vendredi 22 octobre 2010

"L'Heure de la retraite générale sonnera bientôt…"

Le sourire de Gombrowicz

 Wiltold Gombrowicz et Lucrecia Ercole (click to enlarge)

" Quand une jeune fille se met une fleur dans les cheveux, quand une plaisanterie surgit au cours d'une conversation, quand nous nous perdons dans le clair-obscur d'un crépuscule, tout cela n'est-il pas de l'art ? "
Witold Gombrowicz, Ferdydurke

Merci à Dominique Meens 
pour la bonne piste de cette photo ferdydurkienne.

 

"MA VIE ÉTAIT PLUTÔT DANS CE SENS : ASCÉTIQUE"




Rappel : le site consacré à Witold Gombrowicz
Autres billets consacrés à Gombrowicz sur ce blog


jeudi 21 octobre 2010

"Une journée maussade" par Joël Roussiez



 Dans la cabane de Joël Roussiez, par L. W.-O. ©, Bretagne 2007
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Un texte inédit de Joël Roussiez, l'un des plus forts et des plus discrets écrivains d'aujourd'hui, dont je ne recommanderai jamais assez la lecture. On le retrouvera régulièrement dans la nouvelle formule de La Main de singe. (Voir bibliographie et liens en bas de ce billet)

Une journée maussade où nous étions en rade dans le doux Ar Ménez toute voile pendue ainsi que du linge mouillé, en attente du vent au milieu des coteaux, un jour de printemps où le clapot même était sans force; un jour donc où nous étions venus là pour aborder la côte en baie de Trez où se trouve une passe pour gagner la mer des Gascons en évitant le tour du Nez, gagnant ainsi du temps sur l'Amiral pour le rejoindre après un repos qu'il ne voulait accorder. Les hommes étaient dans un état lamentable, leurs corps se traînaient sur le pont; dix jours de navigation dans la tempête les avaient mollis... Et voici que le temps nous était venu à propos, maintenant nous balancions notre ennui en regardant la terre. Une journée maussade donc enveloppait le navire et glissait son humeur dans le bastingage et les mâtures, balancement du grand mât comme un pendule métronome qui nous comptait les heures qui ne paraîssaient; et le grincement des bois qui irritait nos nerfs, s'immisçait dans les cales parmi les rats qui se montraient stupéfaits à la face des matelots qui leur jetaient des boulets du charbon que nous avions chargés à Monléo. Nous allions avec le vent et sans vent nous n'allions pas, nous sentions des mollesses sous nos pieds comme si elles nous remontaient par les jambes, forçant nos marches désœuvrées à peu de stabilité, chacun en conséquence titubant sans aucune raison puisque le navire sur l'étale ne bougeait pas d'un brin. C'est ainsi que vint au milieu de nos corps s'installer une sorte de peur. On vit des rats passer par les haussières et se couler dans l'eau; des poissons vinrent tourner autour de la coque ne montrant que leurs dos aux lueurs de fuel et la journée balança ses heures comme on compte les gouttes après l'averse; nous comptâmes les nôtres, maussades à notre tour dans notre repos ce jour... 
Temps étrange et plus obscur, avec le crachin qui se mit à descendre en nappes mouvementées, gonflant parfois les voiles qui claquaient un peu tandis que le navire sembla se mettre à suer. Les hommes comme étouffés de l'intérieur s'abattaient sur les bancs, les sièges et les rouleaux de filins, exténués par le froissement de l'eau contre l'étrave et le bruissement de la pluie incessant. Des vagues de torpeurs berçaient en nous des songes de malheur qui nous fermaient les yeux; et le temps étrange où l'on comptait les heures passées et celles qui restaient en écartant nos doigts, une, deux et trois heures encore, le temps semblait reculer au milieu des poulies et des cabestans dans lesquels il s'empêtrait comme il nous arrivait de nous empêtrer dans des sommeils furtifs qui nous collaient les yeux. Le navire mollissait, les bois regorgeaient d'humidité gluante et douce, on ne savait où poser les mains; il nous venait des démangeaisons aux bras et, sous les cheveux, il nous semblait sentir s'étendre quelque champignon plat. Le long de canaux dendritiques d'où s'écoulait un jus, de minuscule crustacés s'accrochaient en cliques à quelques rugosités du bois; le pont se couvrait pour nous d'une vie infime comme si devant les yeux dansaient des fibrilles de limaille rouillée; au loin, la lande envahie de lichens dansait aussi sous les nuées et tout ceci nous basculait dans le maussade d'une journée où nous avions pensé prendre du repos... L'Amiral arriva par le fond de la baie, son navire à l'étrave d'acier fendit les eaux sans nous voir, nous éperonnant par le tribord qui nous fit basculer hors du maussade et dans un autre temps...Temps étrange, c'est son nom...
© Joël Roussiez, 2010

