Video : Le début du Voyage dit par Michel Simon
Il y aura "avant" : me voici déjà dans l'"après".
Ça y est : je L'ai.
J'ai beau me pincer.
IL est ici.
Oui, c'est bien LUI.
Sous mes yeux qui n'en reviennent pas.
Sous les doigts qui n'osent qu'à peine encore L'effleurer.
Sur la table noire où les belles pivoines odorantes en ont d'un coup perdu tous leurs pétales quand je L'ai posé, oh, si délicatement pourtant on imagine bien ! Avec de ces précautions…
Je ne réalise encore pas tout à fait.
Groggy, tremblotant, oh oui : tout con, vraiment.
Car si ému ! Si remué.
Certes je l'attendais avec une fébrilité certaine depuis la commande, il y a déjà quelques semaines. Au moindre coup de sonnette, je me précipitais. Las ! Que de bonds j'ai fait pour rien jusqu'à la porte que d'ordinaire pourtant je n'ouvre jamais à personne.
Et puis, tout à l'heure, tandis que j'écoutais Chet Baker et Ron Carter (Ah ! Rio !), la sonnette a retenti, térébrante et, là, d'avance, j'en étais certain, IL était là, enfin. On me le livrait comme une pizza. J'ai ouvert, sans souci des grolles affreuses, des cheveux à la diable, du mégot puant, des yeux rougis par la conjonctivite ni du beau tremblement des mains : un tout petit type en uniforme genre convoyeur à la Tony Musulin m'a lancé comme au rugby un gros carton que j'ai rattrapé au vol. Je n'ai même pas eu le temps de demander s'il fallait signer quelque chose. Le mini livreur avait déjà redévalé l'escalier. Je n'ai même pas eu le temps de lui dire merci. J'ai bafouillé dans le vide, dorlotant le gros carton, le lourd colis, le mirifique don des dieux (et d'une fée amoureuse).
Une telle émotion, je ne l'avais ressentie déjà que si peu de fois.
Oui, il est si rare que la vie nous fasse un tel cadeau.
Je ne peux pas déballer la chose tout seul : feu l'ami Claude Riehl est avec moi. Oui, lui, celui qui fut et reste sans doute le plus grand lecteur de Céline.
Ah ça, il en aurait commandé un lui aussi, et même dix !
Et s'il n'avait eu les sous, alors je crois qu'il aurait même été capable, pour se le payer, de s'abaisser à traduire la bonne femme Jelinek, ou le Handke, c'est tout dire ! — plutôt, pour une fois, qu'Arno Schmidt (dont il paya si cher la translation : en y laissant sa peau).
Et au moment de l'ouvrir, il m'aurait appelé de Strasbourg : chacun au bout du fil, on aurait ouvert notre colis en même temps que l'autre. Je vois cela d'ici. Je l'entends d'ici.
D'ailleurs il est ici, avec moi. Il me lance des "Va pas trop vite ! Fais gaffe ! Pose ta cigarette ! Éloigne moi ce verre ! Nettoie ton couteau !".
On est comme des gamins. D'ailleurs, lui et moi on lit le Voyage depuis l'adolescence. Et avec Mort à Crédit, on le relit une fois par an. On ne compte plus le nombre de relectures. Ce n'est jamais le même livre à chaque fois. S'il nous fallait une seule raison de vivre, elle suffirait : relire le Voyage.
Claude Riehl chez Arno Schmidt par Laurence Chanel © 1992 |
On darde les mêmes yeux de mômes éberlués vers ce don des dieux tombé du ciel : mille pages de la main de Satan.
On cherche une lame, va pour mon couteau de gardien de phare, acheté à Tréguier. Lui aussi trémule, il sait : jamais il n'aura plus belle occasion de servir.
