samedi 29 août 2015

Tropical Heatwave










Comme chaque année, la canicule, depuis fin mai, écrase son homme dans cette ville où la propagande municipale admet certes qu'il fait peut-être désormais sous notre latitude la même température qu'à Avignon à la Libération et va jusqu'à reconnaître que selon quelques spécialistes portés sur l'exagération alarmiste, le climat d'Alger et du Sahara règnera par ici un jour, entre Rhône et Saône, mais seulement à l'horizon 2100, autrement dit quand nous serons tous tellement morts que nous ne serons plus vraiment en mesure de nous en plaindre. Or si j'en juge par l'impartial thermomètre que j'ai cloué à l'extérieur de ma fenêtre, on atteint les 50 degrés, à l'ombre naturlich !, et l'appareil reste modeste dans son estimation calorique : il n'est gradué que jusque-là. Et cela dure depuis dix ans au moins. Ce qui signifie donc qu'il fait déjà, par ici, n'en déplaise à la propagande municipale, dans cette ville jadis réputée pour son brouillard et son hygrométrie, et cela depuis quelque longue lurette, la même température, de mai à octobre, qu'à Ouagadougou ou à la Compagnie Pordurière du Petit Togo. Comme en témoignent d'ailleurs le pullullement des moustiques géants, porteurs de la dengue, et même les escadrilles de mouches tsé tsé que je passe mes journées à écraser dans ma cuisine avec un numéro de Philosophie Magazine remonté des poubelles à cet effet, non pas certes pour le lire. (Je suis complètement abruti par le délire calorique mais pas au point de lire une tapette-à-mouches.) Impossible de rien faire d'autre qu'écouter de vengeresses musiques de circonstance.
L. W.- O.

mercredi 26 août 2015

"Dans ma cellule !"

Gary Larson
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"Je fais ce que je veux moi dans ma cellule !"

L.-F. Céline, Féérie pour une autre fois

mardi 25 août 2015

It's a wonderful life



Video : Sparklehouse (musique) & Guy Maddin (Film)


"Je chante et pleure, et veux faire et défaire, 
J'ose et je crains, et je fuis et je suis, 
J'heurte et je cède, et j'ombrage et je luis, 
J'arrête et cours, je suis pour et contraire,

Je veille et dors, et suis grand et vulgaire, 
Je brûle et gèle, et je puis et ne puis, 
J'aime et je hais, je conforte et je nuis, 
Je vis et meurs, j'espère et désespère ;

Puis de ce tout étreint sous le pressoir, 
J'en tire un vin ores blanc, ores noir, 
Et de ce vin j'enivre ma pauvre âme,

Qui chancelant d'un et d'autre côté, 
Va et revient comme esquif tempêté, 
Veuf de nocher, de timon et de rame."
Abraham de Vermeil





lundi 24 août 2015

"Moi-même, Cioran, les aphorismes…"







"La vie consiste en un enchainement de stupidités, peu de sens et beaucoup d'absurdité. Peu importe de qui il s'agit. Que ce soient des gens grandioses, ou du moins présentés comme tels, tous autant qu'ils sont, y compris moi-même, Cioran, les aphorismes. Tout cela est misérable et en fin de compte ne mène à rien."

Thomas Bernhard
Ceux qui veulent mener une conversation
Traduit par Daniel Mirsky


dimanche 23 août 2015

"Alone with everybody"





the flesh covers the bone
and they put a mind
in there and
sometimes a soul,
and the women break
vases against the walls
and the men drink too
much
and nobody finds the
one
but keep
looking
crawling in and out
of beds.
flesh covers
the bone and the
flesh searches
for more than
flesh.
there's no chance
at all:
we are all trapped
by a singular
fate.

nobody ever finds
the one.

the city dumps fill
the junkyards fill
the madhouses fill
the hospitals fill
the graveyards fill

nothing else
fills. "



Charles Bukowski
Love is a dog from hell

jeudi 20 août 2015

"Avons-nous jamais été dans les images qui composent nos souvenirs ?"