BIBLIOGRAPHIE (choix) 
Romans, nouvelles et poésies
 

La Folie de Monsieur Siffait
nouvelle sur les Folies Siffaits, 
photos de Ph Ruault, Nantes, 
éd. A.C.L. 1985 


La Cinquième Île
roman, 
éd. Le Tout Sur Le Tout 1987 

Autrement, on entrait dans un Port
nouvelle, 
revue Grande Largeur N° 12, 1987 

Bercés Par Les Brumes
poèmes en prose, 
Coédition Le Tout Sur Le Tout & Le Temps Qu’il Fait, 1989 

Il arriva…
cinq textes accompagnant des dessins de G. Chaimowicz, 
livre d’art,
éd. Splitter, 1992, Vienne (Autriche) 

Errances
avec un coffre bleu et deux oiseaux, 
roman, conte et récit, 
Cognac, éd Le Temps Qu’il Fait, 1995 

L’Homme Sédentaire et La Femme Voyageuse
roman, 
 Le Tout Sur Le Tout, 1999 

Trente et Un Levers du Jour
poèmes en prose, 
Le Tout Sur Le Tout, 2003


Nous et nos troupeaux,
poèmes

Voyage biographique
roman, 
La Rumeur libre, 2010

Joël Roussiez a également collaboré à  
La Main de singe de 2003 à 2005, 
et aux précédentes versions de ce blog.

Joêl Roussiez par L. W.-O. ©, Bretagne, 2007
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vendredi 15 octobre 2010

György Petri : BECKETT, SYNOPSIS



Ci-dessus, une vidéo rare, avec György Petri :
"Arizona Diary with poet György Petri • 1992"

Je retombe par hasard, dans les archives de la revue, sur ces adaptations de quelques poèmes du hongrois György Petri, réalisées avec un ami hongrois, en 1993, de retour de Budapest. La Main de singe était particulièrement "branchée" sur les auteurs magyars : Peter Esterhazy (dont je vais reparler ici très vite), Endre Kukorelly, Ivan Mandy, G. Krudy, etc…, mais ces vers du grand Petri n'ont finalement jamais paru. Je les donne enfin ici en l'état, espèces de brouillons retrouvés, juste parce que j'enrage qu'un tel bonhomme soit complètement ignoré sous nos latitudes, et dans l'espoir qu'un éditeur français s'y mettra un jour sérieusement, comme l'ont fait courageusement il y a déjà quelque lurette les éditions FONT, à l'occasion du Festival Est-Ouest de Die. En attendant cette saint-glinglin, mieux vaut ces adaptations balourdes plutôt que rien du tout. Né en 1943, Petri a disparu en 2000. On ne sait par ici pas grand chose sinon rien sur ce poète qui a marqué ses contemporains hongrois, parmi lesquels Peter Esterhazy. Si quelqu'un peut en dire plus, les colonnes de ce blog lui sont ouvertes. L.W.-O.










MOI

Ce grain de raisin sec
que Dieu,
dans son Eden craquant de gel,
se garde
pour la bonne bouche…


IL FAIT SI BON !

Il fait si bon plonger à plat ventre
dans l’herbe haute, après avoir écrit;
si bon marcher dans le ciel jusqu’aux rotules;
si bon laisser la cervelle se dégourdir
les pattes (et rentrer taper ce genre de truc,
c’est alors presque aussi bon)

SOMBRE NOEL

J’ai 40 ans. La suite de l’histoire, etc… etc… :
je n’en sais rien de rien.
Pour l’heure, on a un de ces hivers doux !
Pas de neige dans la cour :
le temps égorgé se vide
à gros bouillons sur le gel fragile du purin.