Il faut déballer le cadeau, trancher les bandes rétives du scotch caramel. Écarter les rabats. À l'intérieur du vaste carton : un autre carton, amorti par huit coins de mousse antichoc d'un bleu fascinant. (Hop, de côté ! On verra plus tard à quoi ils pourraient bien servir, recyclés). Encore du gros scotch à inciser avec des délicatesses de chirurgien. On fait une pause, on reprend son souffle. On fait bien consciemment durer le plaisir : car sinon on regrettera toute précipitation. On s'allume chacun une cigarette en poussant des "Non mais ! Hein !?! Tu te rends compte de ce qu'on est en train de faire !???!!! Par le Grand Renard ! Whu ! Hi ! Tu te rends compte ?!?! Tu-Te-Rends-Comp-Te !?!"
On repose les cigarettes dans le cendrier. On plonge les quatre mains en même temps, puis aussitôt on les retire : "Faudrait peut-être mettre des gants ?" (avec de ces mines et gestes de Laurel et Hardy !).
On extirpe la chose avec tous les égards. Elle est encore sertie dans un cellophane étanche, dont il faut crever la poche. Et voilà le travail : un coffret, de 4 kilos, dont on caresse du bout des doigts le gaufrage de la titraille sobre dans l'espèce de toile cartonnée couleur de nuit. On le penche pour attraper la tranche du volume, on fait glisser doucement, tout de suite on le pose à plat. On rallume une cigarette, on souffle. On ne se jette pas comme des malades sur une telle rareté. On savoure des yeux d'abord. On se les frotte. On a des suées. Il fait trop chaud en même temps que trop froid. On bredouille, on se sent tout bête, on dit chiche, on va faire cent pas nerveux de long en large, on regarde par la fenêtre le ciel où les nuages semblent guigner vers la table, curieux. Même les lampadaires municipaux tendent le cou et écarquillent leur gobille de cyclope. Même le Bébert de gouttière guette. Même les corbeaux et les pigeons sur la corniche d'en face. Tous font bien comprendre que leur patience a des limites.
Bon… Il va bien falloir se décider à entrouvrir la boite de Pandore, tourner la couverture épaisse, puis les pages si souples car si vastes et qui tremblent car on est émus jusqu'au bout des doigts.
"Ça commencé comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Bardamu qui m'a fait parlé…"
Ceci n'est donc pas le Voyage.
Mais en quelque sorte son fantôme.
Même pas LE manuscrit, car certainement pas l'unique. Si dès la page de titre Céline a bien noté seul manuscrit, c'est bien parce qu'il en existe d'autres versions qui précédaient cet état qu'il donna à dactylographier. Des versions successives qu'il tua sous lui, creva sous lui comme un cheval endiablé. Combien au juste ? Parions pour plusieurs. Car rien que deux versions manuscrites relèverait du miracle pour l'invention d'un tel bouquin : tout de même le roi des livres. Des versions perdues, mais certainement pas pour tout le monde, et qui, sans doute voyagent, immobiles, dans le temps, dans la nuit d'un coffre. À moins que Destouches, pas encore Céline, ne les ait détruites à mesure. Ou les ait pliées en une flottille de petits bateaux lancés sur la Seine, ou dans la mer sur le Grand Bé à Saint Malo, depuis la tombe de Chateaubriand, sinon à Dieppe, au bout de la jetée. Que le vent les porte jusqu'en Amérique.
Et il y eut aussi, ensuite, des dactylographies successives, dont les tapuscrits sont pour l'heure secrets.
Cette version manuscrite, par des voies qui restent bien mystérieuses, est parvenue au bout de la nuit de sa rétention jalouse par un collectionneur.
Elle coûta la bagatelle de 12 millions à l'État qui en fit la préemption lors de sa vente surprise.
Trésor national !
Patrimoine !
Seuls quelques chanceux ou quelques assermentés avaient le droit depuis dix ans de la contempler, avec des gants blancs, eux.
La voici aujourd'hui entre nos mains, même trop lourde pour elles : il faut poser ses 4 kilos annoncés sur une table solide, ou un lutrin, pour la lire. Elle fatiguerait trop, sinon, son homme.
Mise à la portée de nous autres les caniches, qui en frétillent, jappent, s'en pourlèchent, s'en goinfreront.
Voilà de l'inconnu, qui occupera nos insomnies durant au moins mille nuits.
