Avant l'aube par L. Watt-Owen © Saône-et-Loire, août 2012 click on the picture to enlarge |
" Cette maison fut vouée au travail et à la mort.
À l'intérieur, l'invasion des orties, le poids des fleurs sur les poutres tourmentées par la pluie.
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Parmi les excréments des troupeaux, je monte et me couche sous les chênes musicaux.
Des colombes passent entre mon corps et le crépuscule, le vent cesse et les ombres sont humides.
Herbe de solitude, colombes noires : j'y suis, enfin; là n'est pas mon lieu, mais j'y suis.
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Juments fécondes dans la phosphorescence. Je me rappelle la peur et le bonheur sur mes cheveux traversés par l'éclair; ensuite, l'eau et l'oubli.
Parfois je vois resplendir la montagne sur les grandes machines de la tristesse.
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J'ai vu la sérénité dans les yeux des bêtes vouées aux couteaux industriels et des chevaux immobiles dans la tristesse; et puis la chaux, son éclat dans les vieilles, les grandes fissures habitées par les pleurs.
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J'étends mon corps sur les poutres rongées par les larmes, je flaire l'huile de lin et l'ombre.
Ah morphine dans mon cœur : je dors les yeux ouverts face à un territoire blanc que les mots ont abandonné.
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Il veillait sur la sérénité collée aux ombres, sur les cercles où se déposent des fleurs brûlées, sur l'inclinaison des sarments.
Certains soirs, sa main incompréhensible nous conduisait au lieu sans nom, à la mélancolie des outils abandonnés.
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Il simulait un visage dans l'air (ivoire et faim des hôpitaux andalous); à l'extrémité du silence, il entendait la clochette des agonisants. Il nous regardait et nous, nous sentions la nudité de l'existence. Très vite, il ouvrait toutes les portes et répandait le vin sur le gel de l'aube. Puis, en sanglotant, il nous montrait les bouteilles vides.
***
Il n'avait de cesse dans la passion vide. Les chiens reniflaient sa pureté, ses mains blessées par les acides. À l'aube, dissimulé entre les haies blanches, il agonisait devant les routes, il voyait les ombres pénétrer la neige, bouillir la brume dans la ville profonde.
***
Venaient des ombres, des bêtes humides qui respiraient près de son visage. Il vit la graisse luire dans les lavandes, la douceur noire dans les caves terrestres.
C'était les festivités : lumière et safran dans les cuisines blanches ; loin, sous les guirlandes poussiéreuses, des visages dans la tristesse du carbure — leur plainte parmi des restes de musique.
***
Je me souviens du froid de l'aube, les cercles des insectes sur les tasses immobiles, la possibilité d'un abîme plein de lumière sous les fenêtres ouvertes pour faire de l'air à la maladie, l'odeur triste de la soude caustique.
***
Je n'ai ni peur ni espérance. D'un hôtel extérieur au destin, je vois une plage noire et, au loin, les grandes paupières d'une ville dont la douleur ne me concerne pas.
Je viens du méthylène et de l'amour; j'ai eu froid sous les tubes de la mort.
À présent je contemple la mer. Je n'ai ni peur ni espérance."
***
Je précise qu'il s'agit ici d'une (excellente !) traduction (d'ailleurs la première par ici) d'un auteur dont je ne dirai rien, non plus que du traducteur et de la langue d'origine. Ces fragments ne se suivent pas. Ils sont donnés en vrac, provenant du même recueil mais d'ensembles différents. Voilà tout de même une précision utile pour les inévitables fouineurs, car elle est tout à notre honneur : ces pages furent publiées dans La Main de singe il y a plus de quinze ans. J'en sais gré, vraiment, au traducteur de ce grand poète, qui me les confia et le bénis toujours. Qu'on n'oublie donc pas que c'est son texte qu'on lit. Aussi fort que l'original. Ce qui n'est pas peu dire. Ce n'est pas un hasard : ce traducteur est aussi un poète singulier.
(Comme j'ai tapé cela à l'aveugle, et d'une main, on sera bien chic de me signaler des fautes de frappe.)
(Comme j'ai tapé cela à l'aveugle, et d'une main, on sera bien chic de me signaler des fautes de frappe.)
Rappel : on donne de temps en temps des pages volées à des ouvrages rares, introuvables ou bien inaperçus, tous électrisants. Sans dire, bien-sûr, quel en est l'auteur.
L'exercice ayant excité ou agacé moult lecteurs, on tâchera de le proposer bien plus souvent.
Il ne s'agit pas de résoudre une énigme, mais tout bonnement de lire sans a priori.
C'est ainsi, à l'aveugle, que l'on entend le mieux ce qu'ont lit : sans le fatras tympanisant que rameute dans la cervelle l'oblitération d'un nom propre.
De toute façon, certains de ces noms seraient superflus, tant ils sont ignorés sous nos latitudes. Les donner reviendrait à amoindrir l'effet du texte : les inconnus inspirent méfiance. Superflus aussi les noms déjà familiers aux lecteurs sagaces, qui devineront l'auteur dès le premier coup d'œil : le leur préciser serait leur faire injure.
C'est en tout cas ainsi que j'aime le mieux lire : sans savoir qui cause. On entend alors tout de suite si il y a quelqu'un dans ce qui se dit.
Mes choix sont dictés par le beau hasard de la portée de main, de la trouvaille ou de la lubie passagère.
Je reprécise qu'il ne s'agit pas d'un jeu : je ne donnerai donc jamais "la bonne réponse".
Malgré tout, si certains lecteurs vraiment remués et devenus très curieux veulent à tout prix savoir, pour s'en procurer en quantité déraisonnable, je consentirai peut-être, selon comme je suis luné, à cafeter (en courrier mail privé) le nom de l'inconnu. On me conseille de faire payer ce petit service de l'"à tout prix savoir". Ce sera donc à la tête du client ?
L. W.-O.
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