vendredi 18 juillet 2014

On taille la route



La Main de singe se met en pause quelques temps.
Équipé du strict nécessaire, le rédacteur taille la route et file au vert. So long…
L. W.-O.

mercredi 2 juillet 2014

À l'aise Blaise

Taxi Driver

"Le temps et mon humeur n’ont rien ont peu de chose de liaison. J’ai mes brouillards et mon beau temps au dedans de moi ; le bien et le mal de mes affaires mêmes y fait peu. Je m’efforce quelquefois de moi‑même contre la fortune. La gloire de la dompter me la fait dompter gaiement, au lieu que je fais quelquefois le difficile dégoûté dans la bonne fortune."

Blaise Pascal

Rien à voir




"La plupart des gens ne nous intéressent pas vraiment, ai-je tout le temps pensé, presque tous ceux que nous rencontrons ne nous intéressent pas, ils n'ont rien d'autre à nous offrir que leur misère de masse, leur bêtise de masse, et ils nous ennuient pour cette raison et nous n'avons naturellement strictement rien à voir avec eux." 
Thomas Bernhard, Des arbres à abattre 

Traduit par Bernard Kreiss

mardi 1 juillet 2014

Kahimi Karie !

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES

& MUSIQUE D'AMBIANCE



"La douceur de vivre a disparu avec l’avènement du bruit. Le monde aurait dû finir il y a cinquante ans ; ou, beaucoup mieux, il y a cinquante siècles. " 
Cioran, Cahiers













Look at the harlequin !

Atelier de mon oncle
par  Louis Watt-Owen ©
Saône-et Loire, 2009
click to enlarge

Autoportrait en blogueur. (Ainsi se voit le fantomatique blogueur que nul ne peut voir.)
L. W.-O.

Le clavecin des prés

Le Clavecin des prés
par Louis Watt-Owen © 29 juin 2014
click to enlarge

"En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques, la main d'un maître anime le clavecin des prés…"

samedi 28 juin 2014

"Qu’est-ce qui cloche avec les écrivains? Pourquoi en existe-t-il si peu qui vaillent qu’on s’y arrête?"