HIVER 1980

Bientôt 49 ans : à la fin
de cette mini-époque…
J’ignore ce que sera alors
la mode en matière de slips
ou de déguisements pour l’âme.
Belle lurette que j’aurions été d’jeun’ !
Bien décati déjà,
le pauvre type aura-t-il plié ?
Pas sûr ! Avec quoi aura-t-il transigé ?
Et le journal, il le lira dans quelle langue ?
Et baisera-t-il encore
celle qui s’éveille ce matin dans son lit ?


BECKETT, SYNOPSIS

Dans une lumière malade
(ampoules fiévreuses,
à claquer), dans la clarté
qui tombe de par là-haut
(fruits lumineux, pendus) :
ORDURES.

Il y a
des bobines de fil,
de la ficelle,
du crépon, du kraft, du papier de rembourrage,
la musette,
des conserves vides…

Entrent : deux (mettons !) SEMBLABLES.

Ils attendent jusqu’à ne plus le pouvoir.
Alors l’un des paraît-il SEMBLABLES sort.
L’autre paraît-il SEMBLABLE se retrouve
comme un idiot, seul en scène.

György Petri

adapté du hongrois par L. Watt-Owen et Andras Töry

Bonus : cet
Apokrif, en v.o., pour le sublime de la langue hongroise, indéchiffrable, par nous autres, belle comme du vénusien. Du saturnien plutôt.

Apokrif

Zakatol a szentcsalád
Isten tömi Máriát,
József nem tud elaludni,
keres valami piát.
Nem lel, felkel. Pizsamára
húz fel inget és gatyát,
lemegy a Háromkirályba,
hogy egy fröccsöt legalább---
---"Megint Isten?"
---"Az hát, megint."
Sóhajt, nagyot húz és legyint:
---"Különben,
múltkor kivertem a huppot.
Ha az orrom elött dugtok!
---de így megmondtam a Marinak,
legalább tartsad a pofád,
úgyis szól, mint a földrengés
mindig az a rohadt ágy,
közben - de komolyan! - ne halljak
több ha-ha-ha-halleluját!"


LIENS :
Une page consacrée à Petri (en v.o.).


Bibliographie succinte :

L’époque d’imbéciles intrépides arrive, poèmes. Traduit par Ivan Bajomi et al. Budapest: Font Ed., 1991. Publié dans le cadre du Festival Est-Ouest de Die (Drôme)

Night Song of the Personal Shadow
. Selected poems. Translated by Clive Wilmer–George Gömöri. Newcastle upon Tyne: Bloodaxe, 1991.

Eszterházy Péter, Egy kék haris Dokumentum, Magvető, 1996. Benne: Petri György interjújával.

jeudi 14 octobre 2010

"Comment il tomba du haut de la cathédrale et expira à ses pieds…"



Extrait de Charlie et ses deux nénettes, un fim de Joêl Seria

"On est puceau de l'horreur comme on l'est de la volupté"


retrouver ce média sur www.ina.fr

"Elle n'a pas cessé de tomber dans mon esprit…"
Vidéo ci-dessus : entretien avec Henri Thomas 
à propos des Tours de Notre-Dame



En "couvrant" pendant dix années les faits-divers pour un grand quotidien, j'ai vu bien des atrocités. En rusé journaliste, j'arrivais sur les accidents ou sur les scènes de crime souvent en même temps que les pompiers et le grand jeu était d'arriver avant les flics. Désincarcérations, suicides abominables, meurtres, etc… : il fallait avoir le cœur bien accroché pour faire son boulot de reporter et dormir tranquille. Je ne regretterai jamais cette chance inouie que m'a donnée cette profession de voir bien  en face le réel. Comme disait Céline dans Le Voyage : "on est puceau de l'horreur comme on l'est de la volupté". En la matière j'ai eu ce privilège d'être dépucelé sans ménagement. Une carte de presse vous ouvre les portes du tragique bordel de la vie. Toutefois, même si je fus, c'est la loi du métier, un reporter d'une grande promptitude pour foncer pied au plancher sur les lieux des atrocités, je n'ai jamais pu faire plus vite qu'arriver après l'accident ou l'assassinat, même si c'était à peine quelques minutes plus tard. Aussi atroce que fut ce qu'il m'a été donné de voir, ces scènes inoubliables ne m'ont pas autant marqué ni instruit, quant au tragique du réel, que deux anecdotes dont je ne fus pas le témoin direct. En entendant Henri Thomas parler de cette désespérée qui se jeta des tours de Notre Dame, comment ne pas resonger à ces deux anecdotes "tragiques", qui m'obsèdent depuis plus de trente ans, et à ce que Clément Rosset définit comme mécanisme tragique.

