lundi 7 novembre 2011
dimanche 6 novembre 2011
L'art de la pointe !
Tu aimes le fumier ?? par fazerman80
" Je suivis ma pointe et je trouvai des commodités merveilleuses. "
Cardinal de Retz
samedi 5 novembre 2011
Le Singe, le Marquis, le Bison, la Nouille et le Bossu
![]() | |
Lichtenberg |
Cette lettre au cher Marquis de l'Orée est un commentaire à un récent billet de son blog, où il écorniflait la plus récente des traductions de Lichtenberg. Comme son billet est très bref, on ne manquera pas de le consulter avant la lecture de ce qui suit.
![]() |
Le Marquis de l'Orée |
Pour une fois, cher Marquis, je ne me trouve pas en accord avec vous.
Sur deux points.
Mais d'abord il y a au moins deux autres points sur lesquels nous sommes d'accord.
Sur deux points.
Mais d'abord il y a au moins deux autres points sur lesquels nous sommes d'accord.
Primo, Lichtenberg est le plus fort et pas un jour ne passe sans que j'en avale quelques fioles de potion magique revigorante, amères comme des antidotes.
Pour savoir si quelqu'un peut légitimement se croire être cultivé et s'enorgueillir d'un excellent goût, il suffit de le lancer sur la piste Lichtenberg, savonnée à mort !
Deuzio, la traduction nouvelle de ce monsieur Le Blanc est , oui, dévitalisée, livrée avec des piles mortes ou bien flageolantes, le génie de Lichtenberg ne s'allume point ou par agaçantes intermittences, etc… Ce spécialiste du Bossu ne l'est que par défaut : car il serait semble-t-il donc le seul de ce côté-ci de la ligne Siegfried. Or cette traduction, la plus copieuse jamais offerte aux lecteurs français, semble l'œuvre de quelqu'un qui n'aurait jamais lu Lichtenberg ! Brèfle… Passons, par pudeur, car je continue, moi, à recommander malgré tout CETTE version plutôt que celle que vous vantez.
Car voici les deux points litigieux, objets de ce commentaire par ailleurs amical et sans mauvaise humeur, dont la franchise tranche avec l'hypocrisie générale écœurante des rapports entre chroniqueurs cybernétiques et vous prouve qu'on vous lit avec curiosité, intérêt et véritable attention. (En outre cela remplacera utilement la lettre que je vous ai promise depuis longtemps sans jamais l'envoyer).
Primo, vous exécutez celui que je considère comme l'un des meilleurs éditeurs d'aujourd'hui, et par éditeur j'entends "digne de ce nom", autrement dit excitant et de grand goût et de grand métier : Bertrand Fillaudeau à l'enseigne de José Corti. Votre ressentiment à l'égard du nouillard traducteur du bossu à catogan vous aura emporté à une bien hâtive et très injuste généralisation à tout le catalogue (mais c'est peut-être moi sans doute qui généralise votre grief). Mais, si cette traduction, mettons, est comme vous dites un assassinat, on ne saurait oublier pour autant que c'est grâce aux audaces de la maison José Corti que sont bien vivants aujourd'hui, par "chez nous" certains des auteurs qui nous tiennent debout. Quel lecteur digne de ce nom pourrait se passer de Jean Paul, de Hans Henny Jahnn, de Ludwig Holberg, de Julien Gracq, de Thomas de Quincey, de Thomas Love Peacock, etc… ? Vous les trouvez ailleurs que dans le catalogue Corti, ceux-là ? À moins bien-sûr que vous lisiez tout ce beau monde en V.O. ?
Deuzio : vous tressez des lauriers à la mère Tape-Dur Marthe Robert ! Alors là c'est le bouquet ! Les cornes de ce Bison vous auraient-elles éborgné la jugeotte ? Oh ce n'est pas moi qui la traite de Bison, mais son chéri Arthur Adamov, qui la sobrique de ce doux nom de bovin bûté dans ses récits autobiographiques et son journal. "La bétise à tête de bœuf " disait l'ami Gustave. Dans ce cas on dira de celle épaisse, obtuse et laineuse bien embrouillée de Madame Marthe Robert qu'elle est à "tête de bison".
Cette bonne femme a tué sous elle tous ceux qu'elle a traduit.