Bukowski vu par Robert Crumb



"N’empêche que je n’ai pas écrit une seule ligne ces trois dernières nuits. La tête me lâcherait-elle? Jusqu’alors, même lorsque je déprimais, les mots, impatients de monter en ligne, continuaient de bouillonner au plus profond de moi. Je fuis la compétition littéraire. Ni la gloire, ni le fric ne m’ont tenté. Je ne cherche à exprimer que ce que je ressens, un point c’est tout. Je ne me bats que contre les mots, et je préférerais encore mourir que de me retirer du ring. Disant cela, je ne sacralise pas la littérature, j’affirme simplement qu’elle se confond avec ma vie.
Lorsque je commence à douter de mon travail, il suffit que je lise l’un de mes contemporains pour qu’aussitôt je me reproche mon inquiétude. Je ne suis en compétition qu’avec moi-même: il me faut trouver le mot juste en m’efforçant d’en maîtriser l’emploi sans sacrifier le plaisir de jouer avec. Autrement, autant déclarer forfait.
Aussi, en me coupant du reste du monde, ai-je plutôt fait preuve de sagesse. Les visiteurs ne se bousculent plus chez moi. D’ailleurs, dès qu’un humain pointe son museau, mes neuf chats grimpent aux rideaux. Quant à mon épouse, elle tend de plus en plus à me ressembler. Je ne le souhaite pourtant pas. Cette manière d’être m’est naturelle. Mais ne ressemble pas à Linda. Je suis heureux quand elle prend la voiture et se rend dans quelque soirée. Après tout, j’ai bien mon putain d’hippodrome. Son grand vide sidéral m’inspire. Je ne vais aux courses que poussé par l’envie de me détruire en assistant aux premières loges à la mise à mort du temps. Là-bas, les heures passent, et je trépasse – il le faut. Le temps ne suspend son vol que lorsque je me retrouve devant mon écran. Mais sans perte il n’y a pas de gain possible. Pour deux heures de bonheur, on doit accepter d’en massacrer dix. En revanche, faites en sorte de ne jamais sacrifier TOUTES les heures, TOUTES les années de votre vie.
Je ne suis devenu écrivain qu’en me laissant emporter par l’instinct, il m’a ouvert les yeux, il a façonné mon style, et m’a maintenu debout. N’en demeure pas moins que c’est à chacun de trouver sa voie. Sa musique. Dans mon cas, il m’a fallu passer par d’abominables muflées, à la limite du delirium tremens. Grâce à quoi, ma phrase s’est affûtée jusqu’à pouvoir déchirer la page. J’ai eu besoin de me mettre en danger. Besoin de risquer le tout pour le tout. Avec les hommes. Les femmes. Les bagnoles. Le jeu. La faim. Avec n’importe quoi. Ce n’est qu’ainsi que j’ai pu développer ma manière. Et ça m’a pris des dizaines d’années. A présent, mes besoins se sont modifiés. J’ai davantage faim de subtilité, de désinvolture. Un souffle, une ombre, un rien. Faim de mots chuchotés, de mots saisis au vol. De choses vues. Quoique je ne me refuse pas deux, trois petits verres. Ils ne m’interdisent pas de flirter avec le clair-obscur, et l’ambiguïté. Je suis désormais friand d’expériences que j’ai du mal à analyser. Je m’en délecte. Et je pousse la chansonnette différemment. Ils sont quelques-uns à l’avoir remarqué.
"Vous avez franchi une limite", me disent-ils souvent.
Je comprends leur jugement. Je le partage. Un rythme plus direct, et cependant plus fiévreux, plus inquiétant. Je suis en marche vers d’autres horizons. Ma coexistence avec la mort m’a galvanisé. Les avantages que j’en ai retirés sont énormes. Je peux enfin voir et entendre les bruissements que ne distingue pas la jeunesse. Au pouvoir de l’immaturité a succédé le pouvoir de la plénitude. Non, je ne descends pas la pente. Hum! Hum! Sur ce, excusez-moi, il faut que j’aille au lit, il est minuit 55. Fin de cette causerie nocturne. Riez pendant qu’il est encore temps…"
"Je ne respirais qu’en compagnie des morts, écrivains ou musiciens. A leur contact, la solitude me pesait moins. Sauf que les livres débordant d’énergie et de mystère ne sont pas si nombreux et qu’il arrive un moment où on les a tous lus. Voilà pourquoi la musique classique aura constitué mon ultime refuge. Je passais des heures – et sur ce point je n’ai pas varié – l’oreille collée au poste de radio. Découvrais-je un morceau nouveau, qui témoignait de la puissance de son créateur, que j’en étais émerveillé – ce qui m’arrive encore assez souvent aujourd’hui. Tenez, tandis que j’écris ce que vous êtes entrain de lire, j’écoute une pièce dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Je me repais de chacune de ses notes, mon être tout entier vibre à l’unisson. Quand je songe, par exemple, à ce que les siècles passés recèlent de trésors, je suis saisi d’une émotion à nulle autre pareille. Ah! pouvoir enfin pénétrer le secret des ces âmes indomptables! Les mots me manquent pour exprimer ma pensée, disons que la musique m’aura offert la félicité, que je m’en nourris, que j’en suis transporté, et que je lui en rends grâces à chaque instant. Je n’ai jamais écrit une seule ligne sans que la radio ne soit allumée, la musique participe de ma création, l’oreille écoute tandis que la main peine à creuser son sillon. Un jour peut-être, quelqu’un se piquera de vouloir me démontrer pourquoi la musique classique me fait l’effet d’un Miracle permanent. Je doute qu’il y parvienne. Les prodiges ne s’expliquent pas. Mais pourquoi, oui pourquoi, les livres sont-ils dénués de ce pouvoir? Qu’est-ce qui cloche avec les écrivains? Pourquoi en existe-t-il si peu qui vaillent qu’on s’y arrête?"
Charles Bukowski, 
Le Capitaine est parti déjeuner
et les marins se sont emparés du bateau 
Traduit par Gérard Guégan,
Dessins de Robert Crumb 
© Le Livre de Poche



mercredi 25 juin 2014

Joël Roussiez : "Mon nom est un mystère"

