"On a prétendu que "s'accepter soi-même" était indispensable si on voulait produire, "créer". Le contraire est vrai. C'est parce qu'on ne s'accepte pas qu'on se met à œuvrer, qu'on se penche sur les autres et, avant tout, sur soi, pour savoir qui est cet inconnu rencontré à chaque pas, qui refuse de décliner son identité et dont on ne se débarrasse qu'en s'en prenant à ses secrets, qu'en les violant et les profanant."
Cioran, Écartèlement
Les crétins qui ont célébré la mort de Cioran ("Déjà 20 ans!" clament-ils) ne méritent qu'une chose : que l'on crache sur leur prétendue existence et rigole avec mépris de leur certitude d'être, eux, paraît-il, bien vivants ! Ce que cet anniversaire a révèlé en tout cas, c'est que sa prétendue disparition arrange tout le monde. Tant de gens désormais citent Cioran, s'en réclament, ou le dégomment, le commentent, s'en servent d'argument commercial, de caution, ou de repoussoir, etc… : jamais on n'aura autant parlé de Cioran qu'aujourd'hui, et pas seulement en France. Jamais, sans doute, aura-t-il été si mal lu. Il ne fut pas à une telle fête avant 1995. Quand il passait chez son éditeur réclamer un état de ses ventes, nul ne l'y reconnaissait et le vigile le raccompagnait sans ménagement à la sortie, comme un clochard qui se serait égaré. Et sa lecture emportait la gueule, n'est-ce pas ! Aujourd'hui tout le monde s'en délecte. Le voilà désormais à toutes les sauces. Débité en bons morceaux, en tranches, en amuse-gueule sur les réseaux sociaux. Des citations frelatées de ses aphorismes servent même, choisies par des robots cybernétiques, à "habiller", avec des blagues belges, des forums de discussion d'adolescents, de motards, de fans de films gore, de bonnes femmes échangeant des recettes. Les managers, coachs, directeurs de ressources humaines, agents de développement personnel, chefs du personnel, animateurs de moral de l'entreprise, etc… en dopent leurs troupes. Il inspire des ministres, des chefs d'entreprise, des kadors du Marché, des élus du peuple, des traders, des pipoles, et tant de sales grandes gueules et autres petites têtes de la télévision, de la radio, de la Toile. Il est le consolateur, même l'inspirateur, de l'atroce Carla Bruni, qui, enceinte d'un vampire magyar, le lisait pendant sa grossesse ! Son œuvre est la Bible prétendue de tant de charlatans sans vergogne et de vendeurs de merde. Les immondes Pur-Porc et autres tarés identitaires qui hurlent au Grand Remplacement ont pris pour idole ce Prince des Métèques. D'ignobles canards le mettent en une pour doper leurs ventes, etc… Quasi tous ceux qui s'en réclament ainsi, l'instrumentalisent, le dépècent, comme ceux qui lui plantent dans le dos sa jeunesse à la Garde de Fer et ses éloges d'Hitler, sont ses assassins posthumes. Il va de soi que tous ces gens ne l'ont pas lu, n'y pigent strictement rien, s'en requinquent à bon compte. On ne saurait lire impunément cet increvable diable d'homme : il faut tout de même avoir un peu la vie qu'implique une telle jugeote. Tant qu'il était, selon leurs critères, encore en vie, la plupart de ces nécrophiles qui grouillent et prospèrent aujourd'hui sans vergogne sur son cadavre et sur le dos de son œuvre n'étaient pas encore nés, ou bien apprenaient encore à lire en faisant pipi dans leur culotte, ou, déjà mûrs et cons, n'en menaient pas large et, chiant dans leur froc, n'osaient guère l'évoquer publiquement. Ils ont aujourd'hui la prétention inouie de se croire plus vivants que lui ! La prétention de nous expliquer ce qu'il a dit ! La prétention de faire parler son fantôme avec, bien-sûr !, leurs mots à eux, de faire cracher le morceau à son œuvre etc… Et que dire de tous ces "amis" qu'après ses obsèques on a vu surgir de partout : ces fâcheux qui le dérangeaient sans scrupules, encouragés par sa légendaire hospitalité et sa courtoisie, font aujourd'hui le beurre rance de leur réputation sur des témoignages exclusifs, des lettres ressorties de tiroirs, à leur gloire naturlich ! À de rarissimes exceptions près, qui confirment la règle, je prends en grippe illico quiconque cite ou évoque Cioran. Moi le premier : cela va de soi…
L. W.-O.
4 commentaires:
A peine connecté à la toile, je m'écrie : " Quelle perfection dans la parodie de l'enfer !"...
Bravo!, cher LWO.
Mais, cher Louis, ILS sont déjà morts, même s'ils pérorent ..
On pourrait dire la même chose de Guy Debord ! Les cadavres attirent, on le sait, les vautours.
Enregistrer un commentaire