On vante son introduction de Robert Walser en France ? Mais sa version de L'Institut Benjamenta est si lourdingue qu'elle a plutôt plombé pour des années la traduction du reste. Quant à ses sorties contre Flaubert… Passons avec répugnance sur ces scènes de ménage.
J'en viens à "son" Lichtenberg : aussi plate et dévitalisée que soit la traduction de Monsieur Le Blanc elle a au moins, elle, le mérite de donner la masse des notes de "brouillard", et avec les références bien utiles, et par ailleurs sa platitude souvent affligeante vaut tout de même mieux que rien, c'est une espèce de mot à mot sans éclat, genre pétard mouillé…
Tandis que celle de la mère Tape-Dur, je n'ai jamais pu, moi, me la cogner. Quel charabia ! Et le drame est bien-sûr qu'on la trouve partout : depuis plus de cinquante ans, des dizaines d'éditeurs l'ont proposée dans tous les formats, la prétendant naturlich exclusive ! Je ne la supporte tellement pas, cette imposture, que je rachète tous les exemplaires que je retrouve, pour les détruire, afin d'éviter qu'une âme candide s'en dégoûte à jamais de Lichtenberg.
Léautaud avait pourtant dès le début du vingtième siècle dit son goût immodéré pour ce lointain cousin boche en vacheries et pointes acérées. Personne ne s'y est mis. Sauf cette bonne femme. Mais la mère Tape-Dur avait obtenu d'André Breton un certificat d'excellence dont personne n'osa lui chipoter la validité. Bien entendu ces affirmations de ma part ne témoignent que de mon seul goût et de mes seules aversions.
Un tel commentaire ne suffirait pas.
C'est pourquoi je donnerai bientôt, en une élégante petite brochure, un choix de fragments du Bossu dans une version lisible et excitante selon mon goût : la mienne.
Et celle-là je l'aurai toujours dans ma poche, comme autrefois la tabatière de tabac-à-priser dans le gousset du Bossu, dont les sniffs lui dégageaient les sinus et l'esprit, faisaient pleurer et pétiller de joie les yeux et secouaient leur homme.
Je vous en extrais cette ligne :
Un singe, même le plus doué, ne saura jamais faire le portrait d'un autre. Seul l'homme est capable d'une telle chose, et il n'y a bien que lui qui la considère comme un avantage.
Je les lis avec autant de satisfaction que ceux du Bossu vos propres aphorismes irréfutables, cher Marquis, et j'en ai rangé le tapuscrit sur le même rayon que les plus fortiches du genre, et dont on fait un usage immodéré, vous le savez — j'en emporte "dehors" quelques feuilles au hasard, comme on sort armé d'antidote contre la vaste connerie de ce monde et de son élément démocratique — mais la traduction d'une Marthe Robert les eût en un tour de main transformés en étouffante poudre de perlimpinpin. Ou en puant et lourd caca de bison.
Mille grâces à la chère Marquise, impitoyable lectrice, dont je sais qu'elle suit ces débats. Elle qui m'a donné raison plusieurs fois, me donnera-elle tort ce coup-ci ?
So long cher Marquis…
(et il va de soi que, si cela vous chatouille et chante, vous pouvez à votre tour répondre à ce commentaire totalement subjectif et partial).
L. Watt-Owen
La réponse du Marquis de l'Orée :
Cher Louis,
tout d'abord merci pour ce portrait qui me ressemble trait pour trait ! (le casque en moins néanmoins)
Comme vous le savez, les émotions procurées à la lecture de la première traduction d'un livre sont rarement égalées par une autre version, fût-elle excellente. A cela s'ajoute ma mauvaise foi légendaire, je l'admets volontiers.
J'étais pourtant tellement heureux lors de l'arrivée de ce livre qui devait me faire découvrir de nouveaux fragments du génie mélancolique.
A la lecture: plus rien. Lichtenberg ? Un homme mort. Cette vibration interne que l'on ressentait derrière la carapace de glace: assassinée.
Je suis certain que monsieur Charles Le Blanc est un savant, cela ne fait aucun doute. Sa traduction est probablement d'une rigueur impeccable. Il a réussi à vitrifier Lichtenberg. Chapeau. Quant à sa préface, elle est aussi plate et universitaire que possible. Sans compter le mépris qu'il affiche vis-à-vis de la traduction de Marthe Robert, mais peu importe.
