mardi 10 mai 2011

Pour saluer Armand Robin

Armand Robin écoutant le poste


Bulletin d'Armand Robin, du 25 janvier 1956 / click to enlarge


Video : Armand Robin en 1960, dans l'émission En Français dans le texte

Le hasard m'a fait retomber l'autre jour sur le petit texte ci-dessous dans le bordel de mes paperasses. Cette "fable" qui évoque Armand Robin date de 1977. 

" Je mangeais des lentilles
en pensant à Robin
à sa restaurantière
qui m'en bouchait un coin

Je n'avais pas ses livres
De lui je ne savais rien
Un million de lentilles
abondaient dans l'assiette
Je picorais de la pointe
d'un couteau d'assassin
puceau de belles victimes
tout ce trésor tombé
d'une boite Cassegrain
l'oreille collée au poste
pour les jeux d'Europe 1
(Fallait pas avoir faim !) "

J'y faisais allusion à son singulier poème La Restaurantière qui, effectivement, m'en bouchait et m'en bouche toujours un coin, et en bouche un coin aussi à des lecteurs qui ont grand goût comme Patrick Reumaux.

" LA RESTAURANTIÈRE

La restaurantière avait belles arcades
Sourcilières; ses cils parlaient sans ambassade.

Elle m'a vu entrer, a pensé : "Il va manger !"
Et même elle m'a dit : "Il faut manger !"
Et moi, j'avais envie de la regarder.

Elle osa me servir un mets très abondant;
Je devais manger, lentille par lentille lentillement
Quelque chose qui s'appelait comme un escalopement.

Ce manger c'était comme un escaladement
Et moi j'écrivais un poème lentille par lentille, lentillement,
Sur la restaurantière que je regardais restaureusement… "

Je pense toujours à Robin avec une grande émotion, mêlée de gratitude et de tristesse. 
Gratitude pour l'excitation éprouvée à sa lecture inoubliable, très jeune, et sa forte leçon de méfiance à l'égard de tout baratin. 
Gratitude pour l'excitation à la découverte de ses Bulletins, intitulés LA SITUATION INTERNATIONALE D'APRES LES RADIOS EN LANGUES ETRANGERES, dactylographiés (6 à 8 pages) et ronéotés à 35 exemplaires, dans lesquels il donnait les résultats de ses écoutes nocturnes de tous les postes radios du monde sur sa vieille TSF. Il eut des abonnés prestigieux. Leur émulation m'anime encore : j'ai toujours à portée de main depuis 40 ans mes vieilles radios et mes vieilles machines-à-écrire. Un simple clavier déglingué peut donc servir à tenir tête à tout le monde du mensonge ! Cela je ne l'ai pas oublié.
Et comme autrefois je reviens sans cesse à Ma Vie sans moi et Le Temps qu'il fait, La Fausse Parole et autres recueils de chroniques radiophoniques, ses traductions de poètes rares. 
Tristesse quand je songe à sa mort inexpliquée, chez les flics, en  mars 1961. 
Tristesse aussi quand je me dis que nous sommes si peu nombreux à le lire.
Tristesse enfin quand on se souvient de la difficulté à éditer les milliers de papiers inédits retrouvés chez lui après sa disparition.

" En de très vieux temps, où je parus exister,
On prétendit m'avoir rencontré.
Me faufilant à rebours dans les âges,
J'ai empoigné, secoué les années où je fus dit en vie,
Attendant qu'en tremblotement de poussière mon avant-vie ait dansé
J'ai dansé dans la poussière toutes les danses de l'avant-vie
Je ne rendrai pas compte de la vie
Qu'on dit avoir été ma vie.
Abusivement inséré en vie,
Contre toute mon évidence à partir de 1912 je fus dit en vie.
On établit contre moi des constats de présence
Je fus pris en flagrant délit de vie.
Telle est la légende bien établie. "

 L. W.-O.


"Je m'écorche dans les nuits"
 
" (…) Traversé de mondes bruyants, appelé par tous les cris, je m'écorche dans les nuits ; avec les mélodies d'après minuit je trompe les ombres ; les nuages qui passent la nuit sous le ciel sont désormais composés de cris humains qui attendent de tomber et se meuvent obscurément en des règnes que fréquentent des oreilles qui n'entendent plus.
Et le cours des astres, entre minuit et l'aube, ne me semble plus charrier que des cris éphémères et fragiles ; et quand ces cris parviennent à leur point le plus frêle, alors sur la pointe la plus tremblante du monde d'à présent, je dors un instant ; je prends pour oreiller ce qu'il y a de plus flottant au monde et ma vie, avant que viennent les rêves, tangue de songes.
Deux heures après, je retrouve un monde au repos, un monde d'avant le monde, un monde encore innocent de mots. Les récits des faux drames auront beau recommencer, un grand instant, deux heures avant l'aube, se passera avant que les premiers mensonges de la fragilité humaine reparaissent."  