Non, ceci n'est pas le Voyage.
Je disais : son fantôme.
Son état transitoire avant la mutation définitive.
L'une de ses mues.
Ce n'est donc pas un "livre", mais le rêve d'un livre.
On mesure la chance de pouvoir déchiffrer ce millier de pages griffonnées d'une écriture changeante, dont la météorologie donne assez l'image des états contradictoires, si intenses, que traversa l'auteur. Cette graphie danse, tour à tour légère, virevoletante, frénétique, appuyée, minuscule, tout à coup énorme. C'est de l'herbe, noire, comme celle des cimetières perdus. Affolée par des vents qui sont des essaims d'âmes invisibles. Ça et là rougoie comme coquelicot une interrogation de la dactylo, au crayon écarlate. Ah quel beau manuscrit ! Quelle calligraphie, tracée "au nerf". C'est, oui, vraiment ce que l'Autre Appelé Arthur, celui sans qui Céline n'aurait pas connu telle inspiration à pondre à son tour à la fois ses Illuminations et sa Saison en enfer, appela le clavecin des prés, animé par la main d'un Maître.
Quant à la numérotation, elle est de la main du collectionneur Biniou.
Le seul qui ait osé, après la dactylo, porter la sienne sur ce saint suaire de papier.
Et puis il y a d'emblée cette inversion des personnages de Bardamu et d'Arthur.
On va lire, on va bien voir.
Que de palpitations promises par ces aventures dans l'inconnu, quand on a lu déjà tant de fois le Voyage, et dans toutes ses éditions : de la Denoël originale qui vaut la peau du cul à celle en Folio dont le brochage perd ses feuillets comme du vulgaire PQ d'autrefois, en passant par la mouture fameuse Livre de poche, qui a tenu le coup depuis des dizaines d'années, et celle dans La Pléïade, qui tue les yeux.
De quel autre auteur les manuscrits nous importeraient autant ?
Même Rimbaud, dont la lecture dopa tant Céline, aura suscité moins d'excitation. On ne se jette pas des nuits entières sur les fac-similés des Illuminations et de la Saison, qui pas cher payés restent bien rangés sur les rayons.
Et tous les brouillons de Flaubert, numérisés en haute définition, plus nets que les galaxies d'Hubble, certes on est bien content d'y jeter un œil de temps à autre, mais ils ne vaudront jamais le petit volume "Lemerre" de Bouvard et Pécuchet, guère plus gros qu'un paquet de Gauloises, et que je trimballe toujours dans ma musette.
Quant aux contemporains, même les plus géniaux, si jamais il en surgit un ou deux, en ces temps tout de même d'apocalypse imminente, leurs disques durs ou la clé USB de leur cloud risquent de s'avèrer moins sexy.
Pour prétendre désormais avoir lu le Voyage, il faudra avoir fait la lecture comparée avec ce manuscrit du diable.
Nul doute que cette parution miraculeuse poussera au crime les commentateurs qui à leur tour pondront des tonnes de gloses, lesquelles s'ajouteront aux myriatonnes déjà produites.
Qui aura fait couler plus d'encre que Céline ?
Mais qui aura fait couler tant de larmes ?
De vrais chagrins et de vrai rire !
À une époque où chaque semaine on vend sur eBay et le bon coin ou dans l'arrière-boutique de librairies dites d'ancien un squelette de Bébert de plus garanti déterré à Meudon, des thermomètres garantis enfoncés par le Docteur Destouches lui-même dans le fondement de l'époque sinon l'"anu" de cette momie, la Littérature; où se fourguent des clébards garantis descendants de Bessy, des vrais Voyage "Denoël" avec fausses dédicaces à Sarkozy; des pelures et gilets mités avec ADN certifié pur Céline; des Bagatelles format eBook retapés et enrichis par de vraies ordures ayant appris l'orthographe et le français dans les rangs des milices "pur porc"; à une époque où les reliques de cet ennemi public, de ce diabolisé majeur, sont aussi courues que les vrais morceaux de la fausse croix, ce sublime fac-similé de son manuscrit, impeccablement édité, et sans un gramme de glose ajouté, brut de brut, s'impose comme la seule excentricité fétichiste que se payeront ses vrais lecteurs.