Les éditions Corti, eux, sont des éditeurs. Or, j'ai en horreur les éditeurs, tous les éditeurs, tout autant que les écrivains, tous les écrivains (sans compter les hommes, tous les hommes). De la terre ne restera qu'une plaie béante, parfaite illustration du projet que chaque homme porte en lui.
Néanmoins, la marquise vous salue et vous fera bon thé, suivi d'un mot à votre attention après la sieste.
Le rhinocéros vous embrasse.
Et je serai heureux de pouvoir lire votre traduction, Louis.
The pleasure is mine
delorée des origines du vide
Bonus :
On peut lire nos autres échanges sur le sujet
dans les commentaires du Marquis de l'Orée. vendredi 4 novembre 2011
"Vivre dans le noir de mon corps…"
"Qu'arrivera-t-il quand ayant tiré de mon corps ce que mon corps avait à dire, sur cette vie, tout au long de cette vie, il n'y aura plus a en écrire que la mort ou le silence?
Le corps a donné corps à ma rage d'interpréter l'Homme, et le monde.
L'exploration des ténèbres, c'est lui.
L'extraction de la lumière, c'est lui.
La reconnaissance de l'âme, lustrale ou cloacale, c'est lui.
Les grands sentiments, l'impérieuse luxure et le traitement des obsessions qui comptent : les sens, non-sens et contresens de l'existence, c'est encore lui.
Lui enfin, l'informe entonnoir où se pressèrent, à l'en obstruer, mes désirs, mes ivresses, mes souffrances, mes passions mécréantes et créantes."
Le corps a donné corps à ma rage d'interpréter l'Homme, et le monde.
L'exploration des ténèbres, c'est lui.
L'extraction de la lumière, c'est lui.
La reconnaissance de l'âme, lustrale ou cloacale, c'est lui.
Les grands sentiments, l'impérieuse luxure et le traitement des obsessions qui comptent : les sens, non-sens et contresens de l'existence, c'est encore lui.
Lui enfin, l'informe entonnoir où se pressèrent, à l'en obstruer, mes désirs, mes ivresses, mes souffrances, mes passions mécréantes et créantes."
Marcel Moreau, Insensément ton corps,
Cadex éditeur, 1996
LIEN : Le site consacré à Marcel Moreau
jeudi 3 novembre 2011
mercredi 2 novembre 2011
lundi 24 octobre 2011
Ma tête-de-nœud
Autoportrait en tête-de-nœud, par L. Watt-Owen ©, Tréguier / click to enlarge |
Chère Madame,
Oubliez tout ce que j'ai pu vous dire d'inconvenant hier à propos de cette idée d'affiche et de mon refus catégorique de vous laisser placarder ma tête mise à prix sur tous les murs de votre ville.
La véhémence de mes propos ne vous aura pas, j'espère, trop indisposée à mon égard.
Et puis dites-vous que vous en aurez au moins connu un, de gars réellement modeste, en ces temps où n'importe quel auteur trouverait illico normal d'être ainsi célébré.
Brèfle…
Tout ça pour vous dire qu'après une bonne nuit blanche de réflexion, je me range ce matin à votre idée.
Et ne vous cache pas que la honte et les délires verbaux d'hier ont fait place à une chouette fierté dont je ne boude plus le plaisir.
Je n'y mets qu'une seule condition : que je vous fournisse le cliché.
En conséquence, ayant déjà tant tardé, je vous expédie ci-joint la seule photo de moi que je puis vous proposer, et la plus récente, en l'occurrence un autoportait.
Bien à vous
L. W.-O.
samedi 22 octobre 2011
Se démerder
Prier Dieu de me sortir de la merde où je me suis mis tout seul ?!? — autant faire le 115 ou le numéro de l'Élysée…
L. W.-O.
mercredi 19 octobre 2011
"Je suis l'observateur, l'ignoble individu qui s'est confortablement installé dans le fauteuil à oreilles…"
![]() |
Photo de Barry Cawston © / Click to enlarge |
"Ils le voyaient bien: je suis l'observateur, l'ignoble individu qui s'est confortablement installé dans le fauteuil à oreilles et s'adonne là, profitant de la pénombre de l'antichambre, à son jeu dégoûtant qui consiste plus ou moins à disséquer, comme on dit, les invités des Auersberger. Ils m'en avaient toujours voulu de les avoir toujours disséqués en toute occasion, effectivement sans le moindre scrupule, mais toujours avec une circonstance atténuante; je me disséquais moi-même encore bien davantage, ne m'épargnais jamais, me désassemblais moi-même en toute occasion en tous mes éléments constitutifs, comme ils diraient, me dis-je dans le fauteuil à oreilles, avec le même sans-gêne, la même grossièreté, la même indélicatesse."
