"Rêve que je suis dans une cage d'ascenseur qui est très étroite et ressemble à un cercueil fait de bois de sapin. Nous sommes au dixième étage. Comment puis-je le savoir, puisque cette boîte est dénuée de toute indication d'étage ? Toujours est-il que j'ouvre la porte, c'est-à-dire le couvercle du cercueil, mais constate qu'au dehors il n'y a rien, que de l'espace vide. Je referme aussitôt la porte-couvercle et attends qu'un miracle se produise et me fasse redescendre jusqu'au cinquième étage où se trouve mon appartement. Le miracle se produit et l'ascenseur redescend pour s'immobiliser à un étage que j'espère être le bon. J'enfonce précipitamment la porte et me retrouve sur mon palier.
Ouf ! Mais, comme le dit Verlaine au début de Sagesse : "Au moins attention. Car c'est bon pour une fois. "
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Paris, premier août 2005
"Je suis au bord d'un bras de mer qui me sépare d'une côte située au large. Survient quelqu'un qui me dit : "D'ici une heure ou deux, une barque viendra vous prendre pour vous transporter là-bas." J'acquiesce mais me demande pourquoi je dois aller là-bas, où je n'ai rien à faire. Il est vrai que je n'ai rien à faire ici non plus.
Au-delà de l'allusion claire au fleuve des morts et à son nocher Caron, le plus pénible est ici le sentiment, persistant après le réveil, que je ne sais ni ce qu'il y a là-bas, ni ce qu'il y a ici, ni qui m'a parlé, ni qui je suis. Il ne reste qu'à continuer à ne rien faire, comme L'Innommable de Beckett. "
Clément Rosset,Le Monde perdu, Fata Morgana, 2009
" Le point de départ de ma philosophie est la conscience du tragique de l’existence : tout est promis à disparaître, la mort nous entoure et nous sommes menacés par notre propre inconsistance. Or on refuse le tragique et la mort. Et ce refus du tragique, donc de la réalité, se paie très cher. À l’inverse, la capacité d’admettre la part tragique du réel est pour moi la pierre de touche de la santé morale et de l’allégresse. Il faut apprendre à vivre avec le tragique. "