Que dirait-il, Ferdinand, alias Satan, de nous savoir en train de nous pencher, indiscrets couillons médusés, à la loupe sur ses brouillons ?
Peut-être se demanderait-il qui a pris, de nos jours, sa relève d'horrible travailleur, où peut bien se trouver le Céline d'aujourd'hui, car enfin, il faut bien en convenir, à moins qu'il ne se cache impeccablement en ces temps d'incognito impossible, il n'y en a point.
C'est d'ailleurs pourquoi, faute de contemporain aussi efficace et excitant, on en revient toujours à relire l'increvable, inusable, inimitable Voyage.
Qui dit mieux ? Personne !
On ne manque pourtant pas de grandes gueules.
Et les écrivains pullulent désormais par millions, rien que dans ce pays le plus con du monde.
Maintenant qu'on en a deux, de Voyage, ce sera encore pire. Si un nouveau Céline surgit enfin pour de bon, alors il se devra d'être encore deux fois plus fort. Et sans faudra-t-il qu'il les écrive en direct, ses brouillons, lui. Comme un infernal feuilleton, en ligne.
N'est-ce pas là un chouette challenge ?!? Pour sûr on ne se bousculera pas au portillon pourtant grand ouvert de cette gloire : il n'y a plus personne pour prendre les commandes du métro émotif.
Saluons donc à la fois l'initiative délectable et le travail impeccable des Éditions des Saints-Pères.
Je ne sais si il reste encore quelques exemplaires de cette édition originale.
On peut commander directement ce coffret (expédié rapido dans un colis à l'épreuve des brutes de la Poste nationale), ainsi que sur Amazon.
J'ai cru comprendre qu'un deuxième tirage était en cours d'impression.
Ceux qui n'auront pas profité de l'occasion le regretteront peut-être bientôt.
Alors il ne faudra pas venir pleurer, et ce sera tant pis pour eux. Qu'on ne compte pas sur moi pour que je prète mon exemplaire ou fasse des photocopies.
On extirpe la chose avec tous les égards. Elle est encore sertie dans un cellophane étanche, dont il faut crever la poche. Et voilà le travail : un coffret, de 4 kilos, dont on caresse du bout des doigts le gaufrage de la titraille sobre dans l'espèce de toile cartonnée couleur de nuit. On le penche pour attraper la tranche du volume, on fait glisser doucement, tout de suite on le pose à plat. On rallume une cigarette, on souffle. On ne se jette pas comme des malades sur une telle rareté. On savoure des yeux d'abord. On se les frotte. On a des suées. Il fait trop chaud en même temps que trop froid. On bredouille, on se sent tout bête, on dit chiche, on va faire cent pas nerveux de long en large, on regarde par la fenêtre le ciel où les nuages semblent guigner vers la table, curieux. Même les lampadaires municipaux tendent le cou et écarquillent leur gobille de cyclope. Même le Bébert de gouttière guette. Même les corbeaux et les pigeons sur la corniche d'en face. Tous font bien comprendre que leur patience a des limites.
Bon… Il va bien falloir se décider à entrouvrir la boite de Pandore, tourner la couverture épaisse, puis les pages si souples car si vastes et qui tremblent car on est émus jusqu'au bout des doigts.
"Ça commencé comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Bardamu qui m'a fait parlé…"
Ceci n'est donc pas le Voyage.
Mais en quelque sorte son fantôme.