Thomas Bernhard, Des arbres à abattre
iShit : Parle à mon cul…
Le kit "Mains Sales" iShit connait un succès planétaire.
Désormais tous les trous-du-cul en ont un.
L. W.-O.
mardi 18 octobre 2011
INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES / 22
![]() | ||
Click to enlarge |
![]() |
Click to enlarge |
![]() |
Click to enlarge |
Les photos de Barry Cawston !!!
Rappel : tous les INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES
La nuit aveuglante
" Voilà mon enfer, c’est l’extrême liberté dont je jouis. "
André de Richaud
Lien : andrederichaud.fr
lundi 17 octobre 2011
La Grande Têtée
" Simon avait un faible pour ces dames et se réjouissait toujours de les voir (…) " Le peuple n'est-il pas comme un grand petit enfant pauvre, qui a besoin de tutelle et de surveillance, disait sa voix intérieure, et n'est-ce pas mieux qu'il soit surveillé par des femmes, dans ce cas-ci des dames distinguées et généreuses, plutôt que par des tyrans comme dans les temps anciens qu'on aura beau dire plus héroïques ? " (…)"
Robert Walser, Les enfants Tanner
samedi 15 octobre 2011
Portrait de l'artiste
Le banc d'André Dhôtel, Mont-de-Jeux, par L. W.-O. ©, 2009 / click to enlarge |
Entre le peintre "sur le motif", fût-il Paul Cézanne, et l'arbre qui pose pour lui sans le savoir ni pouvoir s'y soustraire, le plus génial artiste — oserais-je dire : le seul des deux — est bien-sûr l'arbre, et non pas celui qui s'est planté derrière son chevalet, seul poseur des deux, lui.
L. W.-O.
vendredi 14 octobre 2011
" Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves…"
"(…) La littérature française, Dieu merci, peut se passer de mes services. Elle ne manque pas de bras, la littérature française, ça fait plaisir. Elle ne manque pas de mains. On en a pour tous les goûts, pour toutes les besognes. On a des anxieux, des maux du siècle, des durs et des mous, des bien fringués, des chefs de rayon. On a les officiels en jaquette, pour centenaires et inaugurations de bustes. On a les anarchistes qui portent un pull-over jonquille et qui sont saouls à onze heures du matin. Ceux qui sont au courant de l'imparfait du subjonctif, ceux qui écrivent merde, ceux qui ont un message à délivrer et ceux qui sont les gardiens de la tradition nationale. Les facteurs, les gendarmes. Ceux qui me font penser à mon cousin Virgile qui n'était bon à rien : alors il s'est engagé et puis il est devenu sous-officier - voilà où ça mène de s'engager. Les littérateurs engagés, les littérateurs encagés. Il y a ceux à qui le noir va bien, et ceux qui préfèrent le rose, et ceux qui aiment mieux le tricolore. Ceux qui ont le cœur sur la plume. Et les psychologues, et les pédérastes, et les humanistes, et les attendris, et les enfants du peuple à qui ça fait mal au cœur de posséder tant de culture à eux tout seuls, et les moralistes nietzschéens qui ont été élevés dans une institution de Neuilly. On a de tout, on n'en finit pas. On a ceux qui giflent les morts et qui conchient l'armée française, et puis qui se rangent, qui ne plaisantent pas avec la consigne. Les travailleurs de choc qui vous édifient des trente volumes de roman, et toute l'époque est dedans, il y a des tables et des index méthodiques pour qu'on s'y retrouve. Ceux qui font des conférences dans les provinces, avec trois anecdotes et un couplet moral planté dessus comme une mariée en plâtre sur un gâteau de mariage. Et les petits jeunes gens qui parlent tout le temps de leur génération. Et s'ils racontent en deux cents vingt pages qu'ils ont fait un enfant à la bonne de leur mère, cela devient le drame d'une génération... (...) »
Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches (Denoel / 1953)
Réédition Le Dilettante
![]() |
Dessin de Georges Hyvernaud |
