Dudule devant sa maison du Bonheur © L'Yonne Républicaine / Centre-France |
Chez Dudule, Yonne, juillet 2015 Photo ratée par Louis Watt-Owen © |
Chez Dudule, Yonne, juillet 2015 Photo ratée par Louis Watt-Owen © |
Chez Dudule, Yonne, juillet 2015 Photo ratée par Louis Watt-Owen © |
Chez Dudule, Yonne, juillet 2015 Photo ratée par Louis Watt-Owen © Click to enlarge |
Dans l'Yonne, du moins entre Semur-en-Auxois et Auxerre, sur des dizaines de kilomètres à la ronde, le jaune domine et tape très vite sur les nerfs.
Après la luxuriance splendide des verdures de la Côte-d'Or, on est par contraste accablé par le jaune des emblavements à perte de vue, effarants de monotonie surtout taillés en brosse par les industrieux céréaliers subventionnés, et sous le cagnard caniculaire c'est encore plus atrocement jaune.
Il y a bien ça et là, sur les éminences, quelques ilôts d'arbres, mais le soleil les a eux aussi grillés dans les même tons.
Dans les bleds, les murs, tous "vieilles pierres", sont d'un jaune de crâne déterré, qui dope par contraste les agressives quadrichromies géantes des publicités, seules exceptions.
De fait quand tout à trac, écoeuré de ces nauséeuses jauneries qui portent sur le foie, on tombe sur la soudaine maison bleue de Dudule (le nom est écrit en gros sur la façade), on n'en croit pas ses yeux. La maison à moitié bleue devrait-on dire : car elle n'est ainsi ripolinée qu'à mi-hauteur des murs, comme si le fameux Dudule, pourtant sapeur-pompier émérite, n'avait ni échelle ni escabeau pour finir le haut.
On freine, interloqué, mais on aperçoit illico, en rouge bien vif, bien lisible, sur la porte, un panneau sans doute volé sur un ball-trap : TIR À BALLES. Alors bien-sûr on réappuye à fond sur le champignon.
Je suis passé devant cet antre singulier des vingtaines de fois pour aller faire les courses, chaque fois plus intrigué et réjoui, mais je n'ai jamais osé aller frapper. Je me suis contenté de rater quelques photos à la volée.
Une petite enquête cybernétique, depuis la wifi d'un MacDo, m'apprit que la presse locale avait déjà publicité la curiosité et le phénomène dit Dudule. Ce Dudule ne devait donc pas être si farouche, puisqu'il avait accepté de poser rigolard pour le canard régional. Il est retraité de la Rocamat, où il fut tailleur de pierre. La seule façade insolite laissait toutefois subodorer de mirifiques trésors à l'intérieur (et aussi dans son bois de la route de Gland, où les arbres sont peints en bleu !).
Ce tailleur de pierre retraité pratiquait-il la sculpture ? Je l'ai cru un moment, mais las ! Il se contente d'accumuler et assembler des trouvailles de hasard, de découper les journaux et magazines et d'en décorer baroquement ses murs sans souci des conseils de M6. Il recopie en gros des citations qu'il colle sur ses vitres. Il a fait proliférer pour son pur plaisir un joyeux bordel au beau milieu duquel il rayonne et jubile, depuis sa table à toile cirée. Et pleure aussi sans doute, désormais si seul.
Il est chez lui, et ce chez-lui ne ressemble à aucun autre, il se contrefout des ragots des malveillants, il vit tête haute, il se ressert un godet, il bricole ses assemblages quand il s'ennuie, il cisaille à la diable les photos dans les canards, quand des phrases et formules lui sautent aux yeux, il se les approprie et les détourne. Nulle provocation. Nulle intention artistique, même "brute" ou sauvage. Rien que le pur plaisir. C'est-à-dire le contraire d'une manie de "rigolo". Ses joyeusetés ne sont si éclatantes que sur fond de l'incontournable horreur de la tragédie.
Dudule n'est pas fou, comme le prétendent certains voisins, sauf de chagrin. Car la mort est passée par-là, affreuse, lui enlevant sa femme il y a quelques mois. C'est alors qu'il s'est lancé dans ses accumulations et découpages et peinturlurages. Sa femme, elle, n'aurait jamais toléré l'envahissement de ce bric-à-brac.
Ce n'est pas faute d'escabeau qu'il n'a peint que le bas de sa façade en bleu. Un de ces jours, dit-on, il veut finir le haut, en rouge. Et à la diable ! Au jet ou au seau !
L. W.-O.
Bonus : pour en savoir encore bien plus, on aurait profit de lire les commentaires !
À propos de cette curieuse maison bleue, on en verra et lira plus et mieux sur le blog Animula Vagula. Et on en profitera, si on ne le connait pas déjà, pour visiter ses incroyables archives, si riches, que ses animateurs ont bourré de trésors et surprises. Ce site consacré à l'art brut et plus largement aux phénomènes et lieux singuliers est sans aucun doute le meilleur du genre. Tant par les révélations et informations précieuses que par le style, et de fait l'humour, denrées si rares sur la Toile. On se délecte donc à s'y promerner et lire au beau hasard. On ne revient jamais bredouille de choses inoubliables et qui chassent joyeusement les démons de la connerie générale et du blabla artistique effarant des contemporains. Animula Vagula fête son 1000ème billet ! Et du même coup ses dix ans, lancé qu'il fut en 2005, (un an avant le mien !). À l'époque c'était être audacieux pionnier que d'ouvrir une telle station cybernétique. Tenir sans lasser pendant dix années n'est pas rien, et révélateur de tout l'intéret et de la joie qu'y viennent chercher et trouvent ses visiteurs, aussitôt aficionados insatiables et exigeants. Gloire à Animula Vagula ! Et longue vie cybernétique !
