"Débilité par des pensées rongeantes, je ne me trouve pas de force d'être triste, encore moins de rêver à la mort ou la souhaiter. Je ne prise encore de plaisir qu'en cette paresse où se dissolvent mes désirs, qu'en cet état où je ne suis rien. Aimerais-je vouloir que je n'y parviendrais pas : de qui suis-je la volonté, qui veut en moi ? Ivre de mon vide et foudroyé par mon absence, je m'abandonne à l'espace obscur ainsi qu'une larme d'aveugle. Tout se décompose alentour, et il me semble que je pourrissais déjà avant de naître…"
"Aujourd'hui de nouveau, où que vous alliez, des nazis déclarés se tiennent dans les parages, "Fainéant, être ainsi assis au café et ne pas travailler !", vous pouvez alors entendre tout cela et tout cela me poursuit bel et bien. Aujourd'hui la journée a été plutôt mauvaise, partout où je suis allé ça a été abominable. "Il écrit, voilà bien une stupidité, parce que ça ne profite à personne, n'a aucune utilité, aucune valeur, et il n'en résulte rien. Un parasite ! Vit sur le dos de la société, ne s'occupe à rien, fait des tours en auto, bouffe, est déjà de bonne heure assis au café, a l'air méchant, et vit de choses obscures. En tout cas assurément pas de travail ! Avec de telles gens on devrait faire prompte justice… "(…) Je n'ai personne, je le sais bien, je n'ai par exemple personne sur qui je pourrais me reposer, qui serait là, si j'avais besoin de quelque chose."
"Un nuage cacha le soleil. La rue tiède devint grise. Les mouches cessèrent de briller. Je me sentis triste.
Tout à l'heure, j'étais parti vers l'inconnu avec l'illusion d'être un vagabond, libre et heureux. Maintenant, à cause d'un nuage, tout était fini. "
"Un homme comme moi, qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté. J'étais dans cette maison d'ouvrier le fou qu'au fond tous auraient voulu être. J'étais celui qui se privait de viande, de cinéma, de laine, pour être libre. J'étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable. On ne m'a pas pardonné d'être libre et de ne point redouter la misère. "
”Les amoureux sont égoïstes et impolis. L'année dernière, de jeunes mariés habitaient la chambre de la crémière. Tous les soirs, ils s'accoudaient à la fenêtre. Au bruit de leurs baisers, je devinais s'ils s'embrassaient sur la bouche ou sur la peau. Pour ne pas les entendre, je traînais dans les rues jusqu'à minuit. Quand je rentrais, je me déshabillais en silence. Une fois, par malheur, un soulier m'échappa des mains. Ils s'éveillèrent et le bruit des baisers recommença. Furieux, je frappai contre le mur. Comme je ne suis pas méchant, je regrettai, quelques minutes après, de les avoir dérangés. Ils devaient être confus. Je pris la décision de leur faire des excuses. Mais, à neuf heures du matin, des éclats de rire traversèrent de nouveau le mur. Les deux amoureux se moquaient de moi.”
Extraits deMes Amis
Première page de Mes Amis
"Les jours de fête (…) sont pour moi un supplice."
"Je me demande parfois à quoi j'ai bien pu employer le temps dont je ne garde pas le souvenir."
"Il était au bord de mon champ visuel, comme dans une photographie mal prise."
"Si on fait du doute un but, il peut être aussi consolant que la foi. Lui aussi est capable de ferveur, lui aussi , à sa manière, triomphe de toutes les perplexités, lui aussi a réponse à tout. D'où vient alors sa mauvaise réputation ? C'est qu'il est plus rare que la foi, plus inabordable, et plus mystérieux. On n'arrive pas à imaginer ce qui se passe dans la maison du douteur…"
"Lorsqu'on est longtemps seul, que l'on s'est habitué à la solitude, que l'on s'est formé dans la solitude avec soi-même, partout où pour les autres il n'y a rien, on découvre toujours d'avantage."
