dimanche 18 septembre 2016

Coups-de-pied au cul de la part de Cioran !

 
Cioran retenant un coup-de-pied au cul © Friedgard Thoma


Beckett prêta le flanc aux emmerdeurs, et sa lubie de faire le bien de ses contemporains lui coûta cher. Une meute de tapeurs était à ses trousses. Sa bonté le perdit.

Arno Schmidt, lui, se montra en revanche d'une prudence paranoïaque salutaire. Ses admirateurs grouillaient autour des barbelés de sa petite maison de Bargfeld, dans la lande de Lunebourg, mais ils se gaffaient de ne pas franchir les limites de la discrétion, sachant l'irascible ermite armé d'un  Parabellum chargé et de vastes mains aux gifles assommantes. Certains se firent courser, attraper et malmener sans ménagement : mais ces cons vénéraient tant Arno Schmidt qu'ils ne soignaient même pas les plaies, les hématomes, les dents cassées et les yeux au beurre noir, conservant les stigmates de cette rencontre au sommet, comme ces fans qui ne se lavent plus car leur idole a griffonné sa signature sur leur épiderme.

Peu de gens osaient aller accoster Henri Michaux et lui réclamer ne serait-ce que du feu ou un autographe. Ses yeux de froid serial killer dissuadaient les plus audacieux. Il les fusillait du regard, et la légende dit même que certains, au palpitant pourtant moins fragile que le sien, en crevèrent de saisissement.

Les infernaux chiens géants de Céline tenaient à distance ceux qui avaient le culot de venir actionner la sonnette de sa grille, Route des Gardes à Meudon. Quand les gueulements du propriétaire furibard retentissaient à l'unisson des aboiements, même les plus téméraires avaient déjà pris leurs jambes à leur cou jusqu'au bas de la pente raide.

Pauvre Cioran, en revanche, pourtant plus misanthrope encore que ces têtes de bourrique mal embouchées ! Nul n'eut autant de scrupules que lui de déranger qui que ce soit mais en retour on ne le ménagea pas : il dût subir les inlassables assauts de fâcheux indécollables. Pas un jour où il ne fut dérangé par les coups de fil ou de sonnette de ces importuns. Il en enrageait, mais c'eût été, à ses propres yeux, une inélégance de sa part de les envoyer sur les roses. Il leur faisait le meilleur accueil. Aucun hôte n'était plus courtois et plus drôle. Et ces lourdauds emmerdeurs se persuadaient ainsi qu'ils étaient les bienvenus et que leurs coups de fils et visites étaient bénéfiques à Cioran, qu'ils étaient attendus comme des intimes par le vieux cacochyme et qu'il prêtait à leurs propos comme à leurs écrits un intérêt réel, qui les encourageait à poursuivre et cautionnait leur lubie d'une œuvre qui prendrait haut-la-main la relève de la sienne.  Ces importuns, qui étaient et restent ses pires lecteurs (leur comportement et leurs publications prouvent cette incurie effarante), n'ont jamais eu la jugeotte d'en douter et d'imaginer le contraire, qui les eût dégrisés cruellementet (dommage !) poussés enfin au suicide avec lequel ils faisaient mumuse avec grandiloquence pour se poser un peu là.

La mort de Cioran, puis celle, tragique, quelques temps plus tard, par noyade à Dieppe, de sa compagne Simone Boué, leur fut une aubaine. Ils écriraient cette légende et les deux locataires de la rue de l'Odéon ne seraient plus là pour les contredire. Dès lors ces mondains matuvus se mirent-ils à parader en se présentant avec l'aplomb du mythomane comme les meilleurs amis de Cioran, et jusqu'à aujourd'hui ne cessent de le clamer avec tapage, le prouvant par la publication sans vergogne de ses réponses polies à leurs courriers d'emmerdeurs. Ils se réclament de son héritage et de sa pensée, lui font cautionner de manière posthume leurs âneries et leurs numéros de poseurs grandiloquents et toute leur frime de gandins mondains avides de passer pour des farouches exécrateurs de ce monde où ils prospèrent. Pauvre Cioran !

Mais il sera sans doute vengé un jour par lui-même : quand ses Cahiers inédits (ceux trouvés dans sa soupente par la brocanteuse, et qui couvrent les années 1972-1990) seront enfin publiés par les rupins roumains qui les ont acquis après une victoire au tribunal contre l'État et la Bibliothèque Jacques-Doucet. J'espère qu'on y lira de chouettes vacheries sur ces indélicats. Ils ne perdent rien pour attendre. J'ai déjà eu l'occasion de lire dans des lettres inédites chez des collectionneurs des trucs fort croustillants à propos de ces frimeurs sans états d'âme. Vivement la publication de ces Cahiers qui se fait désirer depuis trop d'années déjà ! Espérons que ces très petits et très vilains messieurs ne crèveront pas avant de pouvoir lire tout cela et blémir en essayant le beau costume que leur a taillé d'avance Cioran lui-même pour l'hiver de leur postérité. À chacune de leurs fastidieuses visites, il n'a pas dû manquer d'en rendre compte avec le génie de la vacherie qu'on lui connait. Ce n'est pas au Paradis qu'ils emporteront leurs saloperies.

