" Dans ma famille, les animaux  domestiques n'étaient ni des chiens, ni des chats, ni des oiseaux; dans  ma famille, les animaux domestiques, c'étaient les pauvres. Chacune de  mes tantes avait le sien, personnel et intransmissible, qui venait chez  mes grands-parents, une fois par semaine, chercher, avec un sourire  reconnaissant, sa ration de vêtements et de nourriture.
Outre  qu'ils étaient incontestablement pauvres (si possible pieds nus, pour  pouvoir être chaussés par leurs maîtres; si possible en haillons, pour  pouvoir porter de vieilles chemises qui échappaient ainsi à leur destin  naturel de chiffons; si possibles malades, afin de recevoir un tube  d'aspirine), les pauvres devaient avoir d'autres caractéristiques  indispensables : aller à la messe, faire baptiser leurs enfants, ne pas  boire, et, surtout, demeurer orgueilleusement fidèles à celle de mes  tantes à qui ils appartenaient. Je crois revoir un homme couvert de  somptueuses guenilles, ressemblant à Tolstoï y compris dans la barbe,  répondre, outré et superbe, à une de mes cousines distraites qui  nsistait pour lui offrir un pull dont aucun de nous ne voulait : 
— Je ne suis pas votre pauvre; je suis le pauvre de Mademoiselle Teresinha.
Le pluriel de "pauvre" n'était pas "pauvres". Le pluriel de "pauvre", c'était "ces gens-là". (…) "
Antonio Lobo Antunes, extrait de Nos pauvres, 
traduction Michèle Giudicelli, 
chronique parue dans 
La Main de singe 
N° 11 & 12
1994 
Rappel : plusieurs volumes des Chroniques d'Antonio Lobo Antunes 
ont été publiés par Christian Bourgois
comme la plupart de ses livres .
vidéos :
" UN LIVRE DOIT ÊTRE UNE JOIE…" 
Antonio Lobo Antunes à la rencontre de ses lecteurs,
en 2008, MJC de Bobigny
par MC93Bobigny.

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