"Et je pense maintenant que les êtres qui ont vraiment été importants dans notre vie peuvent se compter sur les doigts d'une seule main, et, bien souvent, cette main se révolte contre la perversité que nous mettons à vouloir consacrer toute une main à compter ces êtres, là où, si nous sommes sincères, nous nous en tirerions probablement sans un seul doigt. "
Thomas Bernhard
Le neveu de Wittgenstein
trad. Jean-Claude Hémery
p.108, Folio
Ah les podcasts des rediffusions estivales sur France Cul !
Vous avez beau être abonné à telle ou telle émission, vous l'avez dans l'os ! Allez savoir pourquoi !
Comme le directeur exécrable de cette maison a été viré sans ménagement la semaine dernière, nous voici un peu vengé.
Il y a peu de jours, on redonnait le Une Vie, Une Œuvre consacré à Thomas Bernhard par Christine Lecerf en 2009. Faute de pouvoir enregistrer le podcast, je le sauve donc ici.
Cette désormais sinistre boutique radiophonique nationale étant devenue inécoutable, j'avais loupé la chose. Par ces temps de canicule et de connerie écrasantes, une heure de causerie exclusivement bernhardienne, réfrigérante et tonique, fait un bien fou.
En 1969, âgé de 12 ans, j'étais au comble du ravissement quand, enfin seul !, je lisais le Faune d'Arno Schmidt tout en écoutant Venus des Shocking Blue sur un méchant Teppaz et en fumant avec volupté une Boyards "Maïs" comme Jean-Luc Godard, François Truffaut, Antoine Doinel et mon pépé. Aujourd'hui encore, je suis au comble du ravissement en relisant pour la énième fois le Faune d'Arno Schmidt tout en écoutant Valérie Amyot & The Lost Fingers reprendre Venus et en fumant avec volupté, comme Jean-Luc Godard, François Truffaut, Antoine Doinel et mon pépé, l'avant-dernière des Boyards "Maïs" mises précieusement de côté depuis leur interdiction. Ce sublime fumigène de format "gros module" était vendu dans un beau paquet vert cartonné. Son tabac ultra noir était roulé dans du papier d'un jaune fascinant. Sa fumée indisposait les petites natures et les emmerdeurs, et les éloignait salubrement.
L. W.-O.
À LA MÉMOIRE DE MAURICE NADEAU… Ceci pour saluer en passant la mémoire de Maurice Nadeau, mort il y a deux ans. Je n'oublie pas qu'il a soutenu activement La Main de singe dès son premier numéro en 1991, ni qu'il fut le véritable premier éditeur d'Arno Schmidt en France. Il me reçut plusieurs fois dans son bureau de la Quinzaine et surtout chez lui, avec feu Claude Riehl, où il nous régala de moultes nectars et autres anecdotes féroces. Et m'apprit à me servir correctement d'un tire-bouchon. On racontera cela un jour.
"Il y a tant d'hommes morts assis devant leur machine-à-écrire… J'aurais dû arrêter d'écrire il y a longtemps, mais après avoir vu ce qui se faisait de pire, je ne pouvais pas laisser tomber…"
Charles Bukowski
Lettre à Al Purdy
11 octobre 1965
"Born like this
Into this
As the chalk faces smile
As Mrs. Death laughs
As the elevators break
As political landscapes dissolve
As the supermarket bag boy holds a college degree
As the oily fish spit out their oily prey
As the sun is masked
We are
Born like this
Into this
Into these carefully mad wars
Into the sight of broken factory windows of emptiness
Into bars where people no longer speak to each other
Into fist fights that end as shootings and knifings
Born into this
Into hospitals which are so expensive that it's cheaper to die
Into lawyers who charge so much it's cheaper to plead guilty
Into a country where the jails are full and the madhouses closed
Into a place where the masses elevate fools into rich heroes
Born into this
Walking and living through this
Dying because of this
Muted because of this
Castrated
Debauched
Disinherited
Because of this
Fooled by this
Used by this
Pissed on by this
Made crazy and sick by this
Made violent
Made inhuman
By this
The heart is blackened
The fingers reach for the throat
The gun
The knife
The bomb
The fingers reach toward an unresponsive god
The fingers reach for the bottle
The pill
The powder
We are born into this sorrowful deadliness
We are born into a government 60 years in debt
That soon will be unable to even pay the interest on that debt
And the banks will burn
Money will be useless
There will be open and unpunished murder in the streets
It will be guns and roving mobs
Land will be useless
Food will become a diminishing return
Nuclear power will be taken over by the many
Explosions will continually shake the earth
Radiated robot men will stalk each other
The rich and the chosen will watch from space platforms
Dante's Inferno will be made to look like a children's playground
The sun will not be seen and it will always be night
Trees will die
All vegetation will die
Radiated men will eat the flesh of radiated men
The sea will be poisoned
The lakes and rivers will vanish
Rain will be the new gold
The rotting bodies of men and animals will stink in the dark wind
The last few survivors will be overtaken by new and hideous diseases
And the space platforms will be destroyed by attrition
The petering out of supplies
The natural effect of general decay
And there will be the most beautiful silence never heard
Born out of that.