Armand Robin

 Armand Robin vu par Cioran

Son ami Cioran l'évoque à plusieurs reprises dans ses Cahiers
 "J'ai demandé un jour à Armand Robin pourquoi il ne traduisait pas Tchouang-Tseu. Il me dit qu'il le ferait peut-être un jour, qu'il le considérait comme le plus grand poète qui fut jamais.
— À quoi le compareriez-vous ?
— Aux paysages dénudés du nord de l'Écosse. C'est ce qu'il y a de plus beau au monde, ajouta-t-il.
Je lui ai dit que je les connaissais. Il en parut ému."
(…)
Lu un article sur Armand Robin où on disait qu'il parlait trente langues. Or les langues qu'il avait apprises, il pouvait les lire mais n'en parlait aucune. Il m'a avoué un jour qu'il était incapable de s'exprimer en un autre idiome que le français. En réalité il ne connaissait pas toutes ces langues mais il avait une merveilleuse faculté de les deviner. "

Armand Robin vu par André Reybaz

André Reybaz eut l'occasion d'assister chez lui à une séance d'écoutes radiophoniques :
Une forêt vierge, pas de lianes, de fils électriques. Ça pend, jaillit, s'entremêle, se raccorde de partout, se branche sur des avalanches de radios de toutes époques. Le moindre court-jus on est fin grillés. Je n'ose bouger. (...)
La cuisine, elle est parfaite pour  les écoutes radio, les plus clandestines: on peut les faire gueuler, jamais repéré! Du capitonné soigné, et recherché, quel camaïeu de noir. je pousse mon doigt contre un mur, j'arrête vite. je le regarde mon doigt, loin du nez, consternant, jamais je ne réussirai à le ravaler. (...)
Il sourit :
- Ecoutons Moscou, voici l'heure...

- Hélas, je n'entends pas le russe.

- Préfères-tu Sumatra ?

Il se casque, tourne des boutons, s'impatiente, se fige respectueux, puis éclate de rire, devient cramoisi:

- Menteurs! Porcs à cinq queues! Fourmis crasseuses Ah ! Ah !

Il ne peut plus respirer. Il suffoque. Tape du talon, frénétique. Il s'arrache les écouteurs.

- Banal ce soir. La routine. Rien à signaler. 
(extrait de Têtes d'Affiche, éd La table Ronde, 1975 )

 Armand Robin par Georges Perros

« …et le très cher Armand Robin
(que je retrouvais tous les soirs
à Meudon nous mangions ensemble
et je m'effarais de ces yeux
n'en finissant pas d'être bleus
où tremblait souvent une larme
de ses mains faites pour tuer
tous les taureaux de la bêtise
D'autres s'étonnaient de sa mise
Après quoi on me demandait
qui est ce type mal rasé
vous avez de drôles d'amis
Je m'en allais sans rien répondre
une larme à son tour coulant
sous ma paupière Dieu quel monde) … ».

Armand Robin lu par Jean-Luc Godard


ennuagé from NO BLUES on Vimeo.
texte d'Armand Robin, lu par JLG, musique de Erwan Courtel.

Armand Robin, anarchiste de la grâce
France-Culture, par Roger Dadoun
Les Chemins de la connaissance
émissions diffusées en octobre 1989








Armand Robin par Gérard Meudal
(Libération)

Cliquer pour lire

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BONUS

On visitera le site consacré à Armand Robin : armandrobin.org/. Animé par Jean Bescond, il recèle des éléments biographiques, quelques documents, des pistes et une bibliographie.
On trouvera sur l'épatant site LES AVANT DERNIÈRES CHOSES, la lettre d'Armand Robin à la Gestapo, ainsi que les fichiers téléchargeables de L'Atelier de Création radiophonique de France-Culture de 1985, Le Monde d'une voix et des Chemins de la connaissance que je donne ci-dessus selon une autre source. On en profitera pour fouiller les archives de ce riche site bourré de raretés.

Ses lettres inédites des années 30 et 40 à Jean Guehenno et Jules Supervielle ont été publiées en 2006 par l'excellent librairie-éditeur La Nerthe, sans guère d'écho. Raison de plus pour faire un peu de publicité à ce recueil qui remue son homme.

Visite chez Armand Robin, dans la ferme de son enfance, par Guy Darol.

Armand Robin, anarchiste de la grâce, par Roger Dadoun.



2 commentaires:

C.C. a dit…

Le "vilain bœuf nivernais" est tout à fait de circonstance — alors même que d'aucuns l'érigent en veau d'or... Il est infiniment préférable de préserver de l'oubli le nom d'Armand Robin.

Anonyme a dit…

Armand Robin était paysan, breton, breton, polyglotte, anarchiste, seul et pauvre.
Armand Robin assure le quotidien de plusieurs hagiographes qui ont pour but de lui retire une partie de son être.
Armand Robin était paysan, breton, breton, polyglotte, anarchiste, seul et pauvre, l'oublier ses méconnaitre AR.