Joël Roussiez par Louis Watt-Owen ©
Bretagne, 2011
click to enlarge







Cette nuit, sur France-Culture, dans son émission Du jour au lendemain, Alain Veinstein reçoit Joël Roussiez pour l'étonnant recueil de récits Temps Divers ou Le Jardin varié des jours, publié par les éditions Héros-Limite. (On pourra la réécouter et la podcaster sur le site de l'émission.)
Je reparlerai très vite de ce livre et de cet auteur tout à fait singulier, compagnon de route de La Main de singe depuis  longue lurette.
En attendant, je donne ci-dessous (sans autorisation ! et donc au risque de prendre un méchant coup de fourche) trois petits textes inédits récents de Joël Roussiez. 
L. W.-O.




Au loin, le coucou et la huppe appellent


Pour moi, ce sont les roses qui me réjouissent ce matin et dans le soleil levant les brumes au ras des prairies qui s’évaporent lentement. Dans tout mon corps palpite alors un plaisir déjà né pour la promenade et comme prématuré. Je piaffe en m’habillant et songe pourtant à retenir mon élan ; je passe en revue les impressions et les obligations ; libre je suis, il me faut y aller. Je chausse les croquenots et je me jette à l’eau. Mes chaussures sont déjà toutes mouillées et la rosée devant moi gicle comme une pluie claire. Je marche d’un bon pas et guette les chevreuils agiles, j’écoute les merles et l’envol du pigeon. Au loin, le coucou et la huppe appellent ou chantent tandis que mes yeux pleurent d’une maladie vaine qu’on nomme allergie.

Se jeter au fond


Un macareux aux yeux tristes s’en allait à la pêche au hareng. Il volait au-dessus des falaises de Moher et ne connaissait rien à l’art celtique. Cependant un jeune homme qui l’observait pensait qu’il décrivait des cercles et des croix. Et il en devint mystique, ce qui le conduisit au monastère de Siramac’h Hail où il vécut sa révélation en s’ôtant toute tentation par le port d’une robe rêche et de sandales fines. Dire que les voies du Seigneur sont imprévisibles, c’est supposer que telle était la voie de cet homme mais l’avenir n’a encore rien dit et présentement devant le puits du couvent, il hésite à se jeter au fond. 




Mon nom est un mystère


Je goûte le thé amer avec délectation et mon chariot oscille sous les secousses du monde. Ma barque nage dans le fleuve Ouri où je ne suis nanti de rien d’autre que de mes seules mains. Une histoire s’avance dans l’ondulation des vagues somnolentes ; je flotte à la dérive sous le ciel qui s’esquive, mon nom n’est pas mon nom et pourtant me voici ; j’arrive, j’accoste et dans le sable qui crisse, je tisse mon destin.




Textes inédits,
Joël Roussiez © 2014


lundi 23 juin 2014

Insomnia is good for you…

INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES

Peter Sellers est le meilleur ami des insomniaques.
La moindre de ses apparitions dope son homme.
Et le moindre de ses mots.
Comme celui-ci :
"Il y avait un moi sous le masque, mais je me suis fait enlever ce truc par un chirurgien."


Ci-dessus : deux "clips" du grand Peter Sellers retrouvés récemment !!!!






