Dans la cabane de Joël Roussiez, par L. W.-O. ©, Bretagne 2007
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Un texte inédit de Joël Roussiez, l'un des plus forts et des plus discrets écrivains d'aujourd'hui, dont je ne recommanderai jamais assez la lecture. On le retrouvera régulièrement dans la nouvelle formule de La Main de singe. (Voir bibliographie et liens en bas de ce billet)
Une journée maussade où nous étions en rade dans le doux Ar Ménez toute voile pendue ainsi que du linge mouillé, en attente du vent au milieu des coteaux, un jour de printemps où le clapot même était sans force; un jour donc où nous étions venus là pour aborder la côte en baie de Trez où se trouve une passe pour gagner la mer des Gascons en évitant le tour du Nez, gagnant ainsi du temps sur l'Amiral pour le rejoindre après un repos qu'il ne voulait accorder. Les hommes étaient dans un état lamentable, leurs corps se traînaient sur le pont; dix jours de navigation dans la tempête les avaient mollis... Et voici que le temps nous était venu à propos, maintenant nous balancions notre ennui en regardant la terre. Une journée maussade donc enveloppait le navire et glissait son humeur dans le bastingage et les mâtures, balancement du grand mât comme un pendule métronome qui nous comptait les heures qui ne paraîssaient; et le grincement des bois qui irritait nos nerfs, s'immisçait dans les cales parmi les rats qui se montraient stupéfaits à la face des matelots qui leur jetaient des boulets du charbon que nous avions chargés à Monléo. Nous allions avec le vent et sans vent nous n'allions pas, nous sentions des mollesses sous nos pieds comme si elles nous remontaient par les jambes, forçant nos marches désœuvrées à peu de stabilité, chacun en conséquence titubant sans aucune raison puisque le navire sur l'étale ne bougeait pas d'un brin. C'est ainsi que vint au milieu de nos corps s'installer une sorte de peur. On vit des rats passer par les haussières et se couler dans l'eau; des poissons vinrent tourner autour de la coque ne montrant que leurs dos aux lueurs de fuel et la journée balança ses heures comme on compte les gouttes après l'averse; nous comptâmes les nôtres, maussades à notre tour dans notre repos ce jour...
Une journée maussade où nous étions en rade dans le doux Ar Ménez toute voile pendue ainsi que du linge mouillé, en attente du vent au milieu des coteaux, un jour de printemps où le clapot même était sans force; un jour donc où nous étions venus là pour aborder la côte en baie de Trez où se trouve une passe pour gagner la mer des Gascons en évitant le tour du Nez, gagnant ainsi du temps sur l'Amiral pour le rejoindre après un repos qu'il ne voulait accorder. Les hommes étaient dans un état lamentable, leurs corps se traînaient sur le pont; dix jours de navigation dans la tempête les avaient mollis... Et voici que le temps nous était venu à propos, maintenant nous balancions notre ennui en regardant la terre. Une journée maussade donc enveloppait le navire et glissait son humeur dans le bastingage et les mâtures, balancement du grand mât comme un pendule métronome qui nous comptait les heures qui ne paraîssaient; et le grincement des bois qui irritait nos nerfs, s'immisçait dans les cales parmi les rats qui se montraient stupéfaits à la face des matelots qui leur jetaient des boulets du charbon que nous avions chargés à Monléo. Nous allions avec le vent et sans vent nous n'allions pas, nous sentions des mollesses sous nos pieds comme si elles nous remontaient par les jambes, forçant nos marches désœuvrées à peu de stabilité, chacun en conséquence titubant sans aucune raison puisque le navire sur l'étale ne bougeait pas d'un brin. C'est ainsi que vint au milieu de nos corps s'installer une sorte de peur. On vit des rats passer par les haussières et se couler dans l'eau; des poissons vinrent tourner autour de la coque ne montrant que leurs dos aux lueurs de fuel et la journée balança ses heures comme on compte les gouttes après l'averse; nous comptâmes les nôtres, maussades à notre tour dans notre repos ce jour...
Temps étrange et plus obscur, avec le crachin qui se mit à descendre en nappes mouvementées, gonflant parfois les voiles qui claquaient un peu tandis que le navire sembla se mettre à suer. Les hommes comme étouffés de l'intérieur s'abattaient sur les bancs, les sièges et les rouleaux de filins, exténués par le froissement de l'eau contre l'étrave et le bruissement de la pluie incessant. Des vagues de torpeurs berçaient en nous des songes de malheur qui nous fermaient les yeux; et le temps étrange où l'on comptait les heures passées et celles qui restaient en écartant nos doigts, une, deux et trois heures encore, le temps semblait reculer au milieu des poulies et des cabestans dans lesquels il s'empêtrait comme il nous arrivait de nous empêtrer dans des sommeils furtifs qui nous collaient les yeux. Le navire mollissait, les bois regorgeaient d'humidité gluante et douce, on ne savait où poser les mains; il nous venait des démangeaisons aux bras et, sous les cheveux, il nous semblait sentir s'étendre quelque champignon plat. Le long de canaux dendritiques d'où s'écoulait un jus, de minuscule crustacés s'accrochaient en cliques à quelques rugosités du bois; le pont se couvrait pour nous d'une vie infime comme si devant les yeux dansaient des fibrilles de limaille rouillée; au loin, la lande envahie de lichens dansait aussi sous les nuées et tout ceci nous basculait dans le maussade d'une journée où nous avions pensé prendre du repos... L'Amiral arriva par le fond de la baie, son navire à l'étrave d'acier fendit les eaux sans nous voir, nous éperonnant par le tribord qui nous fit basculer hors du maussade et dans un autre temps...Temps étrange, c'est son nom...
© Joël Roussiez, 2010
BIBLIOGRAPHIE (choix)
Romans, nouvelles et poésies
La Folie de Monsieur Siffait,
nouvelle sur les Folies Siffaits,
photos de Ph Ruault, Nantes,
éd. A.C.L. 1985
La Cinquième Île,
roman,
éd. Le Tout Sur Le Tout 1987
Autrement, on entrait dans un Port,
nouvelle,
revue Grande Largeur N° 12, 1987
Bercés Par Les Brumes,
poèmes en prose,
Coédition Le Tout Sur Le Tout & Le Temps Qu’il Fait, 1989
Il arriva…,
cinq textes accompagnant des dessins de G. Chaimowicz,
livre d’art,
éd. Splitter, 1992, Vienne (Autriche)
Errances,
avec un coffre bleu et deux oiseaux,
roman, conte et récit,
Cognac, éd Le Temps Qu’il Fait, 1995
L’Homme Sédentaire et La Femme Voyageuse,
roman,
Le Tout Sur Le Tout, 1999
Trente et Un Levers du Jour,
poèmes en prose,
Le Tout Sur Le Tout, 2003
Nous et nos troupeaux,
poèmes
La Rumeur libre, 2008
Voyage biographique,
roman,
La Rumeur libre, 2010
Joël Roussiez a également collaboré à
Joël Roussiez a également collaboré à
La Main de singe de 2003 à 2005,
et aux précédentes versions de ce blog.
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