William Hogarth, Satire on false perspective, 1753 |
Je me suis levé comme tous les jours à 4 heures du matin.
J'ai ouvert en grand la fenêtre et j'ai aperçu en haut à droite dans un ciel merdeux l'éclipse de la Super Blood Moon en gromelant un "Mouais…" puis un "Bof…".
J'ai percolé un café d'une noirceur que la nuit n'a jamais en ville.
J'ai roulé une cigarette et je l'ai fumée paisiblement.
J'ai relu dix pages de Montaigne.
J'ai applaudi Montaigne.
J'ai mis en sourdine de la musique éthiopienne, en pensant à la brouette cassée hier dans son verger breton par mon ami le pirate Roussiez, autre amateur de musique éthiopienne.
Je me suis dit, n'en revenant pas, moi le grabataire volontaire, que j'avais fait dix kilomètres à pied hier, chargé comme un sherpa.
Tandis que le jour se levait, j'ai relu L'agonie de la clarté de Cioran, puis tant que j'y étais, au recto, ses vacheries sur Heidegger et noté mentalement, en me jurant un Never forget it !, son "Plus jamais de verbiage… Génial !" et son "La volonté d'être profond, de faire du profond, consiste à forcer le langage en évitant à tout prix l'expression normale, l'expression inévitable."
J'ai feuilleté l'album de reproductions de Hogarth acheté hier pour 50 centimes, louché sur ses fausses perspectives et de fait resongé aux lettres d'Angleterre de Lichtenberg.
Ne sachant qu'en faire, plutôt que de la mettre à la poubelle, j'ai aimanté sur mon frigo la bande orange fluo du Cahier de l'Herne consacré à Cioran, juste en face de moi : "Un livre doit tout bouleverser, tout remettre en question."
J'ai relu d'un œil torve les dix pages de vacheries contre Michel Onfray improvisées hier à la même heure pour le fun et aussi pour me venger d'une rage de dent et des saloperies d'Onfray sur Cioran, reprises dans le Cahier de l'Herne.
J'allais, comme la bande du numéro Cioran, les mettre à la poubelle mais au dernier moment j'ai grâcié ces pages un tantinet délirantes, me disant que j'allais les relire la tête plus froide et voir si par hasard je n'en serais pas mieux débarrassé en les mettant en ligne sur la Toile, grand égoût général.
J'ai observé par la fenêtre de mon premier étage l'éloquent soulagement des bipèdes sublunaires à quitter leur domicile et leur empressement vigoureux à filer au boulot.
Je suis retourné glander sans une once de vergogne, en me frottant les mains et en sifflotant.
J'ai renoncé comme tous les jours depuis un mois à changer la corde de Ré cassée sur ma Stratocaster, car cela m'emmerde au plus haut point et puis même changée cette saloperie de corde va sans cesse se désaccorder pendant des jours jusqu'au moment où elle va se stabiliser et alors c'est la corde de Mi, dont le filetage est si usé, qui va lâcher à son tour, et ainsi de suite…
J'ai roulé ma 10è cigarette de Caporal et attaqué mon deuxième litre de café.
J'ai lu dans un catalogue de Drouot un bristol de Julien Gracq reproduit au format en me demandant, (avec l'idée de les revendre vu le prix tapé par la maison Piasa) où j'avais bien pu fourrer les courriers qu'il m'avait envoyés jadis, et surtout ses chèques que je n'avais pas encaissés.
J'ai relu dans Poirer le Papillon, une lettre de Jean Dubuffet à Pierre Bettencourt, datée du 7 février 1980 : "Je suis à cette heure mal en point. Ma mayonnaise s'est mise à tourner. C'était une émulsion de fragile stabilité. Faite (comme la vôtre) d'ingrédients peu conciliables; s'alimentant à divers branchements soufflant en sens contraire; s'alimentant même justement de cette confrontation même de souffles opposés. Il arrive à la fin que sans en prendre conscience on est devenu trop vieux. La haute pile des années soudainement perd son équilibre. Je vous embrasse."
