jeudi 24 janvier 2013

Un homme qui me parle







Des chercheurs de poux aux ongles noirs ont chipoté certaines de ses affirmations, de bredouillants historiens officiels ou révisionnistes l'ont honoré de leur méprisable mépris, la télévision française le traita comme un pestiféré, quelques pourritures s'en sont réclamé, on le prenait en France pour un helvète alors qu'il était natif du mâconnais, des tas de crétins qui ne l'avaient, comme les autres, ni lu ni écouté, l'ont surnommé le "Alain Decaux de la Télévision suisse"etc… 
Je l'aime beaucoup, moi, Henri Guillemin.
En 1975, j'ai même acheté une télé, à Genève, rien que pour le voir : je mettais le son à fond dans cette chambre puante du foyer Sonacotra de Ferney-Voltaire, pile en bout de piste de décollage de l'Aéroport de Cointrin. Guillemin tenait tête aux gros avions qui faisaient tout trembler. Il articulait si bien que je pouvais lire sur ses lèvres.
En farouche autodidacte, rétif à toute pédagogie, incapable de prêter attention au moindre professeur ou maître, je lui dois de m'avoir captivé malgré moi, toujours dès les premiers mots. Cet homme avait de la tenue, de la classe. Et pas la langue dans sa poche. Il n'envoyait pas dire ce qu'il avait à dire et  ses pointes faisaient mouche. Il avait de l'humour. Il parlait comme un homme seul et fier de l'être. Il en imposait. À la même époque, en France, l'abominable Instituteur Pivot instruisait toutes les têtes de con et terrorisait en direct des écrivains au brushing consternant, entre Jacques Martin, Guy Lux et les Dossiers de l'Écran. Très peu pour moi. Ma télé ne marchait que pour la TSR.

En comparaison des conférences filmées d'Henri Guillemin, improvisateur impeccable et malicieux, combien minables nous apparaissent les performances télévisuelles de nos auteurs contemporains tricolores, quand ils parviennent, du même mouvement qu'on rampe, à ce top de leur carrière, un plateau de télé, pour se promouvoir sans vergogne en se rengorgeant, pétris de trac, mais rembourrés d'orgueil, répondre poliment au monsieur, ou donner si sérieusement leurs visions d'incompétents sur des sujets de société, débattre comme des sourds trop sonores avec d'autres sinistres infatués, émettre, schpountz boursouflés, kadors suants, merdeux nerveux, rouges mégères ou mémères verdâtres, provinciaux endimanchés dont le ticket de tégévé dépasse d'une poche, des opinions dont on me permettra de me contrefoutre énormément, déballer sans vergogne l'indiscrétion de leurs drames familiaux ou la petite affaire de leur sexualité grotesque, ou lâcher la grosse commission de leurs énormités, faire le pitch de leur bouquin illisible, étaler leur vanité et leur suffisance, etc… Très peu pour moi.

Merci, Monsieur Guillemin, de ne pas vous adresser à nous comme à des cons.
L. W.-O.

LIENS & BONUS

Le site consacré à Henri Guillemin par un libraire, où l'on trouvera comment acquérir les premières éditions de ses livres et leur reprise aux éditions Utovie.
Les émissions d'Henri Guillemin sur le riche site de la Radio-Télévision Suisse-Romande.

Un clin d'œil à cette chère V. qui a donné sur son blog l'autre jour l'émission consacrée à Arthur Rimbaud.



3 commentaires:

Le Marquis de l'Orée a dit…

"C'est à peine s'il existe une marchandise au monde plus étrange que les livres; imprimés par des gens qui ne les comprennent pas; vendus par des gens qui ne les comprennent pas; reliés, censurés et lus par des gens qui ne les comprennent pas; bien mieux, écrits par des gens qui ne les comprennent pas." (Lichtenberg)

Et voilà par-dessus le marché qu'on nous parle de vérifier si la vie de l'auteur est en adéquation avec ce qu'il raconte, alors que nous ne sommes jamais en adéquation avec quoi que ce soit, à commencer par nous-mêmes.

Vérifier ? Mais vérifier quoi ? Nous ne sommes que de vagues contours fuyants qui disparaissons en tentant vainement de laisser une trace sur le vide.

Comme c'est amusant un savant qui s'attelle à vouloir saisir le nuage de poussières du poète avec un filet à papillon dans la fumée !

Nous sommes des centaines de personnes à la fois et nous ne sommes personne car nous ne sommes rien.

Cher Louis, ceux qui vont mourir vous saluent, et tout particulièrement mes deux immortelles andouilles cornues.

Philippe L a dit…

Merci...

Nuagesneuf a dit…


Je dirai même plus, merci, merci...