À une époque où, en voie de ratatinade et d'extinction, les journaux rapetissent, quasi tous passés au tabloïd et bientôt appelés à se rétrécir au format du papier hygiénique, avant de disparaître dans le trou noir du maelström ( hein ?!!? quel privilège, on a, nous autres, d'assister à l'essorage fatal de ces inconsistants torchons merdeux ! Ah si Gustave Flaubert, Marcel Schwob, ou Karl Kraus, Baudelaire, Céline, Arno Schmidt avaient pu avoir cette chance !), à une époque donc où les canards doivent en rabattre, c'est tout de même bien chouette de pouvoir retourner au Tabac-Maison de la presse pour acheter un canard car on a enfin (enfin !) un canard à acheter, tout du moins le prétexte d'aller acheter un canard enfin achetable (ce qu'on n'espérait plus), alors qu'on n'en achetait plus depuis quasi vingt ans. Faute de.
Acheter cet inespéré canard enfin achetable et ne pas avoir le sentiment, comme avec les autres canards, de commettre un acte aussi grotesque et pénible et contre-nature que s'enfiler dans le fondement la Carotte Lumineuse géante de l'enseigne, ou acquérir du papier hygiénique déjà usagé. Rien que pour ça, c'est déjà bien chouette.
On a donc un canard à acheter, on n'en revient pas, on l'attrape, on le plie ou on le roule, on grommelle une espèce de moitié de bonjour, on le paye avec la honte de la poignée de pièces jaunes, on va dare dare en terrasse, on le déploie et, surprise !, c'est un bon vieux canard du format des bons vieux canards comme on n'en fait plus : d'une envergure à pouvoir se cacher derrière très efficacement.
Acheter cet inespéré canard enfin achetable et ne pas avoir le sentiment, comme avec les autres canards, de commettre un acte aussi grotesque et pénible et contre-nature que s'enfiler dans le fondement la Carotte Lumineuse géante de l'enseigne, ou acquérir du papier hygiénique déjà usagé. Rien que pour ça, c'est déjà bien chouette.
On a donc un canard à acheter, on n'en revient pas, on l'attrape, on le plie ou on le roule, on grommelle une espèce de moitié de bonjour, on le paye avec la honte de la poignée de pièces jaunes, on va dare dare en terrasse, on le déploie et, surprise !, c'est un bon vieux canard du format des bons vieux canards comme on n'en fait plus : d'une envergure à pouvoir se cacher derrière très efficacement.
Un tel journal existe donc ! On se pince. Et on se fait mal, car c'est bien vrai, on est même caché derrière, on peut faire toutes les grimaces qu'on veut, compter les hachures du poster central, on peut fumer comme un pompier, actionner ses zygomatiques en lisant, relâcher l'impassibilité de mise quand on doit opérer masqué, c'est-à-dire à découvert. On se relaxe. On est bien finalement, à cette terrasse, avec ce rayonnant soleil d'Office du Tourisme, et même le croissant à l'huile de palme n'a plus le goût du savon, et ce moineau est très comique qui prend mon lacet pour un asticot. Avec ce vaste canard je peux enfin retourner lire dehors. Ce n'est pas rien !
En plus, ce canard nous garantit de ne pas guignoliser les guignols du grand-guignol démocratique, de ne jamais même citer leurs noms. De les snober. Voilà qui nous fera des vacances et un peu d'espace pour respirer. Et savoir qu'on n'est pas le seul à dégueuler ces loufiats de cet ectoplasme, le peuple, nous prouve qu'on n'est pas si dingue de ne plus supporter le moindre de ces noms.
