vendredi 25 mars 2016

"What do you want, motherfucker ?!?!"





La connerie générale bat des records. La Grande Faucheuse moissonne autour de moi. La physiologie déconne. L'insomnie et la dèche s'acharnent sur ce qui reste du pauvre type, qui sait pertinement l'avoir bien cherché et se complait à s'avachir au comble de l'ennui, de la répugnance, de l'aboulie et du cafard mais je ne suis pas du genre à gémir sur mon sort et à pleurnicher ou paniquer. Je passe mon temps à rire comme personne et tout seul de la catastrophe de chaque jour : le grotesque est partout et tout est du plus haut comique pour qui se tient à distance et refuse de participer. À commencer par sa propre existence, dont chaque journée n'est qu'un enchainement de gags irrésistibles, certes cuisants vécus de l'intérieur. J'en fais le moins possible, histoire de m'éviter bien des catastrophes. Je refuse d'aller jouer la moindre comédie, je n'attend rien de rien ni de personne et, aussi incapable de la moindre résolution que d'envisager le moindre espoir, je me contente de fumer, de feuilleter des ouvrages inadmissibles, de me lever à l'heure, bien avant l'aube, où l'élément démocratique sublunaire ronfle encore sur des matelas à crédit, de faire trois siestes par jour pendant que les ronfleurs réveillés et dopés aux antidépresseurs et à l'alcool se démènent au boulot ou s'exténuent à en chercher. Je savoure le luxe de n'être attendu nulle part et de ne contribuer en rien à la perpétuation provisoire de ce monde sur lequel je crache par la fenêtre sans souci que quelqu'un passe en dessous. Sans aucune vergogne, je me laisse dériver cap au pire, en sifflotant faux du Chet Baker ou en me répétant comme un mantra la formule magique de Cioran : "Dans ce monde d'avortons et de poufiasses, il s'agit malgré tout d'être digne".  J'ouvre au hasard les Propos sur la racine des légumes, de Hong Zicheng, et je lis en opinant : "Une intégrité rayonnante comme le ciel se forme dans l'obscurité d'une pauvre demeure" ou encore : "Il faut admirer l'homme assez éclairé pour secouer ses manches et quitter la fête quand elle bat son plein. Il peut marcher sans crainte le long d'un précipice." Je tâte et dorlote mes bobos, je cultive ma nostalgie, je retaille plus aigû encore le crayon dont je ne me sers pas. Je démonte, nettoie, graisse et remonte mon arme préférée : ma vieille machine-à-écrire. Je constate que la souffreteuse batterie de mon ordinateur est comme moi : elle se vide de plus en plus vite et se recharge de plus en plus lentement. Je rallume une cigarette. J'espère que ce con de boulanger a fait du bon pain, que le livreur a bien ravitaillé le bureau de tabac, que les éboueurs sont bien passé, que les militaires patrouillent avec des pétoires chargées afin que la chérie circule tranquillement en métro et me revienne entière avec tous ses beaux yeux, ses organes et sa frimousse sublimes, que les fonctionnaires de l'EDF veillent à ce que je puisse à tout moment me chauffer le cul, me percoler le meilleur des cafés, écouter du Henri Mancini ou du Ran Blake, ou brancher ma Stratocaster, surfer d'un œil torve sur la Toile en marmonnant des "Regarde-moi ce con !", mettre la radio et la couper aussitôt en lâchant des "Ta gueule, saloperie", etc… Brèfle… Cette belle vie est épuisante. Elle est réservée aux grands champions du surplace, discipline qui réclame tout le bonhomme, et s'avère pire qu'un marathon puisqu'elle est un marathon sans fin, sans concurrents, sans public, sans voiture-balai ni soigneurs. Je ne la recommande et ne la souhaite à personne. Elle serait fatale à qui n'est pas taillé pour. (Qu'on se contente d'y rêver !).
L. W.-O.

jeudi 24 mars 2016

"Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent…"



Depuis trois jours, des rafales s'acharnent sur mes terrasses et saccagent leurs mini-forêts. Les arbres se couchent, les fleurs s'envolent, les plantes sautent dans le vide. Tout était pourtant bien câlé, et arrimé à l'invisible fil de pêche. Vivre en étage élevé est un peu comme vivre sur un bateau : il faut s'attendre aux soudains passages-à-tabac. Ces bouts de ficelle n'ont pas tenu le coup. 