Videos ci-dessus : Jean Louis Schefer filmé aux éditions POL 
par Jean-Paul Hirsch, à l'occasion de la parution de 
Pour un traité des corps imaginaires (POL, 2014)


"(…) Aussi les œuvres, qui de droit appartiennent à quiconque peut en jouir, sont-elles malgré tout partie de notre secret comme une sonate ou une mélodie prend pour nous, à tout jamais, son prix non de la partition mais de l’exécution dont l’interprète est appelé le musicien et restera, pour nous, l’auteur dans le moment où nous l’avons d’abord aimée – c’est que les œuvres ont fait, en nous, là où nous croyons qu’il existe des souvenirs, élection de cette minute qui nous a séparés du monde et de l’abomination de nous-mêmes parce qu’alors nous étions la musique ou le trouble éveillé par les lignes, les couleurs qui, comme un navire lâche ses amarres et ne part qu’en enfonçant son soc dans l’eau, devaient remuer en nous une eau si profonde et peut-être si ancienne qu’elle pouvait accueillir en son sein, à sa surface, dans ses profondeurs, l’être sans poids, sans destin, que nous eussions été, comme dotés du pouvoir divin de nous mettre au monde. Les tableaux que nous avons aimés, les mélodies qui ont chanté en nous et dont nous épousons, à leur évocation, la souplesse et les rythmes particuliers, sont faiblement contemporains dans une espèce d’illusion de notre permanence, des jours, des heures, des lieux mêmes et des situations où ils sont apparus pour la première fois. C’est leur avènement qu’ils commémorent le plus sûrement et ce sont peut-être les seuls événements d’un passé dont se sont effacés les vivants et les êtres les plus chers; comme si une telle séparation du monde était devenue effective et ne gardait que le trouble des instants devenus couleurs, sonorités, et dans lesquels ces mutations de l’âme que l’on appelle joie ou bonheur, et dont la mémoire, à nouveau sollicitée, est l’impatience renouvelée, avaient été notre secret. Je ne crois pas que nous dotions ces œuvres d’un sens particulier qui les préserverait – par un style qui serait le critérium général de nos attachements – mais parce que la raison secrète ou dernière de ces élections de ferveur ne peut s’expliciter en raison – puisque c’est une part de l’énigme de la vie même qui sous tel motif, par telles couleurs, dans cette ligne harmonique se trouve à l’instant préservée hors du temps et ainsi scellée du cachet de nos affections que cet effet que nous croyons la vérité de l’œuvre resterait invisible à quiconque. (…) "
Pour un traité des corps imaginaires
© POL éditions, 2014




Extrait de la 4ème de couverture :

"Le monde de la mémoire par lequel nous tenons à la réalité passée est un univers d’images dont nous ne sommes pas départagés. Le retour du passé (vécu, imaginé) est-il celui d’images dans lesquelles nous sommes pris comme des corps transparents, des semblants d’existence ? Que régissent les images ? Elles sont au carrefour de tout processus de pensée et comme le substrat sur lequel s’édifie l’interprétation d’un réel qui ne peut exister sans langage et sans imaginaire, c’est-à-dire sans les formes par lesquelles nous l’appréhendons. Cet essai n’a d’ordre que celui d’une promenade (méditation d’un promeneur) dans ce que nous croyons le temps : dans ce que la mémoire a immobilisé pour notre éternité. Deux tableaux ponctuent ces méditations : le portrait d’une jeune fille par Berthe Morisot, une chambre vide à Venise peinte par Turner. Le texte fait le songe de la réalité que la mémoire invente. Avons-nous jamais été dans les images qui composent nos souvenirs ? Elles sont les corps étrangers dont notre mémoire se nourrit."
BONUS :

Autres billets consacrés à Jean Louis Schefer 
sur le site La Main de singe.

L'HOMME ORDINAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE

 (Archives Main de singe, 1991)




mercredi 12 août 2015

Talking head


4 heures du matin. Un vieil arabe fait une volubile conférence aux poubelles juste sous ma fenêtre du premier étage. Je suis si gêné de l'écouter que je referme la fenêtre trop vite, elle claque et couine. Il m'aperçoit mais se contrefout totalement de ma présence, à un point qui me trouble énormément. Il poursuit son monologue en m'ignorant, d'une voix qui porte et fait presque chanter mes vitres. Je ne comprend rien à son charabia, contrairement aux poubelles qui ont l'air captivées. Cet homme qui parle tout seul, à personne, en impose. Un homme qui s'adresse à un autre est toujours grotesque. 