À ces profiteurs sans scrupules, viennent désormais s'ajouter les fâcheux cybernétiques. Beckett, Céline, Schmidt, Michaux doivent subir la calamité posthume des emmerdeurs de la Toile (je ne m'exclus certes pas de ce lot ! Mais j'ai la faiblesse d'estimer que je m'en distingue !). On ne laisse pas en repos leur mémoire : des milliers sinon des millions de baratineurs et soi-disant lecteurs ne cessent en ligne de s'en réclamer, de les commenter, de les citer, de les plagier, de délirer à leur propos. 

Cioran subit la même malédiction post mortem. Outre ceux qui prétendent l'avoir fréquenté comme des intimes privilégiés, outre les prétendus spécialistes de son œuvre qui sont parfois chargés de son édition posthume et alourdissent grotesquement reprises et inédits de commentaires effarants qui ne témoignent guère d'une compétence ni d'une sensibilité de lecteur sérieux de Cioran, on trouve désormais d'infatués rats cybernétiques qui prennent l'initiative d'aberrantes initiatives à sa mémoire. Ces crétins se croient tout permis, pour la bonne cause en plus ! Tiens donc !

C'est ainsi que l'autre jour, un de ces rats cybernétiques, anonyme bien-sûr comme tous ces grouillants et pleutres nuisibles, m'a demandé, dans un commentaire (faute d'avoir mon adresse mail) s'il pouvait redonner sur son site une photo incroyable et inédite que j'avais publiée sur ce blog à l'occasion de l'effroyable Marché de la Poésie, en juin 2014 : on y voit le burlesque trio composé de Cioran, Beckett et Michaux faire la queue devant la pissotière de la Place Saint-Sulpice. Document rare, effectivement, que nul n'avait encore montré. Et que je redonne ci-dessous :
 
Photo de Maurice Bonnel © : 
Beckett, Cioran et Michaux 
devant l'urinoir 
de la Place Saint-Sulpice

J'hésitais entre dire merde à ce profiteur anonyme et le traiter par la le mépris du silence : n'est-il pas aberrant de correspondre avec un anonyme volontaire ? Ces nuisibles sont ma bête noire et je ne voudrais pas leur faire l'honneur de la moindre considération, et encore moins le plaisir de satisfaire leurs demandes. Averti, dans les commentaires du billet qu'il voulait piller, de ma cruelle vengeance envers quiconque me piquerait cette photo incroyable, le rat avait tout de même pris la saine précaution de me demander mon autorisation et, ainsi, de signaler son forfait. Malgré tout ma répugnance est telle envers ces horripilants nuisibles et leurs horripilantes pratiques que je ne lui en étais pas le moindrement gré. Seule une couille molle pouvait ainsi s'aplatir à me demander ma permission.

D'autant que je n'avais nulle permission à donner : cette photo, je ne la possède pas, un collectionneur me l'a révélée jadis et m'a permis de la rephotographier à la va-vite et comme il est désormais aussi mort que Cioran, il n'a pas eu l'occasion de m'engueuler quand je l'ai mise en ligne. Seul l'auteur de la photo ou ses ayant-droits ont juridiquement la haute main sur ce cliché.

(Et quand bien même, par stupide politesse, n'étant pas un mufle dans son genre, aurais-je décidé de lui répondre au moins un "Allez vous faire foutre", je ne le pouvais pas : l'olibrius ne faisait que mine de me demander mon avis, car bien-sûr il n'avait laissé aucune adresse mail. C'était me prendre doublement pour un con. Ceux qui s'y sont amusés ont toujours eu à le regretter.) Brèfle…

L'auteur de cette photographie est Maurice Bonnel (ce que j'ignorais à l'époque de mon propre piratage). Grâce lui soit rendue de l'initiative de sa prise de vue. Miraculeuse : car d'un seul clic il a ainsi pris la fameuse triplette en photo, ce que nul n'a jamais réussi à faire. Miracle d'autant plus sublime et troublant qu'il est le fruit du plus beau des hasards : ce Monsieur Maurice Bonnel ignorait tout à fait l'identité des trois zigomars faisant la queue devant la pissotière parisienne. Ce n'est donc pas eux qu'il entendait, tel un paparazzo, photographier, mais tout simplement l'urinoir de la Place Saint-Sulpice et la longue file d'inconnus se tortillant en faisant patienter leur vessie.  

