samedi 1 octobre 2016

"L'enfer, ce n'est peut-être que la conscience du temps…"







Ci-dessus : video-surveillance du Musée de la montre et de l'horloge (USA)

"Cette nuit, ce matin plutôt, au lit, j'ai pensé que je devrais écrire un essai sur l'attention au temps. Car la maladie de tous mes jours, c'est à l'exaspération, à l'aiguisement de cette attention qu'elle se réduit. Ce matin donc, en me réveillant, la première sensation que j'ai eu a été celle de l'écoulement des heures, des heures indépendantes de tout acte, de toute référence extérieure à cet écoulement comme tel. 

Cette conscience éperdue du temps a été mon fléau toute ma vie. Dès mon enfance j'ai perçu la disjonction du temps de tout ce qui n'est pas lui, dès l'enfance j'ai senti l'existence autonome du temps., son statut séparé de celui de l'être, son règne propre. Le règne du temps, le royaume du temps, l'empire du temps.


Je me rappelle parfaitement cet après-midi d'été — je devais avoir cinq ou six ans — où tout se vida autour de moi, et il ne me resta plus que la sensation d'un passage sans contenu, d'une fuite en soi, d'un écoulement qui me fit peur. Le temps se décollait de l'être à mes dépends. Il n'y avait plus de monde, il n'y avait plus que du temps. Depuis lors je ne vis qu'accidentellement dans l'événement ; je ne vis plus que dans l'absence d'événement, dans le temps qui ne s'abaisse pas à l'événement.


L'enfer, ce n'est peut-être que la conscience du temps. "


Cioran, Cahiers

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