The sun still hidden there
Awaiting the next chapter. "
Comme chaque année, l'infernale canicule me réduit a quia.
Quatre ventilateurs poussés à fond ne suffisent pas à rafraîchir la bête, qui n'en peut plus.
Mais dans cette fournaise intenable, les réfrigérants Schopenhauer, Cioran, Thomas Bernhard et Emily Dickinson, refroidisseurs efficaces de toute ambiance, de tout échauffement et de toute ardeur, me sauvent la vie cent fois par jour.
Le drame national du jour dans ce pays à la con serait la mise au placard sine die par Vivendi des immondes marionnettes des Guignols de Canal Plus.
Contrairement à ce qu'on nous serine, cette mise au placard n'émane pas d'un complot anti-Guignols par des guignolisés indignés et vengeurs. Comment croire à cette farce ? Il se passe tout bonnement qu'une émission dite culte, née au siècle précédent, devenue la pâle copie de sa légende déjà faisandée, a fait son temps, ne fait plus recette ni audimat profitables et un conseil d'administration implacable dans ses décisions budgétaires la supprime sans vergogne des programmes, ayant juste attendu humainement que son producteur-créateur finisse par crever, mais pas un jour de plus.
Au premier rang de la mobilisation contre la décision de Monsieur Bolloré, on trouvera bien-sûr les guignolisés eux-mêmes. Car désormais qui n'a pas l'honneur de possèder son double caricatural en marionnette n'est plus personne. C'est donc l'affollement général, des politiques aux pipoles. Ces gens sont prêts à tout pour que s'agite leur double grotesque en prime time. Pensez ! Les Guignols leur assurent, outre une consécration médiatique, une gloire confortable car ils ne les roulent nullement dans la merde, ne les montrent nullement sous leur mauvais jour. Les Guignols sont moins caricaturaux que les guignolisés eux-mêmes. Les doubles plus chouettes et moins sinistres que les originaux. Sympas et rigolos. Plus humains en somme !
Si les Guignols disparaissent, voici chacun, parmi tout ce beau monde, réduit à n'être plus, comme n'importe qui, que ce qu'il est car il n'est et ne sera jamais que cela : sa propre caricature, sinistre et effarante, ennuyeuse et d'une abyssale connerie, l'incarnation tout de suite lassante de son insignifiance, de sa saloperie effrayante, de sa hideur sans fard, l'évidence de son incompétence manifeste, comme l'avatar consternant de toute sa mégalomanie — en somme : rien que sa propre imposture. Une enflure, vide, et qui va crever.
Sans les Guignols, ces enflures devront désormais se contenter de parader en personne sur des plateaux, réduits à un minable jeu de grimaces de zombies, à bafouiller inlassablement des éléments de langage, avec pour seule tenue un balai dans le cul.
Leurs lourdauds Guignols, au moins, semblent animés d'une vie, débitent des répliques d'humoristes professionnels, et sont manipulés par des champions du monde de fist-fucking.
Enfin les Guignols m'auront-ils fait rire une fois : en passant à la trappe sans s'y attendre.
Merci Monsieur Bolloré, pour cet audacieux et inattendu baisser de rideau sans tralala. Pour ce Happy End d'un brutal et réjouissant burlesque.