On prendra bien-sûr pour un fou cet homme qui parle et écrit couramment une langue inconnue qu'il prétend être du plutonien. Malgré tout, je ne puis m'empêcher d'avoir pour lui curiosité et sympathie. Sa folie reste inoffensive, et si en fait il s'agit d'un imposteur il ne manque ni de talent ni d'humour. On reste troublé par son sabir swiftien et la célérité de son écriture extra-terrestre. Et après tout il est encore plus crédible, plus drôle et nettement moins timbré que la plupart des écrivains et autres graphomanes qu'on peut entendre à la radio ou voir dans des talk-shows. Cet initié à la langue de Pluton me semble plus sain d'esprit que ce Homais de la philosophie contemporaine, ce pharmacien de Platon, dernière exportation en date de la pensée garantie NF : Jacques Derrida.
J'avais onze ans, en 1968, lorsque je suis tombé pour la première fois sur un livre de Jacques Derrida. Je fus troublé de ne strictement rien comprendre à ce que je lisais, au point que je me suis posé de vexantes questions quant à mes capacités cérébrales et à ma connaissance de la langue française. Je mis sur le compte de mon inculture et de mon immaturité mon incapacité à tirer le moindre sens de ce qui était imprimé là, sous mes yeux.
Quelques années plus tard, vers 1973, en entendant tellement causer autour de moi de ce philosophe qu'on disait incontournable, sinon le plus intelligent de l'époque, je refis de sérieuses tentatives, bien certain cette fois que j'arriverais à y entendre quelque chose. Savoir que ce Jacques Derrida roulait en 2CV et pratiquait le tennis me rendait cet homme plus proche, plus sympa. Titillé par la formule célèbre de Maurice Blanchot selon laquelle vient un jour où les livres les plus fermés s'ouvrent à nous, je fis l'effort héroïque et humble, pendant plusieurs semaines, de lire jusqu'au bout quelques-uns de ses ouvrages les plus célèbres, comme De la Grammatologie, La Dissémination et tous ses textes alors parus dans la revue Tel Quel, dont les numéros se mêlaient, dans ma tête comme dans ma cambuse, à ceux de L'Écho des savanes, Rock'n Folk et France-Football. Je lisais déjà Nietzsche, Freud, Sterne, Lichtenberg, et ce Derrida ne pouvait plus représenter pour moi une quelconque difficulté. Las, ce fut encore pire, et encore plus vexant. De rage, je jetai tous ces bouquins illisibles dans le Rhône plutôt que d'y noyer mon incurable incurie.
Aujourd'hui, 40 ans plus tard, je n'y entends toujours rien, mais, entretemps, j'ai fort heureusement admis, à mon avantage, que l'impénétrable hermétisme de Jacques Derrida n'est que du charabia, et que ceux qui prétendent y piger quoi que ce soit ne sont que des dévôts stupides et infréquentables. Comme je ne possède bien évidemment pas une seule page de ce pénible baratineur chez moi, j'ai cherché par curiosité à visionner quelques-unes des centaines de vidéos que l'on trouve sur la Toile. À mon mépris pour l'hermétisme derridien et la crétinerie de ses idôlâtres, s'ajoute désormais une aversion instinctive pour le personnage, tout à fait antipathique, un pète-sec qui se prend si sérieusement pour lui-même, d'une suffisance rébarbative, hautain, sans le moindre humour ni aucune distance. Et j'ai rétrospectivement plus grande estime encore pour le gamin que j'étais, là-haut sur la montagne, tout seul à garder les vaches, sans personne pour l'éclairer, qui eût la jugeotte instinctive de ne pas se laisser prendre au piège de son charabia. Je ne l'avais pas du tout mal lu : je n'aurais su mieux le lire.
L. Watt-Owen
Grand merci à Joël Roussiez pour m'avoir fait connaitre l'étrange causeur de plutonien.
4 commentaires:
écrit que ça alors ! en passant par lesot.net je suis tombé chez le même dude le plutoniste ! on commence par écouter le sound of tout puis en bas on trouve des liens dont celui-ci http://histoiredeloeil.canalblog.com/
et paf, Pluton ! vite, un sociologue !
Il a mal digéré Husserl (L'Origine de la géométrie), le pauvre Derrida, faut le pardonner...
Un véritable Phare de la pensée, c'est succulent ! Merci Louis.
vraiment tres drole cette video de derida.
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