"Je dois désormais me contenter du rôle honteux de survivant."
Cioran , Manie épistolaire.
Je suis tombé par hasard sur ces deux vidéos rares, sans doute récemment mises en ligne, où l'on peut suivre et écouter Cioran in vivo, tel quel, sans fioritures ni tralala, ni cinéma, timide et poli, attentif, gêné et généreux. L'indiscrétion de ces petits films tournés sans son avis nous fait voyeurs, mais bon, ils sont tout à son honneur, et puis combien de traces nous restent de cet homme exceptionnel ?
Faute de pouvoir mettre mieux en ligne aujourd'hui, je retombe sur ce poème improvisé sur ce blog le premier juillet 2015, quasi dix ans !!!! que j'avais complètement oublié, comme les rares qui l'ont peut-être lu jadis.
Je n'ai pas changé de mode de vie, sauf que je ne fume plus que des cigarettes imaginaires. Et le buffle de cuir noir, descendant de celui de Lao Tseu, a fini par crever sous ma lourde flemme. Et j'ai déguerpi de la sinistre Rue de la Mouche, transhumant vers une vertigineuse tanière inexpugnable, avec un nerveux troupeau de dix mille bouquins à la queue leu leu.
Le Yéti de la rue de La Mouche s'est levé comme tous les jours avant tout le monde bien avant l'aube pour la voir venir et profiter un peu de la ville vide et silencieuse
Il ouvre grand la fenêtre sur la zône Seveso Il salue la lune et sa bonne étoile et Louis-Ferdinand Céline mort un premier juillet (le Yéti de la rue de La Mouche avait déjà 4 ans !)
Le Yéti de la rue de La Mouche pompe alternativement du tabac Caporal et de l'oxygène avant que la canicule n'enfle à l'unisson de la résurrection des zombies, de leur boucan terroriste et de leur grouillement étouffant, de leur puanteur vomitive, de leur rayonnante bêtise écrasante
Le Yéti de la rue de La Mouche attrape et relis Portions from a wine-stained notebook "The language of man's writing comes from where he lives and how."
Le Yéti de la rue de La Mouche sirote de l'arabica bouillant et de l'eau glacée
Le Yéti de la rue de La Mouche invoque les dieux, qu'ils pourrissent un peu aujourd'hui la vie de quelques mufles et autres fâcheux
Il taille un crayon neuf jusqu'à ce qu'il n'en reste rien qu'un tas de pelures qui sent bon le cèdre et le graphite et branche le ventilo qui disperse tout
Le Yéti de la rue de La Mouche poursuit une mouche avec son gros couteau
Il croque un méchant biscuit de chien portugais
Le Yéti de la rue de La Mouche engage une tranche de jambon rose dans le rouleau noir de son Olivetti verte
Il se dit qu'il est temps d'attaquer la première de ses trois siestes
et à l'heure où les zombies se réveillent le Yéti de la rue de La Mouche va s'allonger sous l'oranger et le citronnier en PVC sur le dos du buffle noir qui lui sert de divan
Il met très fort Bordello Queen d'Isobel Campbell pour dorloter son cafard et s'endort comme un bienheureux