malcolm Goldstein (violin) duet improvisation,
Instants Chavirés, Paris, France, May 21, 2004. En savoir plus.



Yuri Honing Trio & Rajasthan Folkmusicians play Parwana.


A Record Of Life from Owen Gatley and Luke Jinks on Vimeo.


Rappel : tous les INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES

mardi 22 février 2011

Le Monde perdu


On recommande de mettre la video ci-dessus en grand écran

" Le bric-à-brac du monde inférieur et celui du supérieur."
Arno Schmidt, Notices explicatives
in La Main de singe / Nlle Série/ N°3/ mars 2005



 Frédéric Schiffter : "Il n'y a pas de monde."


"L'état bordélique est l'état fondamental de toute chose."
Rappel : le blog de Frédéric Schiffter




loin from kphb on Vimeo.

"Lamartine écrit, dans L'Isolement : "Il n'est rien de commun entre la terre et moi." De même, dans le monde perdu, il arrive qu'il n'y ait plus rien de commun entre le monde et moi, entre moi et moi,entre le monde et moi. Le sentiment de cette distorsion paradoxale entre le même et le même suscite en moi une douleur psychologique dont je suis incapable de décrire la nature. Épouvante ? Angoisse ? Asphyxie ? Aucune mot ne convient. C'est d'ailleurs pire que tout cela.
Lu dans Passages de Michaux :
La nuit me laisse cadavre.
Il faut le ranimer. "

Clément Rosset / Le Monde perdu / Fata Morgana



Henri Michaux / Images du monde visionnaire / 1963

lundi 21 février 2011

"Comme si le temps ne passait pas…"


JUAN CARLOS ONETTI in vivo

« Vivre ici, c’est comme si le temps ne passait pas, comme s’il passait sans pouvoir me toucher, comme s’il me touchait sans me changer ».
Juan Carlos Onetti










LIENS
Le beau site consacré à Juan Carlos Onetti
onetti.net
album de photos
¿Quién es Juan Carlos Onetti?



Concurrence des charlatans

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J'ai reçu le truc ci-dessus en spam.
Voilà un sérieux concurrent pour Michel Onfray

" Je suis en vérité rendu là où l'absence de limites est devenue une certitude, au degré de perturbation latente du grand âge, dans la solitude de plus en plus philosophique et philosophante au sein de laquelle on est toujours conscient de tout, en vertu de quoi le cerveau, en somme, n'existe même plus en tant que tel... La vérité est que je crois toujours davantage que je suis tout parce que, en réalité, je ne suis plus rien…"
Thomas Bernhard, Perturbation, trad. Bernard Kreiss, Gallimard)

samedi 19 février 2011

De la grâce d'être né

Festival de baby jumping


" Je ne connais pas d'autre grâce que celle d'être né. "
Isidore Ducasse

De l'inconvénient d'être mort



" Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs "
Charles Baudelaire

Juvenilia

La Lune pâle, collage du 28 novembre 1962, par L. Watt-Owen © / click to enlarge

" There are many attempts made by poetical authors to reach the moon from their writing desk. "
Edgar Poe

Incipit d'Histoire de lune / Oskar Panizza / traduction Claude Riehl / Circé, 1990

vendredi 18 février 2011

La mère fabuleuse


Alvin Langdon Coburn
Je ne me souvenais plus du visage de ma mère, morte il y a 17 ans. La maladie l'avait tant défigurée que j'avais préféré l'oublier. Elle aussi avait préféré l'oublier : elle passa ses dernières semaines à découper sa tête au cutter dans toutes les photos de son album de famille. Comme je ne possède plus aucune photo d'elle (je les lui avais toutes rendues pour qu'elle les décapite), je n'en retrouve les traits que sur ma sale gueule quand j'ai le courage de me raser : je lui ressemble, d'après la légende que je me raconte (ce qui est flatteur pour moi, mais guère flatteur pour elle). 
En tombant par hasard cette nuit sur ces deux photographies d'Alvin Langdon Coburn, voilà que, d'un coup, je la retrouve, sinon telle qu'en elle-même (ce n'est que son sosie !), du moins telle que je la voyais enfant : la plus belle femme du monde, et la plus intelligente. La mère fabuleuse de celui que je trouve le plus vilain et le plus bête du monde.  
L. W.-O.