L. W.-O.

mardi 11 août 2015

"Aussi démuni que le personnage qu'il filmait…"






"Quand Godard tournait A bout de souffle, il n'avait pas de quoi s'offrir un ticket de métro. Il était aussi démuni, sinon davantage, que le personnage qu'il filmait."
François Truffaut

samedi 1 août 2015

Hold up pour lire Clément Rosset


"Vous m'avez parfaitement compris !" répondit Clément Rosset à des étudiants d'Oxford qui, à l'issue d'une conférence, étaient venus lui demander : "Mais au fond, ce que vous appelez joie de vivre, ce ne serait pas tout simplement ce que nous, les jeunes, on appelle… le cul ?!?"
L. W.-O.

Clément Rosset par M. Gener, El Pais


HOLD UP POUR LIRE CLÉMENT ROSSET

Ayant appris que Philosophie Magazine donnait, sous un titre aberrant à la "Libé" (Les visiteurs du Soi !!!) dans son numéro d'été un entretien, paraît-il copieux, entre Pierre Bayard et Clément Rosset, je fus d'abord fort surpris. La dernière fois que Clément Rosset avait accepté de collaborer à ce canard édifiant, c'était trois ans plus tôt et il s'en était après coup trouvé mal à l'aise, au point de publier sur son site une savoureuse "boulette" :

"Je déplore le texte de mon « Interview », publié en août 2012, dans l’album hors-série que je n’ai malheureusement pas eu l’idée de lire avant sa publication. Il s’y trouve, outre quelques sottises, deux faussetés matérielles que je dois rectifier. Naturellement je n’ai jamais téléphoné à la police pour appeler à la rescousse des professeurs menacés par les étudiants (je n’ai d’ailleurs jamais, à ma connaissance, téléphoné à la police). La scène des étudiants qui craignent d’être égorgés vifs par les professeurs, dont j’ai été effectivement témoin, se passait du reste non pas à la Sorbonne en 1968 mais en 1969 à Nice. D’autre part je n’ai jamais été sceptique et réactionnaire (l’un s’oppose d’ailleurs à l’autre), pas plus j’imagine que Robert Crumb, au sens usuel, c’est-à-dire politique du terme. Si j’ai dit cela c’est que j’ai pris un mot pour un autre, comme le dirait Jean Tardieu."

Pour être vache, par souci d'exactitude, Clément Rosset n'en était pas pour autant devenu ressentimenteux. Il donnait donc une nouvelle chance aux ahuris rédacteurs de ce magazine pour ahuris. 

La curiosité me taraudait donc énormément. Mais acquérir ce numéro n'était pas pour moi un acte simple.  

Il y a des choses que je me refuse, de honte, à aller acheter, comme par exemple du fromage qui pue, de la pornographie, un livre de Michel Onfray, des dragées Fuca, un roman français contemporain, une place de spectacle, les programmes télé, un article religieux et autres saloperies, etc… 

Ma répugnance est telle d'aller, primo, dans une maison de la presse, deuzio, réclamer et tripoter un canard du genre de Philosophie Magazine, qu'aficionado inconditionnel de Clément Rosset, dont je ne manque jamais rien, je me trouvais devant un bien cruel dilemme. 

Mais que ne ferais-je pas pour satisfaire mon vice rossettien ! Comme je passais par Vermenton, bled sinistre écrasé par la canicule et présentement déserté de tout élément démocratique (où le grand Restif de La Bretonne cacha jadis des billets doux et des vacheries dans les fentes d'un mur où ils se trouvent toujours), je résolus d'en profiter. 

M'enhardissant jusqu'à décupler ma sudation, chaussant d'opaques imitations de Ray Ban et vissant mon bob noir jusqu'aux sourcils, j'ai bondi de la voiture directement chez le marchand de journaux tuants et de tabac mortel, attrapé fissa le Philosophie Magazine, payé la chose sans attendre la monnaie et regagné le cockpit de la Laguna ordonnant à la belle fée qui me pilote de démarrer aussi vite qu'après un hold-up. 

Tandis que le bolide fonçait par des paysages rustiques africanisés par le cagnard, j'ai arraché dans le numéro les pages de l'entretien en maudissant la publicité mensongère de l'article prétendu copieux : quelques malheureuses pages sur des centaines d'âneries effarantes. L'aiment-ils autant qu'ils le prétendent ces magasiniers de la philosophie pour lui offrir un espace si riquiqui ? 

J'ai descendu la vitre et jeté aux bestiaux des pâturages le reste du numéro. La lecture de la chose me prit si peu de temps que c'était tout de suite déjà fini. Mais la moindre minute avec Clément Rosset dope son homme pour plusieurs jours. 
L.W.-O.

Rappel : Clément Rosset dans La Main de singe