lundi 2 novembre 2015

Et moi, et moi, et moi… (On ne se refait pas !)

Autoportrait en enfumeur, 1967, par L. Watt-Owen ©
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La Campagne heureuse par Jean Dubuffet, 1944
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Vaches de Farrebique, Aveyron, par L. Watt-Owen © 2013
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Gaston Chaissac, Histoires d'un vacher
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Dans les années 60, je ne jouais pas au cow-boy comme tous les merdeux que je répugnais à fréquenter : farouchement solitaire, je gardais vraiment les vaches, dans les pâturages derrière notre ferme, aux lisières de la vaste forêt médiévale de la montagne. Le pépé Charles et la mémé Alice qui m'élevaient avaient d'autres choses à faire dans cette pauvre mais vaste ferme. 
J'étalais ma veste noire en peau-de-diable (moleskine), m'adossais à un arbre et sortais de ma musette de quoi passer le temps toute la sainte journée.
De quoi croquer : fromage, tourteau de noix, chocolat, saucisson, sans oublier le couteau.
De quoi boire : gourde d'eau douteuse de citerne, mais aussi une autre de piquette.
De quoi écouter de la musique : un transistor trouvé à la décharge publique, sur lequel je mettais à fond les "scies" de l'époque : The Letter, Happy together, etc…  et je montais encore plus le son pour Nino Ferrer et Jacques Dutronc, mes "chouchous" comme on disait alors, etc…).
De quoi lire : par exemple L'Ile au trésor de Stevenson, les Contes du Whisky ou un Harry Dickson de Jean Ray, le Dracula de Bram Stoker, le Faune d'Arno Schmidt, l'Hippobosque au bocage et les Histoires d'un vacher de Gaston Chaissac, Le Saint en Afrique de Leslie Charteris, La Nuit des auverpins de Pierre Siniac, Pierrot mon ami de Raymond Queneau, tutti frutti & tutti quanti.
De quoi fumer : paquet de Gris, papier Job 38bis non-gommé, briquet à essence.
De quoi surveiller le troupeau mais surtout toute intrusion humaine à 360° et aussi les beaux avions qui filaient sur l'aéroport de Genève-Cointrin : jumelles de soldat boche, des Leitz, 12x60. 
De quoi tirer : vrai pistolet de résistant.  
De quoi prendre des photos : mon vieux Rolleiflex trouvé à la décharge avec des rouleaux de pellicule beaux comme des cartouches.
De quoi me venger de la saloperie générale des bipèdes et accessoirement me faire la main : une petite machine-à-écrire noire laquée que je savais déjà pianoter à toute bringue, et un carnet de croquis Arjomari pur chiffon où immortaliser des trognes avec un gros crayon de charpentier (j'aquarellisais les carnations féroces à la bouse) ; et sur ce papier qui valait tout de même la peau du cul, j'inventais aussi des ciels en noir et blanc avec du guano bicolore.
Bien-sûr c'est mon chien (le vieux Dic, puis la fringante Bobette et la courtaude Mirza) qui faisait, impeccablement, quasi tout le boulot de vacher pour moi (mais il avait droit à plus de Comté et de saucisson que moi, et ne crachait pas sur des lampées de piquette).
Un demi-siècle plus tard, toujours aussi farouchement solitaire, je fais quasiment la même chose. Certes les vaches que je surveille ne sont plus qu'en papier. La cambrousse est toute entière dans La Campagne heureuse de Jean Dubuffet, accrochée au mur de ma cuisine, juste au-dessus de moi, qui passe tout mon temps à ruminer des vacheries aussi noires que mes frusques et que le moleskine en peau-de-diable où j'en couche quelques-unes quand je n'ai pas la flemme d'attraper mon stylo, histoire d'ourdir  enfin sur le papier une espèce d'Autoportrait en enfumeur, dont j'ai la lubie depuis 1967. 
Mais j'écoute toujours les mêmes scies des sixties (désormais sur YouTube), je reste assis ou vautré toute la journée, avec les jumelles surpuissantes je surveille l'intrus que j'aperçois dans le miroir, je fais tournoyer sur mon doigt le pistolet dont je me réserve la dernière balle, je pianote toujours la même machine-à-écrire, je lis les mêmes auteurs, je roule toujours le même tabac Caporal Ordinaire dans le même papier Job dit incombustible, je mange et bois les mêmes trucs, et les chiens qui m'ont élevé sont plus vivants que jamais dans ma nostalgie incurable de petit vacher de la montagne qui n'en revient pas d'avoir pris un si méchant coup de vieux. Me voici donc déjà à l'âge qu'avaient à l'époque le pépé Charles et la mémé Alice ! Alors je vais m'allonger sur le divan noir en cuir de vache, sous l'oranger, je ferme les yeux et fredonne comme un mantra :

"700 millions de chinois
Et moi, et moi, et moi…
Mon mal de tête, mon petit chez-moi…
J'y pense et puis j'oublie…
C'est la vie, c'est la vie…"

L. W.-O.


JUKE BOX D'UN NOSTALGIQUE















6 commentaires:

Soluto a dit…

Continuer comme on a commencé est le plus dur et le plus ingrat des programmes... Peu s'y tiennent. Bravo...
Entre deux scies je vous propose cette distraction pseudo quenaldienne où l'on retrouve l'un de vos chanteurs favoris, l'excellente Sylvie, Bibi et quelques philosophes... Bien à vous...
https://www.youtube.com/watch?v=SYO1k0nZor0

Louis Watt-Owen a dit…

Cher Soluto,
Grâce à votre commentaire de fameux croqueur de têtes, j'ai réalisé que mon inventaire de la musette n'était pas complet, il manquait les trucs les plus importants : j'ai rajouté donc dans la chronique le carnet de croquis, les crayons de charpentier et, last but not least, mon arme favorite : la machine-à-écrire.
Merci donc !
Et également pour la piste video sur le film "Pierrot mon amii", que je n'ai revu depuis belle lurette.
J'ignorais qu'il était en ligne bien complet.
Bien à vous…
L. Watt-Owen

jean-louis lanoux a dit…

Vos aquarelles à la bouse font penser à Aristide Potasse qui gardait les vaches près d'Episy à l'époque romantique.
Selon Joseph Vaylet ("La Bouse dans le folklore", 1977)"seul pendant des heures,il s'amusait à modeler des animaux familiers, avec de la terre de taupinière assez graveleuse mais qu'il rendait liante avec de la bouse(...)".

jean-louis lanoux

Pensez BiBi a dit…

Dire qu'il y en a qui crient Mort aux Vaches.

T'as raison, faut les réhabiliter.
http://bit.ly/1M0MP7y

Avec ce Drittero Agolli que j'avais retrouvé sur le pré d'une revue.

Pensez BiBi a dit…

Merde, me suis trompé d'étable.

C'est par ici le bon pré :

Pensez BiBi a dit…

Bon le billet est ici :-(
http://bit.ly/1ctkxQp