I don't wanna grow up / Tom Waits
piqué sur le site de Thomas Vinau, qui me réjouit chaque jour.

Le piège des habitudes

Isambard Kingdom Brunel par Robert Howlett, 1857

"Les chaînes de l'habitude, on n'en ressent l'emprise que lorsqu'elles deviennent trop fortes pour être brisées."
Samuel Johnson
(traduction L. W.-O.)

jeudi 17 février 2011

" Et un homme qui a fait des pertes, allez ! "



Comme on me la redemande, je redonne bien volontiers cette chronique parue sur ce blog en 2007 et bazardée depuis avec toutes les hénaurmes archives.

Arno Schmidt (encore lui !) avait fait sien, non sans raisons, car il en avait connu les inconvénients, ce mot d'Humboldt : "Celui qui veut connaître de son vivant les tourments de l'enfer, qu'il vende sa bibliothèque !". Il ne redoutait pas que les dangers de la misère, mais aussi ceux du vol et du feu. De fait, il fit bâtir près de sa baraque en préfabriqué, un robuste bunker blindé, garanti à l'épreuve des flammes et de la crapule. Mais il n'y mit guère à l'abri que ses propres travaux, et ses fameux fichiers. La bibliothèque merveilleuse resta clouée aux murs de son branlant sweet home. Quant aux risques de la misère, le miracle du "Prix Nobel privé" que lui décerna son admirateur, Jan Philipp Reemtsma, en éloigna dans les dernières années le spectre hideux. Définitivement.

Je ne suis pas mécontent d'avoir découvert par hasard tout à l'heure que, ce mot, Alexander von Humboldt l'avait déjà fait sien en le trouvant chez un autre, qui lui-même l'avait sans doute volé à un autre pour les mêmes raisons. Les compagnons de cet enfer se reconnaissent entre eux. J'ai dû revendre deux fois ma propre bibliothèque durant ces quinze dernières années, et je recommence, volume par volume, une troisième fois, mais je ne le ferai pas mien à mon tour.

Dieu sait pourtant si je sais comme elle est longue et ennuyeuse la nuit de l'insomniaque devant les rayons vides !

(Mais il me restait au moins tout Schmidt, car celui-là — qui n'est pourtant pas mon auteur préféré, pas mon chouchou, mais un type à qui j'en veux aussi beaucoup, par exemple d'avoir tué mon ami à la rude tâche de le traduire : le KO technique fut définitif —, celui-là c'est le seul que je n'ai jamais revendu. S'il ne devait en rester qu'un, c'était lui.)

Je m'en étais ouvert autrefois à Jean-Jacques Lerrant, qui fut, tout jeune, le secrétaire de rédaction de Confluence, la revue de René Tavernier. Il me raconta qu'Henri Michaux lui avait fait la même confidence, juste après guerre. La dèche l'avait contraint à revendre ses livres, pour survivre. Et Michaux, pas seulement par élégance, en souriait énigmatiquement.

Être capable d'aller revendre, en souriant, en sifflotant !, avec autant de jubilation que le jour où je les avais dénichés, les livres auxquels je suis le plus vitalement attaché ! Je n'en suis pas peu fier ! Car ce détachement n'est donc pas du chiqué ! Il faut abominer toute addiction. Se contenter de trois fois rien. Comme disait encore ce Schmidt (mais, notez son emploi du conditionnel, car c'était pour lui vœu pieu ou plan sur la comète) : " Tout ce qu'on possède devrait tenir dans une boîte d'allumettes !!! " Comme cela lui aurait été bien impossible, il trouva l'astuce d'acheter une maison en bois d'allumettes, pour y loger son cabinet d'amateur.

