lundi 18 mars 2013

"C’est moi – le premier et sans doute le seul de mes problèmes : le seul, l’unique de tous mes héros auquel véritablement je tienne."







Witold Gombrowicz - Entretien 01/01/1970 /Gilbert-Maurice Duprez .
[ Enregistrement Audio Intégral ]

"L’art se crée parmi des hommes vivants et concrets, donc imparfaits. Il pullule de nos jours, ce genre de style qui vous fatigue et vous torture et vous arrache les boyaux, né d’une recette cérébrale, et fabriqué par des gens tout bonnement mal élevés. Il faut que votre verbe vise a tteindre les hommes et non les théories, les hommes et non pas l’art."
Journal, 1954


"Imaginez-vous mon “Journal”, Dominique, comme l’intrusion dans la culture européenne d’un paysan, d’un Polonais campagnard, avec toute la méfiance et le réalisme du paysan."

Testament. Entretiens avec Dominique de Roux

"N’empêche qu’on saurait à peine imaginer destin plus ironique : qu’il faille encore que moi, dans mon abîme, dans mon éloignement océanique, je me sculpte moi-même de ce brouillard, et que cette brume, cette nuée de vapeur, je la transforme en poing !"
Journal, 1963

"Ainsi, moi, je veux parler. Mais il me faut aussitôt avertir le lecteur : rien de tout ce que je dis n’est catégorique – tout est hypothétique... Tout. Oui, tout - et pourquoi le cacher ? - dépend de l’effet produit sur vous. Tel est le caractère qui détermine ma production littéraire. J’essaie divers rôles. "

"Ne vous laissez pas terroriser. L’expression « moi » est tellement essentielle, tellement fondamentale et remplie des réalités les plus tangibles et les plus sincères, c’est un guide infaillible et une pierre de touche tellement rigoureuse que, loin de la mépriser, nous devrions plutôt nous mettre à genoux devant elle. Je manque encore, semble-t-il, de fanatisme dans ma passion pour ma propre personne, et de même n’ai-je pas su – par peur des autres- me donner à cette vocation qui m’incombe et creuser suffisamment la question. C’est moi – le premier et sans doute le seul de mes problèmes : le seul, l’unique de tous mes héros auquel véritablement je tienne."

Journal, 1954

"Ma souveraineté, mon indépendance, et même mon insolence joyeuse, mon je-m’en-foutisme général, ma provocation permanente, ma confiance exclusive en moi-même, tout cela vient de ma situation sociale et géographique. J’étais contraint de n’avoir d’égards pour personne car personne n’en avait pour moi. Je me suis formé dans un isolement presque complet ; je présume que peu d’écrivains en ont subi un pareil. A peine remarqué, négligé dans la Pologne d’avant-guerre, puis écrasé par la guerre, ensuite mis à l’index par le régime communiste, et maintenant, ici, en Argentine. […] 
Je suis devenu audacieux car je n’avais vraiment rien à perdre : ni honneurs, ni bénéfices, ni amis. Il fallait que je me retrouve face à moi-même et que je m’appuie sur moi-même car je n’avais personne d’autre sur qui m’appuyer. Ma forme, c’est la solitude."
Journal, 1958

« Je suis le self-made-man de la littérature. »

Witold Gombrowicz

Les citations ci-dessus
sont empruntées
au riche site consacré 
à Witold Gombrowicz

DESSERT :

GOMBROWICZ ET "LA MAUDITE TARTE AUX POMMES"

"En France, vous êtes condamné à la maudite tarte-aux-pommes, partout vous êtes menacé par la tarte-aux-pommes, vous ne pouvez pas vous échapper de la tarte-aux-pommes, jamais…"



samedi 9 mars 2013

" Les femmes, le sein nu courent, impudentes et lubriques, dans les rues ; les hommes brûlent d’une ardeur de bouc. "




Alfred Jarry, Le Moutardier du Pape


Le Grand Muletier : 
"Le Pape sait tout faire très bien, c'est son métier : 
il est infaillible."