J'ai réalisé à quel point ma tanière est envahie par une délirante luxuriance végétale, naturelle et artificielle : "Tu es le Des Esseintes de la rue de la Mouche, il y a ici plus de plantes et fleurs que dans tout le quartier" me suis-je dit — et j'ai aussitôt pensé : "que sur ta future tombe."
Là-dessus j'ai enfin regardé l'heure, émis un "Oh Merde !" et, méditant la phrase de Cioran sur le frigo, je me suis remis au best-seller dont dépend ma rédemption, car sinon, plus vite que je l'imagine, le clochard volontaire à domicile sera pour de bon à la rue avec les albanais et les rats.
Mais fort heureusement je n'en étais pas encore là, j'avais du bon café, du bon tabac, des bons livres et je savais d'avance que la journée serait aussi épatante que ce que j'allais improviser sur le piano à lettres.
Ne sachant qu'en faire, plutôt que de la mettre à la poubelle, j'ai aimanté sur mon frigo la bande orange fluo du Cahier de l'Herne consacré à Cioran, juste en face de moi : "Un livre doit tout bouleverser, tout remettre en question."
J'ai relu d'un œil torve les dix pages de vacheries contre Michel Onfray improvisées hier à la même heure pour le fun et aussi pour me venger d'une rage de dent et des saloperies d'Onfray sur Cioran, reprises dans le Cahier de l'Herne.
J'allais, comme la bande du numéro Cioran, les mettre à la poubelle mais au dernier moment j'ai grâcié ces pages un tantinet délirantes, me disant que j'allais les relire la tête plus froide et voir si par hasard je n'en serais pas mieux débarrassé en les mettant en ligne sur la Toile, grand égoût général.
J'ai observé par la fenêtre de mon premier étage l'éloquent soulagement des bipèdes sublunaires à quitter leur domicile et leur empressement vigoureux à filer au boulot.
Je suis retourné glander sans une once de vergogne, en me frottant les mains et en sifflotant.
J'ai renoncé comme tous les jours depuis un mois à changer la corde de Ré cassée sur ma Stratocaster, car cela m'emmerde au plus haut point et puis même changée cette saloperie de corde va sans cesse se désaccorder pendant des jours jusqu'au moment où elle va se stabiliser et alors c'est la corde de Mi, dont le filetage est si usé, qui va lâcher à son tour, et ainsi de suite…
J'ai roulé ma 10è cigarette de Caporal et attaqué mon deuxième litre de café.
J'ai lu dans un catalogue de Drouot un bristol de Julien Gracq reproduit au format en me demandant, (avec l'idée de les revendre vu le prix tapé par la maison Piasa) où j'avais bien pu fourrer les courriers qu'il m'avait envoyés jadis, et surtout ses chèques que je n'avais pas encaissés.
J'ai relu dans Poirer le Papillon, une lettre de Jean Dubuffet à Pierre Bettencourt, datée du 7 février 1980 : "Je suis à cette heure mal en point. Ma mayonnaise s'est mise à tourner. C'était une émulsion de fragile stabilité. Faite (comme la vôtre) d'ingrédients peu conciliables; s'alimentant à divers branchements soufflant en sens contraire; s'alimentant même justement de cette confrontation même de souffles opposés. Il arrive à la fin que sans en prendre conscience on est devenu trop vieux. La haute pile des années soudainement perd son équilibre. Je vous embrasse."
J'ai réalisé à quel point ma tanière est envahie par une délirante luxuriance végétale, naturelle et artificielle : "Tu es le Des Esseintes de la rue de la Mouche, il y a ici plus de plantes et fleurs que dans tout le quartier" me suis-je dit — et j'ai aussitôt pensé : "que sur ta future tombe."
Là-dessus j'ai enfin regardé l'heure, émis un "Oh Merde !" et, méditant la phrase de Cioran sur le frigo, je me suis remis au best-seller dont dépend ma rédemption, car sinon, plus vite que je l'imagine, le clochard volontaire à domicile sera pour de bon à la rue avec les albanais et les rats.
Mais fort heureusement je n'en étais pas encore là, j'avais du bon café, du bon tabac, des bons livres et je savais d'avance que la journée serait aussi épatante que ce que j'allais improviser sur le piano à lettres.
L. W.-O.