Et qu'on ne croit pas qu'il n'y a pas eu déchirement à vider mes rayonnages. Le jour où l'on porte chez le revendeur de papiers-du-diable tout Thomas Bernhard ou tout Clément Rosset, sinon rien que l'édition originale (oh dépareiller ma collection des Voyages Imaginaires !!!) du Comte de Gabalis, du Nils Klim ou du Peter Wilkins, c'est évidemment un cruel crève-cœur, et on a bien le temps, en route, de faire une espèce de bilan social qui fait un peu frémir : en arriver là ! etc… Tomber si bas, etc… (Mais je ne vais tout de même pas aller chercher du boulot ! Tel est le grand luxe, inestimable, de ma misère volontaire : je dispose depuis vingt ans des trois tiers de chaque jour). Aller brader à vil prix sa bibliothèque est le grand test.  On va avec moins de réticence se faire arracher (à ses frais !!) les plus belles de ses dents. J'ai même fait autrefois à Genève, pour un reportage, de beaux clichés d'un condamné à la castration, hilare, en route vers le sécateur. Deux kilos de Cioran et tout Nietszche pour quinze euros. Même pas de quoi acheter une dernière balle ou un steak de cheval.

Mais on me dira que je devrais plutôt revendre en priorité les mauvais livres ? D'abord : j'évite d'acheter ce genre d'articles. Par ailleurs : ils ne valent rien et les bouquinistes n'en veulent pas. Ensuite : quelle honte d'aller refourguer de telles âneries à un professionnel qui connait toute la drouille; ce serait encore pire que d'être pris en flagrant délit de les acheter — il est déjà assez honteux en soi d'aller revendre les meilleurs et plus rares ouvrages. Enfin : quand je ne peux pas lire un livre, faute d'avoir son auteur sous la main, je le jette par les fenêtres, comme, quand j'en ai, le fric — autres vieux papiers du diable…!

Si j'enrage d'avoir revendu mes derniers Jules Verne (et pour pas cher : le polychrome ne brillait guère ! et mes braises avaient creusé des cratères), c'est que j'ai complètement oublié que je cachais dans ces forts volumes, comme les vieux paysans entre les draps de l'armoire, les gros billets mis à gauche "au cas où"…

" Et un homme qui a fait des pertes, allez ! ". Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien.
L. W.-O.

mercredi 16 février 2011

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES / 4




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Les dessins sur post-it de Don Kenn !

FISCHING WITH SPINOZA,
un film d'animation de John Kenn Mortensen / Don Kenn


LA CONTREBASSE
PATRICK SUSKIND / NATASCHA RUDOLF / MC93-Bobigny
avec HUBERTUS BIERMANN






Rappel : les précédents INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES

mardi 15 février 2011

"J'espère que cette année m'apprendra à être intelligent."

Samuel Johnson chez lui, à Birmingham.
Photo trouvée sur cette page.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir.




Le 15 avril 1758, Samuel Johnson lance The Idler qui aura 103 numéros. The Idler est dans la veine de ses précédents bulletins, The Rambler et The Adventurer. Dans son journal, Samuel Johnson note : "J'espère que cette année m'apprendra à être intelligent." Et cependant, on rapporte qu'il n'avait jamais autant tenu la forme, écrit à une telle allure, battant ses propres records, torchant tout du premier jet. Un jour, Johnson est en retard. Le courrier part dans une demi-heure, on attelle déjà les chevaux. Il n'a pas plus de temps pour rédiger tout son numéro. Une demi-heure plus tard il remet au cocher la copie fraiche de son prochain Idler. Il a même bouclé son affaire avec un peu d'avance. Un ami, éberlué, veut en profiter pour lire les chroniques avant l'expédition. Johnson refuse : "Vous attendrez votre abonnement. Moi non plus, je n'ai pas eu le temps de les lire."

Londres, le 19 août 2007Le sans-abri Mark Paton a frappé de plusieurs coups de marteau le portrait du lexicographe et écrivain anglais Samuel Johnson, à la National Portrait Gallery de Londres. L’œuvre peinte par Joshua Reynolds est estimée à 1.7 millions de livres. La National Portrait Gallery se dit confiante de pouvoir réparer les dégâts infligés.

L. W.-O.




Ci-dessus, le calendrier Johnson.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Les amateurs de Samuel Johnson, James Boswell et Gibbon, trouvent leur bonheur sur le site
Hyde Collection Catablog (The world’s greatest Samuel Johnson collection, one book at a time.)

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES / 3



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Les têtes incroyables de Travis Louie !