Chaque fois que je veux arrêter de fumer, je me souviens de ce que m'avait raconté, vers 1980, un octogénaire qui fumait encore sans modération, car le tabac lui avait sauvé la vie : quand il avait l'âge que j'avais à l'époque, lui aussi avait tenté d'arrêter de fumer. Comme ce sevrage l'exaspérait, il était sorti marcher en ville, pensant qu'une vigoureuse promenade le distrairait de sa tentation . Au bout de cent mètres, il se mit au coin du bec une Gauloise en se promettant de ne pas l'allumer. Deux rues plus loin il n'y tint plus : il stoppa net, plongea la main dans sa poche, en sortit le briquet et pendant qu'un passant pressé et râleur le dépassait en le bousculant il donna un coup de pouce sur la molette : dans la ligne de mire de sa Gauloise sur laquelle il tirait une voluptueuse première bouffée, il vit, là à un mètre devant lui, le râleur qui l'avait doublé recevoir sur le crâne un pot de fleurs qui le tua net.

Un peu plus tard, encore éberlué d'avoir vu cet inconnu mourir à sa place, il arriva en retard devant un immeuble où il avait rendez-vous. Il pénétra dans ce  haut bâtiment typiquement lyonnais, où les escaliers donnent directement sur la vaste cour intérieure. Avant d'attaquer les raides volées de marches jusqu'à l'étage où il devait se rendre, il fit halte dans la cour à ciel ouvert pour en griller une tranquillement et reprendre ses esprits : c'est alors qu'il aperçut, tout là-haut, un homme enjamber la rambarde du dernier étage et se jeter dans le vide : il eut le réflexe de s'écarter et le malheureux suicidé tomba pile à l'endroit où il se trouvait un quart de seconde auparavant. Le type toutefois se releva comme si de rien n'était, car il s'était miraculeusement loupé, et, le voyant fumer, lui demanda une cigarette sur laquelle il tira en regardant le ciel sans rien dire d'autre que "Merci !".  Il prit le temps de finir sa Gauloise, puis sans prévenir regrimpa les dix étages quatre à quatre jusqu'au sommet, réenjamba sans hésitation la rambarde, se lança dans le vide et s'écrabouilla au sol à l'endroit même où il avait écrasé son mégot. Cette fois il ne s'était pas loupé.