Ci-dessous : Peter Sellers en peintre-boxeur ! :



Peter Sellers et Ringo Starr se payent un Rembrandt et le découpent au ciseau ! :



Ci-dessous, encore la peinture ! The Party : La grandiose scène des toilettes ! :



Ci-dessous, Peter Sellers bibliothécaire : Is sex necessary ? :



Ci-dessous, best of The Party :




DU BONUS POUR LES INSATIABLES :
" I mean, I look like such an idiot. "

dimanche 22 juin 2014

Sur les hauteurs











La lettre d’un solitaire



" Si l’on veut comprendre la vanité des ambitions et des aspirations cultivées par l’homme dans les grandes villes, si l’on veut dépasser les illusions engendrées par l’assimilation au rythme fou de la vie moderne, il est plus que nécessaire, il est indispensable de faire provisoirement retraite. On se soustrait ainsi à la tyrannie de la civilisation, on transcende l’impérialisme vital de la vie elle-même. Il ne s’agit pas là de la sentimentalité romantique dont les éclats se complaisaient dans la solitude pour se plaindre de la désadaptation de l’individu, il s’agit du besoin de saisir les raisons d’être de la vie et du la culture non seulement par le truchement d’une expérience intense, mais également grâce à une perspective extérieure, à laquelle l’homme ne peut accéder que dans l’isolement. Le sens romantique de la solitude est dû à la négation de la réalité concrète de l’existence, au mépris de ce qu’elle a rendu pur et irréductible. La structure schizoïde de l’âme romantique a développé excessivement l’intériorisation mentale et donc la séparation organique d’avec le monde. Il y a dans la fuite du monde propre au romantique une incapacité structurelle de se maintenir dans le cadre immanent de l’existence, une incompréhension essentielle des affinités irrationnelles qui lient l’homme au reste de la création. Rien d’étonnant que les pires absurdités dans presque tous les domaines nous aient été léguées par les romantiques.

En fait, la solitude est un milieu de connaissance, une condition extérieure nécessaire pour délimiter des choses non individualisables quand on vit en elles. Il n’y a pas meilleur cadre pour fermer les plaies de ceux que leur vie intérieure, subjective, a fait souffrir. Plus que toute autre, la solitude en montagne permet d’accéder à un entendement serein de la vie. Les montagnes donnent l’impression d’une tanscendance majestueuse, d’une parfaite sérénité, leur rigidité solennelle semble nier la vie et son dynamisme. Tandis que la mer, avec son ondoiement incessant, paraît être une expression de la folle agitation de la vie, agitation qui ne révèle aucun sens. Au contraire, la montagne, dans sa sereine immobilité, est au-delà de la vie. Elle donne, aux gens qui y vivent en permanence, de l’humour et un esprit conciliant. L’humour est le propre des montagnards, car il naît seulement là où l’esprit considère les choses avec une supériorité naturelle, là où une vision totale de la réalité efface l’indignation et la révolte provoquées par les aspects individuels et limités de l’être. Chez les citadins, le sens de l’éternité s’est émoussé : ils se troublent pour le moindre désagrément, ils prennent au tragique de menues expériences plutôt que des vécus essentiels.

Le sentiment de la vie éprouvé par l’homme grâce à l’humour est une acceptation paisible du devenir et de la destruction des choses. L’humour révèle l’inutilité d’une problématique excessive concernant l’existence. Nous autres, habitants des grandes villes, ne pouvons plus vivre le stoïcisme naturel qui lui est sous-jacent, parce que nous assistons quotidiennement à des injustices et à des tragédies, parce que, scandaleusement impressionnables, nous vivons dans une insatisfaction permanente. Ce que nous appelons culture ne serait certainement pas né en dehors d’un déséquilibre nerveux, de sorte qu’il n’est pas paradoxal de mesurer à l’aune de celui-ci la normalité de l’homme.