Melancholia par William Basinski


Sampled Room from Mateusz Zdziebko on Vimeo.


 

Justyna Steczkowska
 

Rappel : tous les INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES 

lundi 14 février 2011

Thomas Bernhard : "On dit des inepties sur moi, comme sur n'importe qui d'autre…"

Thomas Bernhard par Erika Schmied©


Le jour quitte sa chemise.
Nu, il se dresse sur les remblais
et rameute les oiseaux.
Dans le noir des flaches
croupit sa gueule rouge
cassée par les paysans.
L'herbe me plante ses sagaïes d'ombre
dans la cervelle.

À la fenêtre d'à-côté
un oiseau s'est perché
qui veille sur mes pensées,
jusqu'à ce que le sommeil, brutal,
m'arrache à mes souliers trempés.

Thomas Bernhard
(traduit par L. Watt-Owen)


INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES / 2

zerotourond

Qu'y a-t-il derrière la fenêtre? from Zérotoutrond on Vimeo.
Dolly Rambo

Dolly Rambo


Le vrai son de la montagne



Rappel : On trouvera ici les précédents Interludes pour insomniaques

dimanche 13 février 2011

3 heures du matin

Chinatown, par L. Watt-Owen ©, 2007 / click to enlarge


" Or chaque jour, dans la vraie nuit de l'âme, il est à jamais trois heures du matin."
Francis S. Fitzgerald

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES

Une nouvelle rubrique, qui tâchera d'être quotidienne. 
On y trouvera en vrac de quoi distraire et voler quelques bonnes minutes à la nuit blanche.
Le tout testé efficace par le rédacteur.
L. W.-O.









samedi 12 février 2011

Juvenilia

Les Phénomènes de la nature, par L. Watt-Owen ©, 2007 / click to enlarge

Villages, beaux prés
taillis, futaies
La terre des morts
pour rien
ouverte au labeur
des vivants
qui ne se posent pas de questions
et lèvent de temps à autre
leurs grands yeux vides
aux lisières au-delà desquelles
les centaures hydrocéphales
se rongent les sabots
ou ruent contre les roches
qui imitent leur cadavre
et les renards fanés
croquent leurs puces
d’une canine branlante
en récitant du Ésope
indifféremment
à l’endroit ou à l’envers
sous le mirador
où la gamine trisomique
mord la bite bleue
du gros chasseur

L. Watt-Owen
1983

vendredi 11 février 2011

In memoriam Claude Riehl : "J'ai rompu avec la société tout entière…"


La Main de singe : — Comment s'est passé le séjour sur l'Île Lincoln où tu as œuvré dans l'isolement et l'incognito ?
Claude Riehl : — J'ai fait inscrire par piété en lettres d'or sur un rocher la formule suivante : "J'ai rompu avec la société tout entière pour des raisons que moi seul ai le droit d'apprécier. Je n'obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les évoquer devant moi ! "

Extrait d'un entretien avec Claude Riehl, 
La Main de singe, 2005, n°3 / nouvelle série

Le 11 février 2006 disparaissait brutalement Claude Riehl, qu'il serait inconvenant de réduire au "traducteur d'Arno Schmidt". Dès 1991, jusqu'en 2005, il collabora étroitement à la plupart des numéros de La Main de singe. Il en fut et en reste le grand inspirateur.  
Un riche site, auquel nous travaillons, lui sera très prochainement consacré, qui donnera nombre de textes, documents et images. On le retrouvera également dans les numéros "papier" de la nouvelle série de La Main de singe, bientôt feuilletable en ligne. Des publications de traductions inédites sont prévues. 
Nul doute qu'aux Élysées (voir le Tina d'Arno Schmidt !), bien entouré de Jules Verne, Oskar Panizza, Laurence Sterne, Tobias Smollett, Raymond Queneau, H.P. Lovecraft,  Jean Paul Richter, E.T.A. Hoffmann, Karl May, Sonny Boy Williamson, Charlie Parker, Edgar Pœ, Louis Scutenaire & cie, il veille à ce qu'on ne raconte pas n'importe quoi sur son compte. On le salue avec grande émotion. 
L. W.-O.
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Ci-dessus, Claude Riehl frappant à la porte d'Arno Schmidt, chez qui il va pénétrer pour la première fois. C'était en août 1992, à Bargfeld. Cette photo inédite a été prise par Laurence Chanel, et mise en scène par Claude Riehl et L. W.-O.


