Je pratique sans vergogne le délit de sale gueule : tous ceux qui la ramènent dans le poste, sur la toile, sur la moindre tribune, tous ceux qui veulent se vendre, me convaincre, me bourrer le mou, me pédagogiser, qui me font du chantage moral, me prennent pour plus con qu'eux qui ont tout compris, tous ces agents moraux, ces spécialistes, ces infatués auteurs, ces pipoles, ces baratineurs intarissables, ces faux cul, ces lèche-cul, ces groins sonores, journalistes, écrivains, philosophes, chroniqueurs, acteurs, politiques, animateurs de talk-show, etc…, tous ceux qui me prennent de haut ou, encore pire !, pour leur semblable ! etc… ces tronches de cake (comme on disait dans mon vieux temps) portent leur saloperie, leur connerie, leur abjection, leur ignominie, leur stupidité, leur vanité, leur infatuation, leur orgueil, leur trouille, leur manque de génie, leur inculture crasse, leur manque de goût, leur misérable sexualité, leur perversité, leur prétention inouie sur le visage. Ils la ramènent sur tous les sujets, ont toujours quelque chose à dire, toujours quelque chose à nous fourguer la main sur le cœur, leurs ignobles bouquins, idées, spectacles, programmes, leçons de vie, promesses, recettes, solutions, et autres refrains à la con à vendre etc…
Ils se répandent partout. Ils sont devenus inévitables depuis qu'ils portent, en plus, plusieurs casquettes. Ce cuistot étoilé écrit des essais sur l'oppression cybernétique et milite pour les toilettes sèches, ce romancier effarant est aussi critique, éditeur, membre de jury et a des idées en matière de géopolitique, de réchauffement climatique et de sport, il va bientôt sortir un disque, cette starlette se pique de coaching, de mécanique et de taoïsme, cet universitaire incontinent est aussi un marathonien de l'extrême, ce repenti d'une secte est un fondu de cuisine moléculaire et spécialiste des films de François Truffaut, ce rappeur analphabète est devenu un grand acteur et publie son autobiographie où il cite Schopenhauer, ce ministre des finances videur de nos bourses publie un roman où il nous raconte comment il se masturbe dans sa baignoire en lisant Thomas Bernhard en boche, cet ancien hurleur punk se produit désormais avec les Enfoirés pour les Restos du cœur, cette ex-politicienne s'est reconvertie dans la pédagogie sexuelle et se dévoue dans l'humanitaire, cet auteur de best-sellers est devenu réalisateur et se réclame d'Orson Welles et Tarkowski, cette putain d'actrice balance son porc, cet humoriste sinistre est féru de Michel Onfray, ce présentateur de JT fait son outing dans un magazine gay en exhibant ses tatouages et ses cicatrices et déclare sa double passion pour Cioran et une série télé gore et se dévoue dans le privé pour les enfants atteints de maladies rares en faisant des selfies dans les hopitaux, cet ancien mannequin anorexique écrit des livres contre le tabac, le cannabis et la betterave rouge, cette merdeuse de Télé Réalité connue pour les ravages de son vagin accueillant dans le monde politique fait des publicités pour les déplacements durables en trottinette électrique et lance une pétition contre Donald Trump, etc…
Je refuse de les lire, de les écouter, je ne peux absolument pas les voir et leurs immondes petites affaires ne me regardent pas. Je n'ai rien à voir avec eux et ne veux absolument pas marcher dans leur combine. Je m'abstiens sanitairement de leur prêter la moindre attention. Je les ai d'avance en aversion radicale. Il me suffit pour qu'ils me répugnent, d'avoir croisé une seconde dans un kiosque, une librairie, sur la toile ou à la télé leur gueule impayable de tarés absolus et d'ordures abjectes, leur suffisance satisfaite de connards et connasses, qui croient que je vais leur faire crédit.
Leur gueule, que dis-je ! : leur sale gueule. Leur grande gueule. Leur sale grande gueule. Leur tête de con. Leur grosse tête, flatulente et puante, d'enflures. Leur trogne effarante et éloquente à elle seule de ce qu'ils sont. Qui ne me revient décidément pas, et ne me reviendra jamais.
En pratiquant sans vergogne le délit de sale gueule, je m'épargne ainsi de lire, écouter, regarder, fréquenter tout ce beau monde. Je les devine au premier coup d'oeil : ils incarnent leur propre caricature.
L. W.-O.