Ces deux anecdotes terribles illustrent parfaitement ce que Clément Rosset, dans un de ses ouvrages de jeunesse, définit comme "mécanisme tragique". Il donne lui-même comme exemple une scène dont il a été témoin : "Je me promène dans la rue, au pied d'un immeuble en construction; un maçon fait un faux pas sur son échafaudage, tombe de 20 mètres à mes pieds et se tue. La nausée me monte à la gorge, mais, tandis qu'on emporte le corps sur une civière et que je contemple la mare de sang sur laquelle on répand du sable, je m'aperçois que je suis plongé dans une horreur intellectuelle et non sous le coup d'un bouleversement physiologique. En effet, je ne suis pas seulement en présence d'un spectacle tragique, je ne suis pas le témoin d'une "situation", comme le serait le passant qui débouche d'une rue adjacente quelques instants après l'accident et, en présence d'un cadavre, croit découvrir la mort. En fait, je suis le seul à avoir saisi le tragique de la mort, non pas parce que le maçon s'est écrasé à mes pieds, mais parce que je l'ai vu, en l'espace d'une seconde, vivant, mourant, puis mort; parce que le tragique s'est présenté à moi comme mécanisme, non comme situation, et, je le répète, l'idée d'une situation tragique, si on donne au mot tragique son sens le plus fort, me paraît une contradiction dans les termes. Le tragique, ce n'est pas ce cadavre que l'on emporte, c'est l'idée que ce tas de chairs sanguinolentes est le même que celui qui est tombé il y a un instant, qui vient de faire un faux pas; c'est l'idée du passage entre l'état vivant et l'état mort que je me représente maintenant qu'il est mort, que l'ambulance l'a emporté : "la représentation ultérieure d'un état à un autre", le mécanisme tragique. " (…) "Je dirai que je l'ai connu vivant le temps qu'il me fallait pour le connaître vivant (condition indispensable de l'appréhension par l'esprit du mécanisme tragique), mais que ce temps fut suffisamment court pour que je puisse le connaître véritablement mort, parce que je ne sais rien de lui, et que certaines personnes en savent encore quelque chose. Je sais, moi, seulement qu'il est mort : et si l'on sait autre chose, on ne sait pas véritablement qu'il est mort. J'ai vu le piège tragique, la transformation d'un vivant en un mort; telle est ma supériorité sur ceux qui sont survenus après l'accident : eux n'ont vu que la victime tragique. Mais, par ailleurs, cette victime tragique que contemplent ces inconnus groupés autour du cadavre qu'on emporte, je partage avec eux le privilège de la connaître en tant que victime contre ceux qui connaissaient cet homme et pour lesquels, par conséquent, il restera toujours un ancien vivant, non un mort. Ceux qui ne voient pas la différence entre ces deux idées, ceux-là, et je sais qu'ils sont le plus grand nombre, ne savent pas encore, ne sauront peut-être jamais ce que c'est que la mort." (Je tire cette longue citation de La Philosophie tragique, parue en 1960 aux PUF).
L. Watt-Owen



mardi 12 octobre 2010

"Ah les choses tombées !"

Colors,
Trottoir de Charleville, Ardennes,
juillet 2009
Photo par L. Watt-Owen ©
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" Ah les choses tombées ! Comme elles sont belles !…"

Henri Thomas, Entretiens avec F. Barat.


Note de croque-mort,
Trottoir de Marvejols, novembre 2007
par L. Watt-Owen ©
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INTERLUDES POUR INSOMNIAQUES


Jun Togawa, Poesy


Furry Lewis, When I lay my burden down


Serge Gainsbourg, L'Anthracite


Paul Gonsalves, Surrender Dear


Lol Coxhill, for Paul Burwell
extrait de By  the Paths of the Deep River, un film d'Helen Petts


Jacques Dutronc, Les Métamorphoses


Serge Gainsbourg, Le Claqueur de doigts

lundi 11 octobre 2010

Livres emportés à la montagne

 Livres emportés à la montagne
photo Louis Watt-Owen ©, 2007
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"Celui qui lit tout n'a rien compris…"
Thomas Bernhard, Maîtres anciens

vendredi 8 octobre 2010

La main de Nietzsche




Le film de Nietzsche en boucle dès que je pense à Nietzsche… Je ne peux plus le lire sans voir ce pauvre Nietzsche, le légume Nietzsche, tourner les yeux avec une terrible lenteur vers l'objectif. La main de Nietzsche remue si lentement, semble vouloir faire signe mais y renonce, faute de force, etc… Idée atroce que Nietzsche n'est pas devenu fou mais a été camé par sa sœur, pris en otage, ratatiné, momifié vivant, pendant que cette surfemme monstrueuse bricolait l'imposture de La Volonté de puissance sous son nez… Idée saugrenue que le pauvre Nietzsche en remuant la main s'apprête à faire un bras d'honneur mais son épuisement est si grand qu'il serait déjà incapable de porter lui-même la cuillère de soupe à ses lèvres… Mais c'est peut-être seulement qu'il veut se gratter et ne peut pas… Car il y a ces couvertures où étouffe ce Zarathoustra grabataire et que vient sans cesse remonter sa sœur… De la laine qui fait transpirer, qui l'irrite, le démange juqu'au sang, l'empèche de dormir… On ne peut plus oublier les yeux insoutenables de Nietzsche, son strabisme, son regard vide. Filmé sous un autre angle, on dirait cette fois le vieux Céline meudonnais, avec les moustaches de Staline. On raconte que ce film est un faux, une sorte de "gif" animé, un bricolage cybernétique à partir de photos fameuses, etc… Mais en quoi cela le rend-il moins irréfutable ? Au contraire. Ce film est celui qu'on n'osait pas se faire tout seul à partir des fameux clichés.
L. Watt-Owen