La conscience est le produit d’un dérangement du système nerveux et elle atteint son paroxysme dans la neurasthénie. L’atroce réceptivité nerveuse de l’homme le détruira après l’avoir fait. C’est pourquoi sa déchéance est beaucoup plus proche qu’on ne le croit. Cela étant, ne nous étonnons pas que les hommes instruits soient inaccessibles à l’humour et à la sérénité. Comment être serein quand on se dit qu’un ami est marxiste, un autre spenglérien, un troisième idéaliste, et ainsi de suite ? Comment avoir la perspective de l’éternité quand, pour faire carrière, il faut apprendre toute une bibliographie, parler de mauvais livres qu’on a même pas lus, connaître tous les auteurs imbéciles qui ont écrit par obligation professionnelle, tous les ravaudeurs de la culture qui se sont occupés toute leur vie de l’œuvre des autres parce qu’ils n’avaient rien à dire ? C’est dans la solitude des montagnes que j’ai éprouvé avec le plus d’intensité le sentiment de l’inutilité complète de la culture et en particulier de la philosophie scolastique, farcie de formules abstraites et vides ; de l’inutilité de toutes les fades élaborations dénuées d’un contenu vivant, réellement ressenti. Il faut mener une campagne d’extermination contre la culture purement livresque. Je voudrais bien voir ce que deviendraient les intellectuels qui grouillent par le monde si l’on détruisait brusquement tous les livres. Je suis presque sûr que la plupart cesseraient de penser, car leurs prétendues idées n’ont pas été vécues, ils les ont empruntées aux livres. Ne trouvez-vous pas intéressant que des gens sans possibilités intérieures, qui se sont évertués à acquérir une certaine culture, redeviennent les nullités d’autrefois dès qu’ils renoncent à la lecture ? Il est vrai qu’aujourd’hui les idéaux de sagesse sont inactuels et même illusoires. La vie est devenue trop douloureuse pour que nous puissions croire que nous sommes seulement des spectateurs, et non des acteurs. Nous autres, modernes, nous avons perdu le sens de l’éternité, nous sommes incapables d’avoir une vision sereine de l’existence, nous vivons le temps comme un tourbillon dramatique et démoniaque, voilà pourquoi les idéaux de sagesse sont caducs. Les penseurs ( en tant qu’authentiques représentants de la culture) ont aujourd’hui une obligation impérieuse, essentielle : devenir des penseurs existentiels, vivre concrètement l’abstraction, élaborer selon le plan de la vision et non selon une combinaison stérile de concepts sans correspondance dans la réalité. Le jour viendra où l’on démasquera tous les pseudos-intellectuels qui croient penser parce qu’ils affichent une formule, qui se prennent pour des philosophes parce qu’ils acceptent un système étranger. L’impuissance spirituelle n’avait jamais trouvé auparavant de moyens de dissimulation plus sûrs pour draper sa nullité sous des formes empruntées.

L’absence de caractère organique de la culture contemporaine fait que l’homme ne vit plus dans des contenus mais dans des formules dont il peut changer comme il changerait de chemise.

Vous comprenez donc pourquoi il est nécessaire de se purifier sur les hauteurs."
E.M Cioran, 27 août 1932
Solitude et destin
© Éditions Gallimard
traduction d'Alain Paruit



samedi 21 juin 2014

"La Nuit des porcs vivants"

Fête de la Musique, Aveyron, 2013
par Louis Watt-Owen ©

click to enlarge

« (...) Notre monde est le premier à avoir inventé des instruments de persécution ou de destruction sonores assez puissants pour qu'il ne soit même plus nécessaire d'aller physiquement fracasser les vitres ou les portes des maisons dans lesquelles se terrent ceux qui cherchent à s'exclure de lui, et sont donc ses ennemis. 
A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n'avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d'avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu'on appelle Fête de la Musique, mais entend s'illustrer encore par de nouveaux forfaits, à commencer par la greffe dans Paris de la Love Parade de Berlin. 
Je suis véritablement chagriné de n'avoir pas alors fait la moindre allusion à ce dindon suréminent de la farce festive, cette ganache dissertante pour Corso fleuri, ce Jocrisse du potlatch, cette combinaison parfaite et tartuffière de l'escroquerie du Bien et des méfaits de la Fête. L'oubli est réparé. (...) »

Philippe Muray,
préface à la réédition de
L'Empire du bien

vendredi 20 juin 2014

"traversant rapidement les pâturages du monde"

Vaches près de Farrebique, Aveyron, 2013
par L. Watt-Owen ©

click to enlarge
« Que sommes-nous ? Un troupeau de bétail fantôme, des simulacres de souffle, des ombres passagères traversant rapidement les pâturages du monde en direction d’un cimetière où, sur un simple claquement de doigts, l’éternité est semblable à un jour et un jour semblable à l’éternité. »