J'ai renoncé à sortir chaque fois tout remettre en place puisqu'aussitôt, dans mon dos, le vent renvoie tout valdinguer en ricanant et qu'on ne saurait, même moi, lui tenir tête. Et puis je n'ai que deux mains, l'une qui tient mon bob, l'autre mes lunettes.


J'observe le phénomène à travers les vitres, sur fond de nuages aussi rapides que dans un timelapse, tout en poursuivant, bien au chaud et bien à l'abri, ma lecture du Journal du Métèque de Jean Malaquais, où je tombe sur ces lignes de circonstance, datées du 16 septembre 1940 :

"Pour paraphraser Fielding (Essays on Nothing), il y a ceux qui prétendent écrire ce qu'ils pensent, et d'autres qui se flattent de penser ce qu'ils écrivent. Or, commente cet auteur, il en est d'une troisième sorte, bien plus nombreux, qui ne pensent guère avant de prendre la plume, et qui, couchant sur le papier ce qu'ils croient avoir dans la tête, ne produisent jamais que du vent. Eh bien moi, depuis que je gribouille ces notes, je me sens appartenir d'office à cette dernière fraternité."

Je relève les yeux vers la belle tempête. Les crayons oubliés sur la table foncent comme des flèches. Qu'ils aillent au moins se planter dans le cul ou la tête d'un con ! La table elle-même décolle, retombe, reprend de l'élan, redécolle. Les chaises bondissent et ruent. Mes papiers et mes livres tourbillonnent dans le vide puis sont soudain aspirés vers le haut, bientôt je ne les distingue plus. 

Me reviennent ces quelques vers de Jean de Sponde  :
"Le trait est empenné, l'air qu'il va poursuivant
C'est le champ de l'orage : Hé ! commence d'apprendre
Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent."

L. W.-O.

samedi 19 mars 2016

Just a little too much…

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Bien planqué parmi la végétation de mes terrasses, je me sens enfin à l'aise : leur luxuriance est la garantie de mon incognito. Voilà ce que je me disais avant de réaliser à quel point elle doit attirer l'œil. J'en ai peut-être rajouté un peu trop. J'éprouve la même chose chaque fois que je fais ou dis quelque chose en public.
L. W.-O.

Sors de ce corps !



"Chacun possède ses raisons pour s'évader de sa misère intime et chacun de nous pour y parvenir emprunte aux circonstances quelque ingénieux chemin. "

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.

jeudi 17 mars 2016

Chez le siphonné…



Visite du plombier. Il n'écoute rien de ce que je dis des lavabos et tuyauteries qui déconnent car il est halluciné par le nombre de livres, il n'en croit pas ses yeux, il n'en a jamais vu autant et se demande quel siphonné peut bien vivre dans un tel antre. Il n'a qu'une hâte : faire machine-arrière. Oublier ce qu'il a vu. Mais il reste planté-là, fasciné.
L. W.-O.

dimanche 13 mars 2016

"Vivant tout en haut d'une pyramide de cadavres …"



"(…) Peut-on savoir d'où vous viennent ces brusques assauts d'angoisse, comme cela, sans cause apparente, pendant que vous curez votre pipe, ajoutez une bûche au feu, entendez le claquement d'une porte ? Serait-ce le remords d'être vivant — vivant tout en haut d'une pyramide de cadavres ?

Ne rien regretter. Ne rien pleurer. Si, par sortilège, je me retrouvais tel qu'à mes seize ans, j'aimerais m'y voir avec mon âme de seize ans : revivre les mêmes expériences, commettre les mêmes sottises, jouir des mêmes bonheurs. (…)"

Jean Malaquais, Journal de Guerre, Phébus éd.

samedi 12 mars 2016

Du sommet de ma Tour de Babel…

The Tower of Babel /The Wind par Du Zhenjun
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Du sommet de ma Tour de Babel, vautré sur mon divan, j'aperçois distinctement à l'horizon de ma terrasse Est, pourtant à plusieurs dizaines de kilomètres, le skyline de mes montagnes natales et même, au-delà, le Mont-Blanc et la chaîne des Alpes. 
Après Ornette Coleman (Ramblin), puis la belle harpiste Dorothy Ashby (Stella by Starlight) j'écoute Carmen Mc Crae (My Foolish Heart), en relisant le formidable Journal de guerre de Jean Malaquais. 
Quel ouvrage éloquent à propos du "vivre ensemble" et de l'immonde promiscuité avec les bipèdes sublunaires  ! Mais qui lit de nos jours cet auteur saisissant ? Tant mieux ! Qu'il est délectable d'être le seul ou presque à lire des auteurs que l'on aime.