Même pas LE manuscrit, car certainement pas l'unique. Si dès la page de titre Céline a bien noté seul manuscrit, c'est bien parce qu'il en existe d'autres versions qui précédaient cet état qu'il donna à dactylographier. Des versions successives qu'il tua sous lui, creva sous lui comme un cheval endiablé. Combien au juste ? Parions pour plusieurs. Car rien que deux versions manuscrites relèverait du miracle pour l'invention d'un tel bouquin : tout de même le roi des livres. Des versions perdues, mais certainement pas pour tout le monde, et qui, sans doute voyagent, immobiles, dans le temps, dans la nuit d'un coffre. À moins que Destouches, pas encore Céline, ne les ait détruites à mesure. Ou les ait pliées en une flottille de petits bateaux lancés sur la Seine, ou dans la mer sur le Grand Bé à Saint Malo, depuis la tombe de Chateaubriand, sinon à Dieppe, au bout de la jetée. Que le vent les porte jusqu'en Amérique.
Et il y eut aussi, ensuite, des dactylographies successives, dont les tapuscrits sont pour l'heure secrets.
Cette version manuscrite, par des voies qui restent bien mystérieuses, est parvenue au bout de la nuit de sa rétention jalouse par un collectionneur.
Elle coûta la bagatelle de 12 millions à l'État qui en fit la préemption lors de sa vente surprise.
Trésor national !
Patrimoine !
Seuls quelques chanceux ou quelques assermentés avaient le droit depuis dix ans de la contempler, avec des gants blancs, eux.
La voici aujourd'hui entre nos mains, même trop lourde pour elles : il faut poser ses 4 kilos annoncés sur une table solide, ou un lutrin, pour la lire. Elle fatiguerait trop, sinon, son homme.
Mise à la portée de nous autres les caniches, qui en frétillent, jappent, s'en pourlèchent, s'en goinfreront.
Voilà de l'inconnu, qui occupera nos insomnies durant au moins mille nuits.
Non, ceci n'est pas le Voyage.
Je disais : son fantôme.
Son état transitoire avant la mutation définitive.
L'une de ses mues.
Ce n'est donc pas un "livre", mais le rêve d'un livre.
On mesure la chance de pouvoir déchiffrer ce millier de pages griffonnées d'une écriture changeante, dont la météorologie donne assez l'image des états contradictoires, si intenses, que traversa l'auteur. Cette graphie danse, tour à tour légère, virevoletante, frénétique, appuyée, minuscule, tout à coup énorme. C'est de l'herbe, noire, comme celle des cimetières perdus. Affolée par des vents qui sont des essaims d'âmes invisibles. Ça et là rougoie comme coquelicot une interrogation de la dactylo, au crayon écarlate. Ah quel beau manuscrit ! Quelle calligraphie, tracée "au nerf". C'est, oui, vraiment ce que l'Autre Appelé Arthur, celui sans qui Céline n'aurait pas connu telle inspiration à pondre à son tour à la fois ses Illuminations et sa Saison en enfer, appela le clavecin des prés, animé par la main d'un Maître.
Quant à la numérotation, elle est de la main du collectionneur Biniou.
Le seul qui ait osé, après la dactylo, porter la sienne sur ce saint suaire de papier.
Et puis il y a d'emblée cette inversion des personnages de Bardamu et d'Arthur.
On va lire, on va bien voir.
Que de palpitations promises par ces aventures dans l'inconnu, quand on a lu déjà tant de fois le Voyage, et dans toutes ses éditions : de la Denoël originale qui vaut la peau du cul à celle en Folio dont le brochage perd ses feuillets comme du vulgaire PQ d'autrefois, en passant par la mouture fameuse Livre de poche, qui a tenu le coup depuis des dizaines d'années, et celle dans La Pléïade, qui tue les yeux.
De quel autre auteur les manuscrits nous importeraient autant ?
Même Rimbaud, dont la lecture dopa tant Céline, aura suscité moins d'excitation. On ne se jette pas des nuits entières sur les fac-similés des Illuminations et de la Saison, qui pas cher payés restent bien rangés sur les rayons.
Et tous les brouillons de Flaubert, numérisés en haute définition, plus nets que les galaxies d'Hubble, certes on est bien content d'y jeter un œil de temps à autre, mais ils ne vaudront jamais le petit volume "Lemerre" de Bouvard et Pécuchet, guère plus gros qu'un paquet de Gauloises, et que je trimballe toujours dans ma musette.