Llewellyn Powys

mercredi 18 juin 2014

Le vélo de Cioran

Le vélo de Cioran, cimetière de Varengeville,
par Louis Watt-Owen © 2008

click to enlarge


"Du temps que je partais en vélo pour des mois à travers la France, mon plus grand plaisir était de m'arrêter dans des cimetières de campagne, de m'allonger entre deux tombes, et de fumer ainsi des heures durant. J'y pense comme à l'époque la plus active de ma vie. "
Cioran, De l'inconvénient d'être né


Photographie d'Erik Johansson ©

« Du vélo ! Vous aimez le vélo ! » Le visage de Cioran s'illumina. Un sourire d'adolescent et il eut quarante ans de moins. La petite reine jouait le rôle d'une petite fée.
— J'ai eu deux passions dans ma vie : 
la lecture et la bicyclette... J'en avais 
acheté une, de course, à un étudiant Rou
main qui repartait au pays. C'était avant 
la guerre. Jusqu'en 1950, j'ai sillonné la 
France, la Bretagne surtout... Pendant 
l'occupation, je tournais sur la place de la 
Concorde. J'avais l'impression d'avoir un
 vélodrome pour moi tout seul au beau
 milieu de Paris. Et quel vélodrome ! J'en 
ressentais comme une ivresse. J'ai décidé
 d’arrêter pour diverses raisons. D'abord, le
 surcroît de circulation. Trop de danger... Puis, au cours d'une étape dans un hôtel du midi, le patron me fit remarquer que «de recevoir un client à bicyclette était mauvais pour son standing». Enfin, on me refusa la permission de garer mon vélo dans la cave de l'hôtel où j'habitais à Paris. Confronté à cette ségrégation, j'abandonnais. J'ai compensé l'absence de vélo par la marche. » Il interrogea le promeneur sur ses performances cyclistes. Celui-ci lui avoua que de fumer deux paquets de cigarettes par jour, de boire quinze cafés (serrés) et de travailler 16 heures toutes les 24 heures l'excluaient du monde des prouesses. Il se contentait de randonnées hygiéniques en rêvant au champion qu'il aurait pu être. Un reste d'enfance.– C'est de la folie ! Un jour, la fatigue accumulée tombera sur vous... Il ne vous sera plus possible de récupérer... Vous regretterez vos imprudences comme je regrette les miennes. Supprimez les excitants comme le café »… Cioran dit encore qu'il était « un oisif », qu'il s'était souvent saoulé : « Pas comme un Français, comme un Slave ». Il relata une période de sa vie entre 1950 et 1953 — où il se rendait dans les cocktails littéraires : « Pour manger, boire et dire des paroles désagréables à tout le monde... Je me suis fait beaucoup d'ennemis à cette époque », ajouta-t-il.

Louis Nucera, extrait de Rencontre avec Cioran
paru en 1973 dans Le Magazine Littéraire
Le site de ce journal a eu la bonne idée de 
redonner en ligne la totalité 
de cette savoureuse chronique.


Photographie d'Erik Johansson ©



"Une agonie sans affres"



"Dans ce port normand, on vient d'attraper un gros poisson qui s'appellerait "Poisson de lune", et qui aurait été entraîné par un courant chaud, car il ne vit pas dans ces régions. Étendu sur la jetée, il se secoue et se tord, puis se calme et ne bouge plus. Une agonie sans affres, une agonie modèle."
Cioran, Écartèlement

mardi 17 juin 2014

"Puis-je en placer une maintenant ?"