En mémoire de Claude Riehl

(22 décembre 1953 — 11 février 2006)


Howard-Phillips Lovecraft

À UN RÊVEUR

Je fixe tes traits, impassibles, si pâles à la bougie ;
bordées de noir tes paupières : tirées
sur des yeux qui ne voient plus rien de cette terre.

Et plus je te regarde, plus je voudrais savoir
par quels chemins te mènent tes rêves,
quels royaumes ils révèlent à ces yeux
qui n'aperçoivent plus rien ici, m'ignorent.

Moi aussi j'ai surpris dans mon sommeil
de ces choses que la mémoire refuse d'admettre
mais qui me reviennent peu à peu
à chercher ce qu'ils peuvent bien voir maintenant…

Moi aussi, tu le sais, j'ai connu les pics de Thok !
Et les combes de Pnath, où s'assemblent les inimaginables !
Et les caveaux de Zin ! — comment ne pas comprendre
pourquoi tu as tant besoin de cette simple bougie !

Quelle grimace semble crisper ton visage, tes lèvres barbues !
Oh quelle panique a dû s'emparer de ton esprit et de ton cœur !
Quelle froide sueur a perlé à ton front !

Les vieilles visions reviennent… Tes yeux se rouvrent :
où je distingue d'autres cieux, grouillant de démons !
Et leurs noirs essaims, c'est à ma poursuite qu'ils s'élancent
maintenant, dans cette nuit aveuglante !

H.-P. Lovecraft
(Traduction L. Watt-Owen, 11 février 2008)

Claude Riehl lecteur de Jean Ray



Harry Dickson, via Deadlicious / click to enlarge

Je reviendrai bientôt ici sur Jean Ray, écrivain sublime, dont je partageais le goût immodéré avec Claude Riehl : combien je regrette de n'avoir pas enregistré ou noté ce qu'il en disait ! Il faudrait montrer comment ses traductions d'Arno Schmidt, Oscar Panizza ou encore Albert Erhenstein, furent nourries de ses lectures de Jean Ray / John Flanders, de Lovecraft et de Céline (qui marqua tellement Jean Ray lui-même). En Claude Riehl, Jean Ray avait trouvé l'un de ses plus fins lecteurs, grand amateur et connaisseur (devant le diable !) de TOUTE la littérature fantastique, qui savait ce qu'il disait et lisait. Oui, oui, il faudra décidément y revenir très bientôt. En attendant, pour patienter, on relira La Maison de la cigogne : où l'on marche sur la Lande. L. W.-O.
Harry Dickson, via Deadlicious / click to enlarge

Ci-dessous, en hommage à feu Claude Riehl, ce documentaire très rare sur Jean Ray alias John Flanders.

jeudi 10 février 2011

"Le Dehors guérit"

Environs d'Attigny, Ardennes, par L. Watt-Owen ©, 2009 / click to enlarge

" Je respirai profondément. C'était délicieux de se retrouver, après si longtemps, devant un panorama qui avait quelque attrait pour mon cœur d'homme. J'avoue que j'aime voir une forme définie là où mes yeux doivent se poser; et si les paysages se vendaient comme les planches de portraits de mon enfance, un "simple à un sou" et un autre en couleurs "à deux sous", j'irais jusqu'à deux sous chaque jour de ma vie."
Robert-Louis Stevenson, L'Appel de la route

Juvenilia

On the road, par L. Watt-Owen © 2010 / click to enlarge
Vos femelles dansent
lourdes et gauches
comme princesses mandrills
Vos enfants horripilants
versent du somnifère
dans l’eau bénite
Ces petits merdeux ignorent
que nul n’en boit
Les termites rongent la tête
de vos idoles grotesques
Vous êtes abonnés
à la mort pornographe
Vos chiens mastiquent leur queue
Vos voitures sont ivrognes de pétrole
Vos chaussures sont fidèles
Vos oreilles sont bouchées
comme nombril
Vos navires sont à quai
virils et tatoués
fière forêt d’arbres morts
Ils ont peur de la mer