International philosophy

jeudi 7 octobre 2010

Du charabia



On prendra bien-sûr pour un fou cet homme qui parle et écrit couramment une langue inconnue qu'il prétend être du plutonien. Malgré tout, je ne puis m'empêcher d'avoir pour lui curiosité et sympathie. Sa folie reste inoffensive, et si en fait il s'agit d'un imposteur il ne manque ni de talent ni d'humour. On reste troublé par son sabir swiftien et la célérité de son écriture extra-terrestre. Et après tout il est encore plus crédible, plus drôle et nettement moins timbré que la plupart des écrivains et autres graphomanes qu'on peut entendre à la radio ou voir dans des talk-shows. Cet initié à la langue de Pluton me semble plus sain d'esprit que ce Homais de la philosophie contemporaine, ce pharmacien de Platon, dernière exportation en date de la pensée garantie NF : Jacques Derrida.
J'avais onze ans, en 1968, lorsque je suis tombé pour la première fois sur un livre de Jacques Derrida. Je fus troublé de ne strictement rien comprendre à ce que je lisais, au point que je me suis posé de vexantes questions quant à mes capacités cérébrales et à ma connaissance de la langue française. Je mis sur le compte de mon inculture et de mon immaturité mon incapacité à tirer le moindre sens de ce qui était imprimé là, sous mes yeux.
Quelques années plus tard, vers 1973, en entendant tellement causer autour de moi de ce philosophe qu'on disait incontournable, sinon le plus intelligent de l'époque, je refis de sérieuses tentatives, bien certain cette fois que j'arriverais à y entendre quelque chose.  Savoir que ce Jacques Derrida roulait en 2CV et pratiquait le tennis me rendait cet homme plus proche, plus sympa. Titillé par la formule célèbre de Maurice Blanchot selon laquelle vient un jour où les livres les plus fermés s'ouvrent à nous, je fis l'effort héroïque et humble, pendant plusieurs semaines, de lire jusqu'au bout quelques-uns de ses ouvrages les plus célèbres, comme De la Grammatologie, La Dissémination et tous ses textes alors parus dans la revue Tel Quel, dont les numéros se mêlaient, dans ma tête comme dans ma cambuse, à ceux de L'Écho des savanes, Rock'n Folk et France-Football. Je lisais déjà Nietzsche, Freud, Sterne, Lichtenberg, et ce Derrida ne pouvait plus représenter pour moi une quelconque difficulté. Las, ce fut encore pire, et encore plus vexant. De rage, je jetai tous ces  bouquins illisibles dans le Rhône plutôt que d'y noyer mon incurable incurie.
Aujourd'hui, 40 ans plus tard, je n'y entends toujours rien, mais, entretemps, j'ai fort heureusement admis, à mon avantage, que l'impénétrable hermétisme de Jacques Derrida n'est que du charabia, et que ceux qui prétendent y piger quoi que ce soit ne sont que des dévôts stupides et infréquentables. Comme je ne possède bien évidemment pas une seule page de ce pénible baratineur chez moi, j'ai cherché par curiosité à visionner quelques-unes des centaines de vidéos que l'on trouve sur la Toile. À mon mépris pour l'hermétisme derridien et la crétinerie de ses idôlâtres, s'ajoute désormais une aversion instinctive pour le personnage, tout à fait antipathique, un pète-sec qui se prend si sérieusement pour lui-même, d'une suffisance rébarbative, hautain, sans le moindre humour ni aucune distance. Et j'ai  rétrospectivement plus grande estime encore pour le gamin que j'étais,  là-haut sur la montagne, tout seul à garder les vaches, sans personne pour l'éclairer, qui eût la jugeotte instinctive de ne pas se laisser prendre au piège de son charabia.  Je ne l'avais pas du tout mal lu : je n'aurais su mieux le lire.
L. Watt-Owen

Grand merci à Joël Roussiez pour m'avoir fait connaitre l'étrange causeur de plutonien.