Mais cette feuille ne passera même pas le printemps : comme son titre l'indique, 9 Semaines avant l'élection, elle ne paraîtra que jusqu'au premier tour des élections si j'ai bien tout compris. Neuf semaines tout de même. Soit neuf fois douze pages. Assez pour se bricoler un kon-tiki en papier, où sauter avec sac de survie, dès que le tsunami de merde atteindra notre étage. Ce qui ne saurait guère tarder, à vue de nez. Cette légère embarcation bariolée de fumisteries quadrichromiques et de bribes tragiques, de facture très "merz", dérivera longtemps sans crever sur le Noun excrémentiel, si on a du tact et qu'on ne s'agite pas comme un gros patapouf et qu'on a le courage qu'on prête à Arthur Gordon Pym. (Quant à la pagaïe : j'ai déterré à Roche le pilon de l'Autre.)
En plus, ce canard nous garantit de ne pas guignoliser les guignols du grand-guignol démocratique, de ne jamais même citer leurs noms. De les snober. Voilà qui nous fera des vacances et un peu d'espace pour respirer. Et savoir qu'on n'est pas le seul à dégueuler ces loufiats de cet ectoplasme, le peuple, nous prouve qu'on n'est pas si dingue de ne plus supporter le moindre de ces noms.
Mais cette feuille ne passera même pas le printemps : comme son titre l'indique, 9 Semaines avant l'élection, elle ne paraîtra que jusqu'au premier tour des élections si j'ai bien tout compris. Neuf semaines tout de même. Soit neuf fois douze pages. Assez pour se bricoler un kon-tiki en papier, où sauter avec sac de survie, dès que le tsunami de merde atteindra notre étage. Ce qui ne saurait guère tarder, à vue de nez. Cette légère embarcation bariolée de fumisteries quadrichromiques et de bribes tragiques, de facture très "merz", dérivera longtemps sans crever sur le Noun excrémentiel, si on a du tact et qu'on ne s'agite pas comme un gros patapouf et qu'on a le courage qu'on prête à Arthur Gordon Pym. (Quant à la pagaïe : j'ai déterré à Roche le pilon de l'Autre.)
L. W.-O.
9 Semaines avant l'élection est une nouvelle lubie de Frédéric Pajak, qui n'est certes pas un dynamique entrepreneur, mais en quelque sorte un idiot terroriste lanceur de traits et de feuilles, sans illusions, et certainement pas habité par le moindre souci pédagogique ou informatif. Dire le pire, juste pour le fun : c'est une des seules joies en cette vie. J'ai un faible pour les lanceurs de canards imprévisibles.
«[…] Ironie, élégance, désenchantement : telles sont les faibles armes qui s’exprimeront ici pour passer le temps, au moins ce temps mauvais de polémiques, de manœuvres, de revirements, de scandales — ces bons scandales qui font toujours bouillir la marmite. Un journal contre les convictions chimériques, contre la politique obligatoire, contre le pain rassis et le jeu électoral. Un journal incrédule, révolté, rêveur, ”insupportablement grave, absolument pas sérieux et irrésistiblement intelligent”»
Tant que j'y suis, je signale un de ses nombreux bouquins : je viens de relire, pour la énième fois, avec jubilation, son Schopenhauer dans tous ses états, anthologie concoctée avec Didier Raymond. C'est très sombre, et ça fulmine. Donc c'est très drôle.
«[…] Ironie, élégance, désenchantement : telles sont les faibles armes qui s’exprimeront ici pour passer le temps, au moins ce temps mauvais de polémiques, de manœuvres, de revirements, de scandales — ces bons scandales qui font toujours bouillir la marmite. Un journal contre les convictions chimériques, contre la politique obligatoire, contre le pain rassis et le jeu électoral. Un journal incrédule, révolté, rêveur, ”insupportablement grave, absolument pas sérieux et irrésistiblement intelligent”»
Tant que j'y suis, je signale un de ses nombreux bouquins : je viens de relire, pour la énième fois, avec jubilation, son Schopenhauer dans tous ses états, anthologie concoctée avec Didier Raymond. C'est très sombre, et ça fulmine. Donc c'est très drôle.
Parmi les nombreux collaborateurs de ce nouveau canard éphémère, on retrouve ceux de feu L'Imbécile.