Être rien
sans crédit
vous ne le voulez pas

L. Watt-Owen, 
Genève / 25 août 1977

mercredi 9 février 2011

" Good morning people…"



" Tout le monde rit de nous, et nous sommes les derniers à le savoir. "
Vladimir Jankelevitch, L'Ironie

mardi 8 février 2011

Guetteur du vide

Guetteurs du vide par Louis Watt-Owen © 2011 /  click to enlarge

"Je n'ai pas d'amis, plus le moindre intérêt pour l'existence, aucun projet d'avenir. J'ai une frousse bleue de la vieillesse et, surtout !,  je m'ennuie prodigieusement. "


Vidéo : George Sanders biography

Video : George Sanders dans l'émission fameuse What's my Line ?

Le vélo de Cioran

Le vélo de Cioran, cimetière de Varengeville, 2008, par L. Watt-Owen©
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" Du temps que je partais en vélo pour des mois à travers la France, mon plus grand plaisir était de m'arrêter dans des cimetières de campagne, de m'allonger entre deux tombes, et de fumer ainsi des heures durant. J'y pense comme à l'époque la plus active de ma vie. "
Cioran, De l'inconvénient d'être né

L'année du lapin

"Des lapins", dis-je; "très simple; comme les lapins !".
Arno Schmidt, Brand's Haide,
La Main de singe n°2, Printemps 1992

lundi 7 février 2011

Abominable promiscuité


"C'est une loi sans doute naturelle qui veut que, tôt ou tard, deux voisins, même les plus courtois et civilisés, finissent toujours par en venir à un désir d'extermination réciproque."
Dostoïevski

dimanche 6 février 2011

Le clavier de l'improvisateur (Giorgio Manganelli et Arno Schmidt)

Giorgio Manganelli
Arno Schmidt


Puisqu'on me le demande, je redonne bien volontiers cette chronique mise en ligne en 2007 sur ce blog, que j'avais bazardée avec les tonnes d'archives.

 
"Le fait est que qui publie un livre en attend une rémunération morale qui n'est ni évidente ni nécéssaire ; et depuis quelques temps, entre présentations télévisées, remises de prix et salons du livre, l'auteur est habitué à se faire publiquement maltraiter dans une bonne intention : il est devenu personnage, il n'est parfois que personnage ; qui écrit et publie a certainement un narcissisme en montre, probablement ambitieux, mais fragile aussi; et il ne faut pas s'étonner si, promené entre roulements de tambour et flashes, il devient, peu ou prou, fou. L'écrivain est un animal hystérique, prompt à faire la roue - s'il a la queue ! - autant qu'à s'effrayer ; il est un peu infantile, et il peut arriver que le livre soit son jouet préféré ; et de cette façon, il n'est pas antipathique, on le supporte ; mais si ça lui prend, il se persuade qu'il est l'esprit du monde, et si quelqu'un le contredit, l'écume lui vient aux lèvres. Et cela n'est pas bien."

Giorgio Manganelli, le plus turlupinant des auteurs italiens, (1924/1990) partage décidément bien des traits communs avec son contemporain Arno Schmidt. Comme Schmidt, Manganelli traduisit Edgar Poe entre autres morceaux de bravoure anglo-saxons, goûta fort Dickens, Lovecraft, Shiel et Abbott, et n'en fit qu'à sa tête.

Ce n'est pas sans sursauter que le lecteur de Schmidt trouve ceci dans une chronique de Manganelli sur la Foire de Francfort :
"Le moment présent, celui auquel j'écris, est difficile, mais le moment antérieur au présent était catastrophique. Ici, à Francfort, on m'avait donné une machine-à-écrire électrique, une machine irascible, calviniste, pleine de tics nerveux, probablement en analyse chez un psychanalyste âgé, de ceux qui utilisent la plume stylographique. Après six lignes, j'ai jeté l'éponge, ayant écrit un nombre de signes de ponctuation, de x, de y, de & et de parenthèses suffisant pour un roman familial avec de nombreux homicides et mariages. J'écris maintenant sur une vieille Adler, doucement catacombale, et conçue pour écrire les essais de Freud et les poésies d'Hölderlin, mais pas la prose d'un journaliste méditerranéen incapable qui tape avec deux doigts." (in Le Bruit subtil de la prose, Éd. Le Promeneur)
La fameuse ADLER