L. W.-O.
3 commentaires:
Bravo LWO pour votre notice bien triée sur le volant (sortez de votre bagnole, m’enfin !). Je suis une amie-mulienne vagulette (devant l'éternel, s'il en est... mais je suis contre les choses trop perpétuelles). Accessoirement, je me suis muée en petite dame errante pour faire le modeste reportage photo « Animula Dudula ».
Sans chaleur écrasante… mais même remarque que vous sur ces ocres paysagers, chiatiques et pas si poudrés (ou trop), qui vous ont usé les nerfs (moi de même, visage pâle !). Figurez-vous que je suis entrée chez ce Dudule puisque le gars cultive visiblement la science du vestibule, avec plein de « p’tits bouts de trucs »* - sa porte sur rue grande ouverte, et celle donnant sur son intérieur, itou. Je ne sais même plus si j'ai frappé, c’est moi qui étais frappée. Je crois même qu’il est venu à ma rencontre.
Je n'ai pas été subjuguée, de prime façade, par ses adresses aux passants, tags un peu trop domestiqués. Et, contre toute attente, je n'ai pas été triste devant le petit vélo bleu qui s'était mis au vert sous quelques graminées de bas étage. Je suis entrée comme dans du beurre, mais bleu. Non sans avoir auparavant découvert un drôle de ménage derrière la petite barrière du jardinet : une poule élimée au coccyx (Charlotte) et un lapin en apparence placide (Charlie grandes oreilles, comme attendu).
Et je me suis heurtée à cet intérieur baroccoco, prolifération de trophées aux murs qui ont l’air mal accrochés, mais qui ne tomberont jamais (parole d’honneur), clowns hideux en polyamide indestructible avec tête de porcelaine macrocéphale, tubas nécrosés en air trouble et posters de foot vintage, parmi lesquels on reconnaît le libéro Jean Ferrat (quatrième division de la Montagnébel). Un camion de pompier jouet fait mollement sens, posé sur une console naperonnée et macramée (presque plus intéressante). Une photo de pape conc(l)ave, en revanche, est fixée trop haut, avec abnégation, par un délicieux scotch vinyle bleu ciel, diaphragme inique. Je m’imaginais trouver quelque part des pots de peinture à l'hawaïle mais pas trace, hélas**. Toile cirée, certes, je confirme, clopes à demi éteintes & mégots repassés, plusieurs tasses de café avec marcs prédisant spécialement rien et quelques fonds de bouteilles plutôt tranquilles. Je n’ai pas voulu me faire expliquer, j’étais timide et empêchée. Mais tout était joué. J’avais, deux heures avant, entendu parler de Dudule affectueusement par une nouvelle venue au village - épicière de luxe - servant « bistrot » des escargots sublimes dans des coquilles de seigle et orge enfin mangeables (révolution !). Alors je sais, de source sûre, que la bienveillance habite Dudule, qui apporte des « œufs de Charlotte », au mépris des vipères de clocher qui trouvent parfois ses t-shirts trop dudule.
*Expression inhérente à Stupéflip
** hélas, y’a pas d’hélice c’est là qu’est l’os (La Grande Vadrouille, dialogues de Audiard)
Grand merci, chère inconnue, pour toutes ces précisions, et leur verve.
Il est si difficile de ne pas être indiscret.
Tout ceci, la vie, banale et terrible, d'un homme, ne nous regarde absolument pas.
Mais cependant la singularité de ses signes, qui se distinguent, nous touche un jour, par hasard.
On en a comme une espèce de dette d'avoir été chouettement surpris, bien ému, réjoui autant que remué.
Mettre des mots là-dessus réclame alors bien du tact…
Vous êtes fort chic de nous révéler ces détails précieux qui cependant ne déflorent rien d'une intimité avec laquelle nous n'avons certes rien à voir.
Moi je ne suis pas descendu de la voiture. Me suis contenté, après coup, de me renseigner un peu, à distance.
Grand merci donc !
L. W.-O.
Et bien vous êtes vachement bath de m'avoir répondu si vite ! J'aime beaucoup l'impertinence de votre blog, découvert (hélas) que cet été sur les recommandations de mon ami J2L (à qui j'obéis toujours, vous l'avez compris). Ce n'est pas dommage, le propos me plaît mais surtout le ton, voire l'humeur on pourrait dire ! Et puis moi aussi je suis une grande fan d'Emmanuel Bove, Mes amis, quel chef d'oeuvre !
Alors, merci pour vos éloges, je voulais écrire trois lignes pour saluer la qualité de votre article et j'y ai travaillé deux heures. Même pas mal !
Cordialement
Sophie Roussel
Enregistrer un commentaire