Depuis plus d’un an, j’ai entrepris de relire TOUT Bukowski.
Certes, dès les premières traductions des années 70, j’avais déjà lu, avec l’avidité d’un mort de soif, chaque volume qui sortait au compte-goutte de ce côté-ci de l’Atlantique, chaque article, chaque interview, le moindre entrefilet le concernant. J’avais même bien-sûr acquis certains livres en VO et pinaillé dedans avec mon foireux anglais d’autodidacte de la montagne.
J’avais vu à leur sortie les exécrables films tirés de son œuvre, et fuyant la salle avant la fin j’avais uriné sous les affiches.
J’avais fait taire mon aversion pour l’immonde Bernard Pivot et regardé en direct Apostrophes quand le grand Buk y avait été invité, pour y être traité avec un effarant mépris, entre autres par ce crétin de Cavanna, qui lui lança un ignoble « ta gueule Bukowski ! », car vexé à mort de n’apparaître que comme un minus verbeux et gesticulant à côté de l’impérial Buk, qui crevait l’écran et rayonnait. En quelques minutes burlesques de périlleux direct, Bukowski, pourtant traité de pornographe et exhibé comme tel, nous avait révélé à quel point l’émission Apostrophes comme toute la télévision, dont elle était le fleuron et la caution culturelle, n’était en fait qu’obscénité et vulgarité répugnantes. Preuve en est qu’il fut finalement viré sans ménagement du plateau par le joufflu et rougeaud cravaté Pivot. J’avais alors craché contre l’écran le plus gros mollard de ma vie.
Mais ce n’est qu’en le relisant ces derniers mois, reprenant tout à zéro, que j’ai enfin eu le sentiment d’être touché par la grâce. J’ai dû en convenir : jusque-là je n’avais pas su lire Bukowski, comme d’ailleurs la plupart des auteurs dont je m’étais entiché parfois jusqu’au délire.
Arno Schmidt m’avait pourtant prévenu depuis longtemps avec son affirmation que la plupart des livres ne peuvent être vraiment goûtés qu’après la cinquantaine. Mais cette vérité est bien-sûr difficilement admissible tant qu'on est encore loin d'avoir atteint cet âge vénérable.
Textes en VO, traductions épatantes, traductions effarantes, entretiens, poèmes, récits, contes, correspondances, autobiographies, fictions, tout m’est bon. Pas un seul jour sans Bukowski. Pas un seul jour sans m’en doper. Pas un seul jour sans lui rendre grâce.
Il en va de la lecture comme de l’écriture : les bons yeux et l’oreille ne s’ouvrent que si la vie vous en a fait bavé au point de ne plus se faire d’illusion à son sujet et que vous l’avez vue bien en face, pas baisante pour deux ronds.
Le lecteur sérieux est celui qui a enfin compris dans toute sa chair et le moindre de ses nerfs que tout est foutu. Pire : foutu d'avance ! Que le dialogue est impossible avec qui que ce soit, sauf exception miraculeuse, et que la (appelons-ça comme ça) littérature est la forme la plus délicate et la plus forte des rapports que nous pouvons jamais espérer avec les bipèdes sublunaires.
Vous n’aimez pas Bukowski ? Vous n’arrivez pas à le lire ? Vous vous en contrefoutez ? L’homme vous rebute ? L’auteur ne vous convainc pas ? Son ton vous exaspère ? La légende vous canule ? Vous le prenez pour un gros dégueulasse ? Vous trouvez cela mal et trop vite torché ? Vous avez déjà donné ? Vous êtes passé à autre chose de plus sérieux ? Tiens donc !
Mais quand tôt ou tard, et plus vite que vous le pensez, vous n’aurez plus la latitude de faire le malin, quand vous serez au fond du trou sinon au bout du rouleau, quand tout le monde vous aura laissé tomber, quand vous ne pourrez même plus compter sur cet inconsistant guignol, le « vous-même », tâchez alors d’en rabattre et de vous souvenir que le vieux Hank et ses livres sont là, auxquels on peut se raccrocher avec sureté, se redoper, tenir tête à la catastrophe.
Quand il n’y a plus personne, le vieux Hank vous tend la main. La moindre de ses pages vous parle quand plus rien ne vous dit quelque chose.
L. W.-O.
5 commentaires:
Je lève mon verre à la gloire de Bukowski et à la santé de ses lecteurs.
Merci pour cet article !
Cher Lucien,
Tchin tchin !
Je trinque joyeusement avec vous !
Un des si rares vrais amis de Bukowski de ce côté-ci de l'Atlantique !
C'est moi qui vous dit merci pour votre attention, et si prompte.
Je remets une tournée !
Re-tchin !
L. W.-O.
" Quand il n’y a plus personne, le vieux Hank vous tend la main. La moindre de ses pages vous parle quand plus rien ne vous dit quelque chose."
Ce Qu'il Fallait Dire. Bravo. Pas mieux.
Voilà vingt ans que je lis la prose et les poèmes de ce bon vieux Buck et, effectivement, toujours avec la sensation que ses mots ont suffisamment de sève pour me tirer du trou, lorsque ça tangue sévèrement.
Je lève donc aussi mon verre à Hank. Puisse sa mémoire continuer à souffler sur d'innombrables goulots de bouteilles.
On trinque avec vous cher Promeneur !
Tchin !
L. W.-O.
Et Bukowski faisant un câlin au Dr Ferdière à la sortie! Quelle ponctuation!
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