Quant aux contemporains, même les plus géniaux, si jamais il en surgit un ou deux, en ces temps tout de même d'apocalypse imminente, leurs disques durs ou la clé USB de leur cloud risquent de s'avèrer moins sexy.
Pour prétendre désormais avoir lu le Voyage, il faudra avoir fait la lecture comparée avec ce manuscrit du diable.
Nul doute que cette parution miraculeuse poussera au crime les commentateurs qui à leur tour pondront des tonnes de gloses, lesquelles s'ajouteront aux myriatonnes déjà produites.
Qui aura fait couler plus d'encre que Céline ?
Mais qui aura fait couler tant de larmes ?
De vrais chagrins et de vrai rire !
À une époque où chaque semaine on vend sur eBay et le bon coin ou dans l'arrière-boutique de librairies dites d'ancien un squelette de Bébert de plus garanti déterré à Meudon, des thermomètres garantis enfoncés par le Docteur Destouches lui-même dans le fondement de l'époque sinon l'"anu" de cette momie, la Littérature; où se fourguent des clébards garantis descendants de Bessy, des vrais Voyage "Denoël" avec fausses dédicaces à Sarkozy; des pelures et gilets mités avec ADN certifié pur Céline; des Bagatelles format eBook retapés et enrichis par de vraies ordures ayant appris l'orthographe et le français dans les rangs des milices "pur porc"; à une époque où les reliques de cet ennemi public, de ce diabolisé majeur, sont aussi courues que les vrais morceaux de la fausse croix, ce sublime fac-similé de son manuscrit, impeccablement édité, et sans un gramme de glose ajouté, brut de brut, s'impose comme la seule excentricité fétichiste que se payeront ses vrais lecteurs.
Que dirait-il, Ferdinand, alias Satan, de nous savoir en train de nous pencher, indiscrets couillons médusés, à la loupe sur ses brouillons ?
Peut-être se demanderait-il qui a pris, de nos jours, sa relève d'horrible travailleur, où peut bien se trouver le Céline d'aujourd'hui, car enfin, il faut bien en convenir, à moins qu'il ne se cache impeccablement en ces temps d'incognito impossible, il n'y en a point.
C'est d'ailleurs pourquoi, faute de contemporain aussi efficace et excitant, on en revient toujours à relire l'increvable, inusable, inimitable Voyage.
Qui dit mieux ? Personne !
On ne manque pourtant pas de grandes gueules.
Et les écrivains pullulent désormais par millions, rien que dans ce pays le plus con du monde.
Maintenant qu'on en a deux, de Voyage, ce sera encore pire. Si un nouveau Céline surgit enfin pour de bon, alors il se devra d'être encore deux fois plus fort. Et sans faudra-t-il qu'il les écrive en direct, ses brouillons, lui. Comme un infernal feuilleton, en ligne.
N'est-ce pas là un chouette challenge ?!? Pour sûr on ne se bousculera pas au portillon pourtant grand ouvert de cette gloire : il n'y a plus personne pour prendre les commandes du métro émotif.
L. W.-O.
Saluons donc à la fois l'initiative délectable et le travail impeccable des Éditions des Saints-Pères.
Je ne sais si il reste encore quelques exemplaires de cette édition originale.
On peut commander directement ce coffret (expédié rapido dans un colis à l'épreuve des brutes de la Poste nationale), ainsi que sur Amazon.
J'ai cru comprendre qu'un deuxième tirage était en cours d'impression.
Ceux qui n'auront pas profité de l'occasion le regretteront peut-être bientôt.
Alors il ne faudra pas venir pleurer, et ce sera tant pis pour eux. Qu'on ne compte pas sur moi pour que je prète mon exemplaire ou fasse des photocopies.
1 commentaire:
Cher Monsieur,
J'ai eu les mêmes émotions à la réception du mien, cadeau d'un de mes fils.
Je me suis empressé de lui en faire cadeau à mon tour. À ma mort.
Je continue, machette en main, à tailler dans votre jungle étourdissante.
Je reviendrai bientôt sur certains de vos sentiers.
Merci merci merci.
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