Alfred Jarry, Le Moutardier du pape

On peut feuilleter en ligne et télécharger
le PDF de l'Édition Originale
sur le riche site de la B.M. de Laval 





« Seigneur, j’arrive d’Italie. De Naples. J’ai d’horribles choses à te rapporter. Les marécages du péché envoient jusqu’au ciel leurs effluves empestés ! Tous les liens de la décence sont relâchés ! On se gausse des Saints Commandements que Tu as toi-même donnés sur le Sinaï. La ville assiégée par le roi des Français, s’adonne aux plus effroyables abominations. Les femmes, le sein nu courent, impudentes et lubriques, dans les rues ; les hommes brûlent d’une ardeur de bouc. Le vice répond au vice. La mer reflue jusque dans les ruelles et le soleil déjà s’est obscurci, mais nul ne prête attention aux signes, qu’ils soient terrestres ou célestes ! Plus de distance entre les classes ! Le roi fréquente les lupanars, tandis que le faquin pénètre dans le palais pour aller trouver les vénales concubines ! Les chiens et les coqs, certes, connaissent l’époque du rut, mais les Napolitains, eux, sont des animaux tout au long de l’année ! La ville tout entière est une immense chaudière où bouillonnent les passions. Si l’Italie est de tous les peuples d’Europe celui que l’amour rend le plus fou, Naples est à l’Italie ce que l’Italie est à l’Europe ! Le siège de la ville a porté la frénésie sexuelle au paroxysme de la démence. Point d’égards pour la vieillesse, point de pitié pour la jeunesse ! On promène par les rues, en cortège de fête, des membres virils d’une taille colossale, telles des divinités ; les jeunes filles les entourent de leurs rondes et les adorent comme des idoles toutes-puissantes. Et dans Ton Église, j’ai vu le prêtre devant l’autel, avec une créature vénale ! »
Une tragédie céleste en cinq actes
Traduction revue et augmentée 
par Pierre Gallissaires
coédition Agone / Cent Pages

samedi 2 mars 2013

"Un sale petit ciel de dix heures du matin en plein après-midi, un sale petit ciel de ville avec de la fumée dans les coins."






Alain Gheerbrant vient de disparaitre à l'âge de 92 ans. Ce poète et "voyageur révolté et ludique", explorateur, ethnologue, publia après guerre la revue et les éditions K, qui donnèrent certains des plus grands textes d'Antonin Artaud, dont Main d'ouvrier et main de singe — que je ne lus pas pour rien quand j'étais gamin. L. W.-O. 


Un extrait de son livre sur l'Orénoque :

" En sortant de l'avion je fus déçu.
Il faisait froid jusqu'au cou, aigre jusqu'aux oreilles. Il pleuvait. Un sale petit crachin d'octobre mal éveillé.
Un sale petit vent de Toussaint.
Un sale petit ciel de dix heures du matin en plein après-midi, un sale petit ciel de ville avec de la fumée dans les coins.
Qui comprendrait ce que je venais chercher ? Il suffisait que je veuille parler, que je tente de m'expliquer pour que cessent les conversations et que s'arrêtent les gens avec impatience autour de moi.
«Alors ! disaient tous ces regards, il se dépêche, oui !»
Il me semblait être tombé encore une fois dans un monde qui n'avait plus de temps à perdre.
Il me fallut ruser, cacher au fond de ma poche dans mon poing serré, le rêve qui m'amenait là, ne le montrer qu'à la dérobée, dans l'ombre des porches et dans les rues du peuple, lézardées de nuit, et dans les cafés allumés comme des étoiles au bout de la ville.
Le monde était recouvert de craie, c'était une nuit de plein jour, et par où la traverser ? Je cherchai le fil.
Quand tout un peuple fut mort ou noyé dans l'alcool, une politique rigoureuse s'instaura dans l'ordre et la dignité. Ce fut elle qui entreprit de tout restaurer et qui pansait plaies et cratères en ce mois de septembre où j'arrivai. Tout était nettoyé, plâtré, bétonné, mais le 9 avril fumait encore dans les hauts comme dans les bas quartiers.
À Bogota où j'arrivais en septembre 1948 pour chercher un monde oublié mais qui continue d'exister, il fait froid et l'eau bout à quatre-vingt-cinq degrés sur deux mille six cent trente mètres de montagnes et de rochers.
À quatre degrés en contrebas, sur la barre rouge de l'équateur, chantent les singes et les perroquets posés, l'air est plein d'eau et les palmiers font place à la forêt où marchent nus, couverts des plumes du musée, les caciques, les sorciers et les guerriers. Depuis l'aéroport de Bogota où je débarquai, il me fallut huit mois pour attraper le fil de la rampe qui passe par les orchidées, les musées, les hauts et les bas quartiers, et qui descend jusqu'où j'allais m'aventurer."

Alain Gheerbrant