Je me demande où je vais bien pouvoir loger ma trentaine de machines-à-écrire dans ces 80 m2 envahis par les livres. Je n'en sacrifierai pas une seule.
En revanche, je songe à réduire drastiquement le nombre déjà riquiqui de mes derniers interlocuteurs, les cybernétiques, en éliminant les faux-cul, les réclameurs d'attention, les susceptibles, les lunatiques, les emmerdeurs, etc…. Quant aux interlocuteurs "en bugne-à-bugne", autrement dit in vivo, voici déjà belle lurette que l'épuration radicale en a été faite. Le pire des emmerdeurs est l'abruti toujours inopportun que j'aperçois dans le miroir. Mais j'ai trouvé l'astuce de repeindre le miroir en même temps que le mur, en noir. (Ma semaine de bonté est révolue : elle aura duré plus d'un demi-siècle. De l'indulgence envers les autres ou envers ce pénible et indécramponnable inconnu, le "moi-même", laquelle est la pire ?) 
Je regarde une nouvelle fois la vidéo du monstre marin énigmatique échoué sur une plage d'Acapulco car je me dis qu'il me ressemble terriblement — en tout cas je m'y reconnais tout à fait.
Puis je repique à une nouvelle sieste, en ruminant comme un mantra la formule de Cioran : "Dans ce monde d'avortons et de poufiasses, il s'agit malgré tout d'être digne." Tout est dans le malgré tout.
L. W.-O.

Jean Malaquais


mercredi 9 mars 2016

Vite je retourne me coucher…







De mes vastes et luxuriantes terrasses panoramiques, à chaque réveil de mes cinq siestes quotidiennes, sanglé dans un éclatant kimono de samouraï acquis à Kiabi, tout en sirotant le plus cher des cafés et en écoutant à fond la tonique musique flûtée dont on se régalait jadis à Pompéï, Lugdunum et Rome, j'observe, sans trop parvenir à les distinguer les uns des autres, des phénomènes grotesques : le ramassage expéditif des poubelles, le safari de la fourrière, l'effroyable Printemps des Poètes, la chorégraphie des créneaux ratés malgré l'assistance automatique, l'effarante Fête du Livre, la transhumance des opposants à la Loi Travail, l'ordinaire lendemain de la journée de la Femme, le dynamisme des jambons humains vers le boulot, Casino ou le toubib, etc… Tout cela est certes instructif mais j'ai tout de même un peu beaucoup roulé ma bosse et sais à quoi m'en tenir quant aux activités du lassant bipède sublunaire : tout ce qu'il peut bien faire m'emmerde tant d'avance que j'en baîlle déjà. 
Avant de retourner dormir, je relis le courrier du pirate Roussiez qui a pris la peine, à l'aube, de me recopier une belle lettre éloquente d'Henri Michaux, où il dit sans ambage, au pénible Marcel Arland, le 1er juillet 1976, son refus qu'on lui consacre un numéro spécial de la NRF : 
« Il y a encombrement de textes sur moi pour le moment. De nouveaux à l’horizon et un massif N° spécial. Le peu de goût d’écrire qui me reste disparaît devant ce flot. 
Je vous en prie, vous au moins, ne donnez pas le ridicule de cette accumulation soudaine de critiques et d’exposés sur H.M.
Qu’on publie un jour un article, soit. Mais que la NRF opère un rassemblement de masse sur le sujet en question, non. 
Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. 
Lorsqu’est arrivé le moment où sur le corps se désorganisant tout tour à tour devient danger grave, la chaleur de l’été, le froid de l’hiver, le manger, le mouvement, la mer, la montagne, les émotions, la lumière et les médicaments, alors la fatale disparition est proche. 
Du moins, que je ne finisse pas gavé de mon propre nom ».

Ainsi va la vie, mon ami… Dix millions de poètes, un seul Henri Michaux, voilà ce que je me dis.
Vite je retourne me coucher, en laissant tourner la belle et entêtante musique —  flûtes, trompettes, buccins & tambourins.

L. W.-0.