" C’était bien le pyjama rose qui m’était annoncé pour lundi dernier. Et il faut croire que mon goût se gâte : je ne le trouve pas si moche que ça ! Même, en comparaison du pyjama à ramages qu’arbore un de mes compagnons, il fait discret et distingué. Toute la chambrée, dont la culture musicale est au niveau de celle de E. , a chanté : " C’était un pyjama rose - avec un p’tit homme dedans ". Le petit homme, en tout cas, se trouve bien dans son lit depuis que les couvertures ne lui grattent plus les jambes. Et il passe confortablement des nuits où pourtant il fait plutôt frais. Froid vif, en effet, toute cette semaine. La campagne enneigée, sous un ciel très clair et très dur, semblait bleue l’après-midi et rose à la tombée du jour. J’ai beaucoup vécu à la cantine, avec l’inépuisable Montaigne. 2 clans hostiles se disputent âprement les meilleures places de la cantine (les plus près du feu) : les joueurs de bridge et les " intellectuels ", ces derniers comprenant tout ce qui lit quelque chose, traité de mécanique ou roman policier. Mardi, colis de Mammy : les chaussettes, du savon, du sucre dans des petits pots granulés et pailletés où poussaient des tulipes artificielles que tu avais offertes à Père et Mère à notre 1er Nouvel An. J’ai été tout remué de les revoir. Il y a ainsi de vifs rappels du passé : hier soir j ’ai écouté une lecture commentée d’Électre. J’en ai eu pour une heure, dans mon lit et dans le pyjama rose, à rêvasser au temps des soirées à l’Athénée. À des temps qui recommenceront, heureusement ! Pas de lettre cette semaine. "
Lettre du lundi 3 février 1941
" Le pire de tout, c'est les cabinets. Quand je veux former une image dense et irréprochable du bonheur, c'est à des cabinets que je pense. À des cabinets bien enfermés de murs blancs, dallés de clair, verrouillés. Je suis assis dignement sur la couronne de bois verni, dans ma dignité d'homme libre. Je suis assis au centre d'un épais silence savoureux. Un silence blanc, luisant, crémeux. Il y a contre le mur une boîte de faïence d'où pend un rectangle de papier hygiénique. Il y a au-dessus de ma tête une chaînette munie d'une poignée de faïence. Je suis assis. J'ai tout mon temps et toute ma liberté. Je puis parler seul, lire des vers. Je puis penser à l'immortalité de l'âme, si ça me chante...
Les cabinets, ici, c'est une baraque badigeonnée d'un brun ignoble, avec une porte qui ne ferme pas et des vitres cassées. Seize sièges là-dedans, huit d'un côté, huit de l'autre. Et des traces de merde sèche sur les sièges. On s'installe côte à côte, dos à dos. Seize types sur leurs seize sièges, alignès, identiques, pareillement attentifs au travail de leurs boyaux. Chacun a une feuille de papier à la main, comme une demoiselle qui s'apprête à chanter dans un salon. Ils s'efforcent ensemble, mornes, soucieux, confondant leurs bruits et leurs odeurs. Et d'autres, debout contre la paroi goudronnée, pissent. Un petit ruisseau d'urine mousseuse coule à leurs pieds. Et il y a encore ceux qui attendent leur tour en causant de leur famille ou de leur constipation. Fraternité des barbelés. Fraternité dans la puanteur et la flatulence. Tout le monde ensemble dans un gargouillis de paroles, d'urine et de tripes. De temps en temps quelqu'un se soulève un peu, et, retenant d'une main son pantalon, de l'autre, soigneusement, se torche. Au suivant. On se bouscule autour du trou. On proteste : Grouillez-vous un peu, bon dieu.
J'aimerais autant parler d'autre chose. De choses claires. Parler des claires jeunes filles, ou d'un regard de vieille dame, ou d'un peuplier au bord de la route. Parler d'un poème, d'une écharpe, d'un tableau de Matisse. Mais tout cela n'existe plus. C'est fini. Il n'y a plus de couleurs, de feuillages ni de regards. Tout a été englouti dans une catastrophe informe. Tout est foutu. Il n'y a plus, au milieu d'un univers détruit, que cette baraque où l'on se soulage en tas. Tout est vide et mort. Et au milieu du vide et de la mort, il ne reste plus que cet asile de la défécation en commun…
Quand même, les cabinets, cela résume mieux notre condition. Mieux que les punaises. C'est plus complet, plus significatif. Avec même un air loufoque, une qualité d'humour sordide. Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines. Voilà ce qu ils ont fait de nous. Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal, et puis on va se vider. C'est toute notre existence. On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problêmes. On était fier de ses problêmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisances.