Des années plus tard, c'est un collectionneur averti de tout ce qui touche Cioran, Beckett et Michaux qui eut l'œil et s'empressa discrètement d'acquérir ce fragonard mirifique, il y a déjà longue lurette, pour trois francs six sous. Quelques temps après, il eut la jugeote de le faire authentifier par son ami Cioran, à qui il le montra un beau jour, déclenchant son hilarité.

Et voilà aujourd'hui un rat cybernétique, bien planqué dans son anonymat, qui pour se faire mousser conçoit la lubie atterrante d'ouvrir sur un réseau social, Facebook, une page où il entend démontrer qu'il est un aficionado émérite de Cioran, en y rassemblant la totalité des photos de Cioran qu'il peut voler sans vergogne sur la Toile. Une sorte d'album exhaustif que l'on peut feuilleter, imagine-t-il, avec gratitude envers sa générosité.

Ce crétin de réseau social doit sans doute estimer que les lecteurs de Cioran sont assez nouilles pour ne pas trouver tout seuls ces images légendaires sur la Toile et surtout dans leur bibliothèque, pire même : qu'ils ne les connaissent sans doute pas et qu'il les leur révèle !

Voulant passer pour un amateur averti de Cioran, il  ne se doute même pas que son initiative prouve de facto que tel n'est pas le cas : si quelqu'un n'aurait pas supporté la chose, c'est Cioran lui-même, et c'est bien mal l'avoir lu que de ne pas imaginer son désagrément sinon sa colère.

On remarquera aussi que cet anonyme détrousseur, s'il m'a certes demandé une autorisation que je n'avais aucun titre à lui accorder, n'a pas eu les mêmes scrupules envers les photographes dont il pille ainsi les photographies légendaires, car à eux il n'a très certainement demandé aucune autorisation : on peut en effet être sûr qu'il se la serait vue refuser, avec menace de procès. Ou tout du moins qu'il se serait vu réclamer versement de droits légitimes, et cet anonyme aurait alors dû dévoiler son identité en signant des chèques ou en faisant fumer la carte bleue.

De telles pratiques sont désormais la plaie de la Toile, sous le prétexte fallacieux et ignoble du partage et de la prétendue foutaise des droits d'auteur. En cela ce connard qui veut se distinguer avec ce monument frauduleux à la gloire de Cioran ne se distingue en rien de la masse des néfastes connards qui pullulent sur le Net. Son initiative n'est pas plus estimable que celles des fans transis de Claude François, Leonardo di Caprio, Céline Dion ou Catherine Deneuve, qui leur consacrent des pages et sites bourrés d'images et de documents copiés-collés sans aucune autorisation.

Un des fringants vieux matuvus évoqué plus haut, qui revendique la caution de son amitié intime avec Cioran et ne manque dans aucune de ses publications en kiosque et librairie comme dans ses consternants délires sur la Toile, d'invoquer son nom et son exemple et de poser comme son continuateur sinon sa réincarnation "branchée", avait eu il y a quelques années, en débarquant sur la Toile, l'effroyable tocade, puisqu'il se veut si drôle, alors qu'il n'est que sinistrement sinistre, d'ouvrir un blog où il donnait des dizaines de fausses photos de son "ami" et "maitre" et "inspirateur" : il  y collait la tête de Cioran sur des "hardeurs" de clichés pornographiques répugnants. Cette initiative prouvait ce que l'on savait déjà : que ce pauvre type est dénué de l'humour dont il se croit vraiment doué, qu'il est vulgaire là où il se prend pour un dandy et surtout qu'il n'est pas du tout l'ami de Cioran qu'il prétend être à tout vent. Ah s'il avait eu le culot de telles publications du vivant de Cioran ! Las ! Des queues Marie ! Le courage n'est pas son fort! Et faire subir un tel traitement à feu l'auteur de De l'inconvénient d'être né tout en se revendiquant de son amitié et de sa pensée relève de l'ignoble. Sous d'autres formes guère moins abjectes, cet imposteur poursuit son entreprise de démolition de Cioran en l'acoquinant malgré lui à ses saloperies : ce n'est pas l'amitié mais la haine, la rancœur et la jalousie qui animent cette grande gueule, pas seulement d'ailleurs à l'égard de Cioran. Brèfle… Mais au moins avait-il eut la foucade inédite de ces immondes images, que seule la tête confuse et ressentimenteuse de ce salopard pouvait concevoir. Le rat cybernétique de la Galerie Cioran sur Facebook n'a pas même ce genre d'initiative atroce. Il se contente de voler ce qui ne lui appartient pas. Et des dizaines d'autres jobards de Facebook redonnent à leur tour ces images pour se poser là et se singulariser.