Frédéric Schiffter donne une espèce de journal (Neuf semaines dans l'existence) dont on espère qu'il sera un jour réuni en volume, avec d'autres chroniques éparpillées dans la presse et sur son blog : "(…) Personne ne choisit de naître puis de vivre comme il vit ou comme il souhaiterait vivre. Nous n'avons aucune emprise sur nos passions.Nous ne changeons pas, nous aggravons notre cas…" (et ce genre de joyeusetés qui me ravissent). Il y a aussi Roland Jaccard, Delfeil de Ton, David di Nota…
On trouve une drôle de lettre de Jean Raine, à Monsieur le percepteur des Contributions Directes et Indirectes. ce n'est pas sans émotion que je repense à Jean Raine, croisé plusieurs fois, il y a déjà 30 ans, dans cette ville de merde, capitale du gras-double, du caca-de-taureau et du pet dans la soie.
Frédéric Schiffter donne une espèce de journal (Neuf semaines dans l'existence) dont on espère qu'il sera un jour réuni en volume, avec d'autres chroniques éparpillées dans la presse et sur son blog : "(…) Personne ne choisit de naître puis de vivre comme il vit ou comme il souhaiterait vivre. Nous n'avons aucune emprise sur nos passions.Nous ne changeons pas, nous aggravons notre cas…" (et ce genre de joyeusetés qui me ravissent). Il y a aussi Roland Jaccard, Delfeil de Ton, David di Nota…
On trouve une drôle de lettre de Jean Raine, à Monsieur le percepteur des Contributions Directes et Indirectes. ce n'est pas sans émotion que je repense à Jean Raine, croisé plusieurs fois, il y a déjà 30 ans, dans cette ville de merde, capitale du gras-double, du caca-de-taureau et du pet dans la soie.
Le long papier de Peter Sloterdijk me sera l'occasion de lire enfin ce volubile penseur, qu'on me recommande en vain depuis des années.
J'escompte bien qu'on pourra ltrouver dans ces pages quelque chose de Clément Rosset.
ce serait le comble de ne pas le voir au sommaire d'un canard ”insupportablement grave, absolument pas sérieux et irrésistiblement intelligent”.
J'escompte bien qu'on pourra ltrouver dans ces pages quelque chose de Clément Rosset.
ce serait le comble de ne pas le voir au sommaire d'un canard ”insupportablement grave, absolument pas sérieux et irrésistiblement intelligent”.
Dernière minute :
Il semblerait que le nouveau canard de Michel Butel, L'Impossible, sorte enfin ? On va guetter ça.
Il semblerait que le nouveau canard de Michel Butel, L'Impossible, sorte enfin ? On va guetter ça.
Jean Raine en action |
3 commentaires:
C'est qu'a force de vouloir etre libre, on finit pauvre - pas de l'esprit, hein, mais du porte-monnaie. Et qui veut-etre pauvre du porte-monnaie?
Oui, je me suis déja procuré ce canard sans gloire ni reproche, je suis archi d'accord avec votre commentaire, c'est une magnifique initiative, et j'achèterai joyeusement les huit prochaines livraisons. Frédérik Pajak nous donne de la joie et du baume au coeur, il n'est ni winner ni looser, il fraye la voie.
Il faut aller relire sa turinoise "Une immense solitude" les pages sur l'architecture de la ville et sur Pavese sont magnifiques. Frédéric a eu la bonne idée dans la nouvelle version des éditions Noir et blanc de supprimer les nez de polichinelle qui encombraient ses personnages, il a énormément modifié.
Et puis il y a la superbe collection chez Buchet-Chastel qu'il dirige, "les Cahiers dessinés", une trentaine de volumes, "Paris sans fin" qui voisine avec Boltanki et Dotremont. Lorsqu'il en a fait le projet, Pajak a écrit qu'il voulait rendre au dessin "ce parent pauvre" une partie de ce qu'il lui avait donné. Enfin, mais il n'y aura pas de fin avec Pajak, il y a après Joyce et Apollinaire ce grand livre qu'il m'a raconté être en train de préparer, une biographie de Walter Benjamin, c'est quelque chose qu'il faut accompagner.
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