L'Adler est en effet l'outil légendaire d'Arno Schmidt, sur laquelle il tapa les monstrueux tapuscrits de Zettels Traum, de Soir Bordé d'Or, de L'École des Athés et de Julia. Claude Riehl, son traducteur français, comme tous ses autres traducteurs, était équipé du même modèle d'Adler. Un engin peu gracieux. Lourd comme une machine à laver. Mais increvable. En quelque sorte l'anti-Underwood devant laquelle posaient les Faulkner, les Hammet, et les autres "yankees". Il n'en sort pas tout à fait le même genre de prose. Manganelli devait regretter avec le prêt de cette Adler boche la légéreté sautillante de sa bécane italienne (une Olivetti rouge Ferrari ?).

Tous deux n'avaient pas qu'un goût immodéré pour le burlesque et le tragique : leurs vies et leur "dégaine" les apparentent à des gagmen, pas forcément souriants, mais toujours drôles. Pas tout à fait malgré eux non plus, il ne faut rien exagérer de leur candeur. De sacrés comédiens de leur propre existence. Ces amoureux du hasard n'avaient bien entendu qu'un "motto" : Everything under control ! Leurs livres ne ressemblent à aucun de ceux de leurs contemporains, et leur grande méthode non plus. Ces expérimentateurs durent aussi gagner leur croûte dans la rédaction alimentaire, la traduction au kilo, la pige, les pièces radiophoniques. Chez Schmidt comme chez Manganelli, il n'y a pas une ligne à jeter. Tout est bon. Deux classiques.

Il y aurait également profit à rapprocher Manganelli du hongrois Miklos Szentkuthy. (Autre piste encore inédite).

On dit que Gadda redoutait Manganelli ? Gadda n'a jamais redouté n'importe qui.

Milanais installé à Rome, Manganelli fut aussi journaliste et chroniqueur. De ses nombreux livres (fort bien) traduits en France, on dit qu'il ne se vend pas bézèfe : l'Almanach de l'orphelin samnite, Discours de l'ombre & du blason, La Littérature comme mensonge, Chine et autres orients etc…

Qu'importe ?

Ceux qui savent savent, et fréquentent allègrement ses pages féroces.
Les autres n'ont qu'à lire Barrico, l'atroce Fallaci ou le vieux Moravia.
Manganelli a peu de lecteurs, mais ce sont de vrais amis.

L. W.-O.


G. MANGANELLI : "La toute petite, l’humble machine à écrire est aujourd’hui le clavier naturel de l’improvisateur."


Manganelli a peu de lecteurs, mais ce sont de vrais amis.

Et plus particulièrement Alice Guzzini qui dans un commentaire nous donne de savoureuses précisions sur l'usage de la machine-à-écrire par l'écrivain italien.
Pour la petite histoire, la machine à écrire du Manga se prénommait Patrizia… et voici grosso modo ce que le graphomane de luxe disait d’elle et de ses congénères, en introduction à un recueil de chroniques (ces perles irrégulières destinées à quotidiens ou magazines, montées en une demi-heure ou bonnes pour la corbeille sinon). (Note d'A. G.)