Musée Virtuel de la Vie Quotidienne au Pays Merveilleux de la Littérature à l'Époque de l'Édition à l'ancienne / Galerie 3

 
En 2010, ce Pays Merveilleux comptait 30 millions d'écrivains, qui tous pratiquaient quotidiennement le fameux " bond hors du rang des meurtriers ".
 





Déballer ses plus gros et lourds secrets vous posait là comme écrivain.


La sérénité du bouddhiste parisien Matthieu Ricard rayonnait sur les écrans, dans les librairies et au cul des bus.



lundi 4 octobre 2010

Reprendre à zéro

 Avec l'implosion de mon disque dur cet été, j'ai perdu (faute de faire des sauvegardes) tout ce que j'avais préparé pour la nouvelle série "papier" de La Main de singe : textes enfin tapés et corrigés, maquettes, etc… J'ai donc été contraint de tout reprendre à zéro. Et tant mieux. Cet accident cybernétique, dû à ma négligence, a été l'occasion d'un salutaire sursaut de jugeotte et d'un éclaircissement de la cervelle. La nouvelle formule s'en trouvera donc grandement améliorée et allégée. Plus vivants que jamais, les deux spin doctors de La Main de singe, feu Alain Degange et feu Claude Riehl, lisent par-dessus mon épaule et ne laisseront passer aucune bévue du rédacteur, désormais seul aux manettes. Le premier numéro sera très rapidement donné en ligne. On y travaille. L. W.-O.

samedi 2 octobre 2010

Juvenilia / Autoportrait en batteur nietzschéen sous pastis, stupéfiants et "bob" Carrefour



Autoportrait en batteur nietzschéen 
sous pastis, stupéfiants et "bob" Carrefour, 
Festival d'Annecy 1985, par L. W.-O. ©
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" Descartes s'est trompé sur les lois de la percussion ! "
Jean le Rond d'Alembert, Traité de dynamique

" Ce qui caractérise ce genre d'êtres, qui sont d'abord un peu fous et qu'on finit par dire complètement aliénés, c'est qu'ils jettent de plus en plus, et sans relâche, les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), et que, simultanément, dans leur tête, les trésors se multiplient aussi vite qu'ils les jettent par la fenêtre (de leur tête). Ils jettent de plus en plus de trésors — dans leur tête il y en a de plus en plus, et, forcément, de plus en plus menaçants, et pour finir, en jetant ainsi les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), ils ne peuvent plus soutenir la cadence, et leur tête ne peut plus contenir tous les trésors qui ne cessent de se multiplier dans leur tête, et qui s'accumulent dans cette tête, et cette tête finit par éclater. [...] Avouons-le, les têtes qui nous sont la plupart du temps accessibles sont inintéressantes, nous n'en tirons guère plus que si nous nous trouvions en compagnie de pommes de terre hypertrophiées, qui, plantées sur des corps souffreteux affublés de vêtements d'un goût discutable, traîneraient une existence piteuse, mais hélas pas du tout pitoyable. "
Thomas Bernhard, Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery

vendredi 1 octobre 2010

In der Höhe


Activer le mode plein écran pour en prendre plein les mirettes

"Je me rends au petit matin sur les hauteurs"
Thomas Bernhard, In der Höhe

Musée Virtuel de la Vie Quotidienne au Pays Merveilleux de la Littérature à l'Époque de l'Édition à l'ancienne / Galerie 2


Les plumitifs étaient invités sur tous les talk-shows du service public où ils mettaient à nu leur intimité avec une émotion lisible sur leur chair de poule.

 Les grenouilles graphomanes pullulaient.


Michel Onfray regretta amèrement son pamphlet contre Freud quand il tomba dans une embuscade de freudiennes hystériques qui le mutilèrent de ses parties uro-génitales.  Cela ne le fit pas taire et il redoubla de verve à la tribune de son Université Populaire, avec des intonations à la Klaus Nomi. L'organe exemplaire fut recueilli et reliqué par ses adorateurs et fit l'objet d'un culte : on l'exposa dans la Galerie des Glaces de Versailles  à la place du Murakami controversé. Le Maître normand avait eu la modestie de dissimuler jusque-là ce glorieux et sculptural pénis. Désormais on comprenait mieux qu'il se fût gaussé du "petit zizi" de Montaigne.