"L'objectif de l'art n'est pas le déclenchement d'une sécrétion momentanée d'adrénaline, mais la construction progressive, sur la durée d'une vie entière, d'un état d'émerveillement et de sérénité."
Glenn Gould en 1962, in"Glenn Gould – Ein Leben in Bildern", Nicolai Verlag 2002, Berlin)













"Celui qui ne sait pas rire ne doit pas être pris au sérieux"

« Quand il jouait, affaissé devant le Steinway, il avait l’air d’un infirme, le monde entier le connaît sous cet aspect, or le monde musical tout entier a succombé à une illusion totale, pensai-je. Où que Glenn apparaisse, c’est l’image de l’infirme et du gringalet qui nous est montrée, la fragilité de l’esprit pur auquel on n’accorde que son infirmité et ce qui va de pair avec cette infirmité, à savoir l’hypersensibilité, alors qu’en fait c’était le type même de l’athlète, et cela nous l’avions remarqué aussitôt, le jour où il s’était employé à abattre sous ses fenêtres, de ses propres mains, un frêne qui, selon sa propre expression, le gênait pour jouer au piano. Tout seul, il scia le frêne d’au moins cinquante centimètres de diamètre, nous tint tout bonnement à l’écart du frêne, débita d’ailleurs le frêne séance tenante et empila les bûches contre le mur de la maison, l’Américain typique, avais-je pensé alors, pensai-je. A peine Glenn eut-il coupé le frêne déclaré gênant qu’il lui vint à l’esprit qu’il aurait pu tout simplement fermer les rideaux de sa chambre et baisser les volets roulants [...] Les adorateurs adorent un fantôme, pensai-je, ils adorent un Glenn Gould qui n’a jamais existé. [...] Plus que quiconque il était capable d’une sorte de rire irrépressible, et donc il n’y avait pas d’homme à prendre davantage au sérieux. Celui qui ne sait pas rire ne doit pas être pris au sérieux, pensai-je, et celui qui ne sait pas rire comme Glenn ne doit pas être pris au sérieux comme Glenn... »
Thomas Bernhard, Le Naufragé




"PUIS-JE EN PLACER UNE MAINTENANT ?"





Je trimballe toujours dans ma poche ce petit livre rose publié par les éditions Allia, Glenn Gould par Glenn Gould sur Glenn Gould.


" glenn gould. – M. Gould, d’après ce que j’ai entendu dire – et pardonnez-moi, mon- sieur, d’être aussi direct – vous êtes plutôt coriace en interview.
glenn gould. – Ah bon? Je ne savais pas. 
g.g. – Oui, c’est le genre de ragots que nous autres journalistes glanons à droite et à gauche ; mais je tiens à vous assurer que je suis tout à fait prêt à supprimer de notre entretien toute question qui vous semblerait déplacée. 
g.g. – Oh, je ne peux imaginer que de telles difficultés s’immiscent dans notre discussion.
g.g. – Bien. Alors pour commencer, et afin d’éviter tout malentendu, laissez-moi vous poser la question franchement : y a-t-il des sujets à ne pas aborder ?
g.g. – Je ne vois vraiment pas, non. À part la musique, évidemment. (…)"

Sur l'excellent site des éditions Allia, 
de bonnes feuilles en pdf.

lundi 16 juin 2014

Le cruel et son double / 7

Lecteur japonais de Clément Rosset à Fukushima le jour du tsunami









Sauf la première, ces vidéos épatantes d'entretiens filmés chez lui avec Clément Rosset, par Camille Tassel, avaient disparu depuis belle lurette de la Toile. Je les redonne ici, afin qu'elles ne soient pas perdues pour tout le monde.
J'en signale une, tout à fait formidable, où, sur la scène de la BNF, Clément Rosset est "cuisiné" par François Noudelmann. Ahuri par une espèce de fièvre, il annonce d'emblée qu'il risque de s'endormir à tout instant. Cet entretien d'une heure est un grand moment. Faute de pouvoir l'intégrer ici, j'en donne la bonne piste, d'autant plus volontiers qu'elle n'est pas dénichable si facilement : 
L. W.-O.

RAPPEL : les 20 billets évoquant Clément Rosset sur ce blog.

dimanche 15 juin 2014

You're talking to me ?



"Le taxi : — Où allez-vous ?
Le dépressif : —Où vous voudrez…"

Clément Rosset, La Folie sans peine