« La machine à écrire naît des amours capricieuses d’un clavecin inspiré et d’une tendre mitrailleuse-jouet. Ses traits dominants sont le clavier et un vacarme complexe. Par cet amour, le clavecin a déposé ses airs, et la mitrailleuse ses inoffensives fureurs enfantines. Les lettres que vous lisez sur les touches sont ce qui reste des anciens mélodrames, des comédies pastorales où le clavecin, complice consentant, se trouva impliqué ; un charmant don de noces. Incidemment, c’est pour cela que la machine à écrire raconte volontiers des romans et forme des projets épistoliers. Dans l’âme du dactylographe – entendu au sens le plus large – se cache un soliste des touches ; il est consanguin du pianiste, du claveciniste, de tous ceux qui vivent de et pour un clavier. Extrêmement attirant est le clavier ; devant les touches noires aux lettres blanches, les doigts s’agitent, comme des danseurs avant un ballet. Ainsi se passaient les choses, lorsque le claveciniste s’asseyait, seul, à son clavier. Il ne cherchait ni portée, ni métronome ; il voulait juste un clavier, et un public silencieux. Ses doigts parcouraient précipitamment exacts les touches candides et nocturnes : ils improvisaient. Des générations durant, l’air du monde frissonna de délice à ces volatiles improvisations que nous n’écouterons jamais. Si seulement Mozart avait pu graver sur un rouleau mobile de papier à musique les caprices d’une main dansante ! Improvisation : la machine à écrire possède ce don difficile, de capturer l’improvisation. Il y eut des improvisateurs pianistes, violonistes, chanteurs, poètes aussi : n’en reste que le témoignage stupéfait de quelques spectateurs. D’autres improvisèrent des discours : des catastrophes en résultèrent. Mais la toute petite, l’humble machine à écrire est aujourd’hui le clavier naturel de l’improvisateur. Exiguë, futile et svelte est l’improvisation : un peu futée et un peu bête aussi, un jeu pathétique, insulte suave ou gracieuse vulgarité ; elle est enfin, instantané, tout de suite disparu, le son d’un rire déjà oublieux de ce dont on riait. »
(trad. de Giorgio Manganelli, Improvvisi per macchina da scrivere, Milan, Leonardo 1989)

Je remercie Alice Guzzini de cette délectable initiative et précise qu'on peut la retrouver sur http://www.topolivres.com

Video : portraits de Giorgio Manganelli

vendredi 4 février 2011

Maison morte

Almanach, photo par L. Watt-Owen © 2007


Je retrouve cette page de 1986 :

Parfait ciel de turquoise
grand hiver inodore
Sous la neige
la terre noire
où hibernent les vers
L'arrogance des orées
l'idiotie des forêts
l'infini en trompe-l'œil
la maison leur tient tête
mais les termites la rongent
les roussettes la conchient
les gitans s'y masturbent
Un corbeau arthritique
engriffe une momie d'arbre
Ta rêverie gèle à mesure
tu la brises pour la fuir
Leur silence à tue-tête
voilà le chant des morts
Le vide de la maison
le pourri la mémoire
le pourri le pourri

Tu pichenettes ta braise
sur le fumier de verre
Tu craches sans conviction
sur le purin gelé
où patine un rat brusque
Dans le vieux cabinet
le gâteau des étrons
exulte comme l'Everest
(Un lourd mort invisible
est assis sur le trône)


(1986)


L. Watt-Owen ©


ANDREI TARKOVSKY - IN MEMORIAM
Le retour de Tarkovski dans sa maison natale.

"Tricher avec soi-même, c'est renoncer à tout…"



" Celui qui trahit une seule fois ses principes perd la pureté de sa relation avec la vie. 
Tricher avec soi-même, c'est renoncer à tout, à son film, à sa vie. "
Andreï Tarkovski

jeudi 3 février 2011

" I mean, I look like such an idiot. "


Vidéo : I say I say I say un film de et avec Peter Sellers, 1964

"Il y avait un moi sous le masque, mais je me suis fait enlever ce truc par un chirurgien."
Peter Sellers

Quelques autres formules, en VO naturlich :

"If you ask me to play myself, I will not know what to do. I do not know who or what I am."

"To see me as a person on screen would be one of the dullest experiences you could ever wish to experience."

"I'm a classic example of all humorists - only funny when I'm working."

"Women are more difficult to handle than men. It's their minds."

"I writhe when I see myself on the screen. I'm such a dreadfully clumsy hulking image. I say to myself, 'Why doesn't he get off? Why doesn't he get off?' I mean, I look like such an idiot. Some fat awkward thing dredged up from some third-rate drama company. I must stop thinking about it, otherwise I shan't be able to go on working."

"I feel ghostly unreal until I become somebody else again on the screen"

Rappel : le site  consacré à Peter Sellers.

Two normal guys…



The Unknown Peter Sellers / part 1

The Unknown Peter Sellers / part 2