(…) On publiera de belles choses sur l'énergie spirituelle des captifs. Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important. Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves. Toute l'abjection de la captivité est là, et l'Histoire, et le destin. En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentit et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d'êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable.
J'aimerais autant parler d'autre chose. De choses claires. Parler des claires jeunes filles, ou d'un regard de vieille dame, ou d'un peuplier au bord de la route. Parler d'un poème, d'une écharpe, d'un tableau de Matisse. Mais tout cela n'existe plus. C'est fini. Il n'y a plus de couleurs, de feuillages ni de regards. Tout a été englouti dans une catastrophe informe. Tout est foutu. Il n'y a plus, au milieu d'un univers détruit, que cette baraque où l'on se soulage en tas. Tout est vide et mort. Et au milieu du vide et de la mort, il ne reste plus que cet asile de la défécation en commun…
Quand même, les cabinets, cela résume mieux notre condition. Mieux que les punaises. C'est plus complet, plus significatif. Avec même un air loufoque, une qualité d'humour sordide. Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines. Voilà ce qu ils ont fait de nous. Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal, et puis on va se vider. C'est toute notre existence. On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problêmes. On était fier de ses problêmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisances.
(…) On publiera de belles choses sur l'énergie spirituelle des captifs. Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important. Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves. Toute l'abjection de la captivité est là, et l'Histoire, et le destin. En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentit et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d'êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable.
GEORGES HYVERNAUD, La Peau et les Os
Le Dilettante
jeudi 13 octobre 2011
Le cruel et son double / 3
" Si tout est vrai, rien n'est vrai. "
Clément Rosset
![]() |
Click to enlarge |
![]() | ||
Click to enlarge |
![]() | ||
Click to enlarge |
![]() |
Click to enlarge |
Fan de Clément Rosset le mitraillant pendant une conférence sur la photographie
Vidéo ci-dessus : Clément Rossets Prinzip Grausamkeit
BONUS :
Reseñas (en VO !)
par Freddy Téllez, Université de Lausanne
RAPPEL :
Tous les billets évoquant Clément Rosset sur ce blog
mercredi 12 octobre 2011
mardi 11 octobre 2011
"Je vais aller me coucher."
![]() |
Raymond Guérin et Henri Calet |
"J’ai été bien malade, mon cher ami, je le suis encore.
Mais, je commence à me lever un peu.
En somme, je suis resté près de trois mois au lit.
Maintenant, si tout va bien, je vais pouvoir me remettre à vivre tout doucement, avec une grande prudence…
Nous en avons fini avec les plus intéressants chapitres.
C’est autre chose qui commence : une histoire précaire, incertaine, un peu triste.
On n’apprend pas à devenir vieux.
Tout m’est interdit.
Je ne peux plus que marcher à petits pas dans la vie.
Je t’ennuie avec ces misères.
Laissons cela.
Je vais aller me coucher."
Henri Calet
lundi 10 octobre 2011
Littérature industrielle
![]() |
click to enlarge |
Dans les commentaires d'un récent billet de Frédéric Schiffter, consacré à Lucien de Samosate, je tombe sur cette citation de Tocqueville. Je m'en veux un tantinet d'avoir snobé jusque-là le gros volume de ses œuvres, que j'avais fini par oublier dans le bordel de ma bibliothèque. Merci donc au sagace citateur, P. Klein.
L. W.-O.
" DE L'INDUSTRIE LITTÉRAIRE DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES "
" La démocratie ne fait pas seulement pénétrer le goût des lettres dans les classes industrielles, elle introduit l'esprit industriel dans la littérature.
Les lecteurs étant très nombreux et très faciles à contenter à cause du besoin absolu qu'ils ont du nouveau, on peut faire sa fortune en produisant sans cesse une foule d'œuvres nouvelles mais imparfaites, on arrive ainsi assez aisément à une petite gloire et à une grande fortune.
Les littératures démocratiques pour un petit nombre de grands écrivains fourmillent de vendeurs d'idées. "
Tocqueville
dimanche 9 octobre 2011
Inscription à :
Articles (Atom)