On n'aurait aucun grief envers sa lubie douteuse d'une Emil Cioran Gallery sur Facebook si ce type (ou cette typesse, allez savoir avec l'anonymat !) avait le mérite d'y publier des portraits inédits de Cioran, au moins un, même flou : encore une fois on repassera. Ce détrousseur n'a lui-même rien en magasin, il se fait mousser sur le dos des autres, à très bon compte. L'escroquerie est donc totale. Et il se trouve sur sa page tout de même près de quasi 400 personnes qui "aiment" ça et autant qui "en parlent" sur leur propre page ! Cioran partagé sur un réseau social ! Non mais ça va pas la tête ?! Quelle époque de tarés totaux et de parfaits débiles !

Et quelle originalité que cette Galerie ! Pour obtenir un résultat encore plus profus, il suffit de taper "Cioran" dans la recherche "images" de Google et s'affichent alors des centaines de fragonards en une seule page, les mêmes qu'il donne sur sa misérable page de Facebook en frimant comme s'il était le premier à en avoir l'idée, et le seul. 

Si au moins ce détrousseur avait l'élégance et le culot de signer son forfait, tel le gentleman Arsène Lupin ! Mais Tintin ! Si au moins il avait le courage et la capacité d'accompagner ces photos de Cioran de commentaires de son cru, histoire d'apporter un petit plus et, pourquoi pas ?, nous prouver que sa lecture de Cioran n'a pas été vaine et qu'il possède au moins quelque chose comme un brin de plume sinon carrément du style, on pourrait être indulgent, sinon magnanime envers lui. Mais macache bono ! C'est à peine si le loustic mentionne les noms des photographes.

Quant à la qualité des clichés, il s'en tamponne, et à force d'être copiées-collées et retaillées sur Google, Instagram, Picasa, Pinterest ou Flickr ces photos, épatantes à l'origine, n'ont plus aucune couleur ni contraste de l'original : désormais pixelisées dans des résolutions de pingre, pisseuses et bancales, elles sont d'une effroyable qualité au point que les photographes, si d'aventure ils tombent dessus, doivent être soulagés quand leur nom n'est pas mentionné.

J'ajoute que je donnerai bientôt, mais sur papier payant cette fois, des photos et documents inédits à propos de Cioran, trésors de guerre ayant trop dormi dans le bordel de mes placards. Je préviens d'avance le rat planqué dans sa galerie et autres pirateurs potentiels qu'il ne faudra pas s'amuser, ces images, à me les voler. D'avance je pare le coup : j'ai mis à contribution un méchant hacker de mes amis. Il n'a pas été long à me dégotter du matériel sur le nuisible anonyme et sur d'autres prédateurs potentiels : me voici désormais muni de leur identité, adresse IP et autres biscuits. Si jamais on me détrousse, alors je me permettrai aussitôt d'indélébiles fantaisies en ligne à leur propos, et des biens cruelles, je puis le garantir. J'aurai encore moins de scrupules qu'eux.

Pourquoi serais-je animé de la moindre sympathie ou indulgence envers ce funeste voleur anonyme, dont l'initiative pour défendre la mémoire de Cioran s'avère en fait une déclaration de guerre contre lui et un non respect de cette mémoire ?

Et, cerise sur son gâteau de merde, non content de me demander une autorisation de reproduction sans me donner une adresse où lui répondre, ce rat anonyme ne l'a de toute façon pas attendue : le lendemain déjà il mettait en ligne la photo de la pissotière, volée sur mon blog, en me remerciant comme si j'avais béni son geste. Et aussitôt nombre d'abonnés de sa page l'ont "partagée" et reproduite à leur tour.  C'est un peu trop me prendre impunément pour une buse.
Capture-écran de la page Facebook / cliquer pour l'agrandir

On me dira que j'en fais des tonnes pour pas grand chose et je monte sur mes grands chevaux pour combattre des moulins-à-vent-de-bouche et des cons qui n'en valent pas la peine etc… Que tout cela n'est pas très grave, etc… Ce ne serait alors ni chic, ni fort amical, à mon égard d'abord, mais surtout à l'égard de Cioran. Sur lequel tant de gens s'essuient leurs pieds merdeux et se font reluire, sans que grand monde y trouve à redire.  De temps à autre, tout de même, il faut bien que quelqu'un distribue quelques coups de pieds au cul à certains qui se croient tout permis car leur insignifiance comme l'importance qu'ils s'accordent leur garantirait une impunité.

J'en fais tout un plat ? C'est que j'estime vraiment, comme Arno Schmidt, qu'il faut traiter les écrivains morts comme s'ils étaient toujours vivants. Se comporter autrement relève de l'ignominie.


L. Watt-Owen 
 

1 commentaire:

Luc-Antoine Marsily a dit…

J'imagine qu'un certain posteur frénétique de vignettes vidéo a du ressentir quelque douleur en son bas du dos...