J'ai reçu l'autre jour Mes Amis d'Emmanuel Bove, alors même que je m'apprétais à aller l'acquérir. J'en étais impatient depuis que j'ai découvert l'annonce de sa reparution. Pour Bove, je suis prêt à tout, même sortir en ville, même aller dans ce qu'ils osent encore appeler une librairie. C'est tout dire !
Je ne m'attendais pas à ce cadeau de l'épatant éditeur, ce fut une belle surprise. Il ne l'a pas accompagné d'un baratin ronéoté d'attaché-de-presse sandwiché à la diable dans l'ouvrage, comme l'eût fait la concurrence, mais, comme chaque fois qu'il m'adresse un livre, d'un vrai courrier, à l'ancienne, oui à la main, et qui ne s'adresse qu'à moi. Cette attention le distingue. Le fait est si rare que je le révèle sans vergogne, car il montre que ce qu'on appelle littérature reste plus que jamais, non une affaire de transaction commerciale, mais avant tout de signes fragiles émis entre individus singuliers.
J'ai lu déjà Mes Amis nombre de fois, depuis des dizaines d'années. Et dans ses différentes éditions et rééditions (je les ai toutes, avec une affection particulière pour l'originale). J'ai donc aussitôt attaqué une relecture dans la belle version des vengeurs arboricoles.
À chaque relecture, les livres les plus forts nous font la surprise sublime de se révéler sous un autre jour, et de s'avérer encore plus forts, encore plus surprenants. Leur singularité s'affirme encore plus nettement, qui fait tout le prix de notre attachement et de notre chance inouie de les lire. Et par constraste avec l'évidence de leur exception miraculeuse, ils font apparaître le reste de la production éditoriale comme un attentat contre le goût et la délicatesse, et, il faut bien le dire, comme une pure saloperie : une répugnante emmerdation, ainsi que dirait ma mémé de la montagne.
Toute la rentrée littéraire et les myriatonnes de connerie de sa masse d'offices ne sont strictement que de la merde, chaque fois plus puante encore que celle de l'année d'avant, ne valent rien par comparaison avec ce seul et si fragile mais increvable récit d'Emmanuel Bove : Mes Amis. Et s'il résiste tant à être confondu avec la concurrence excrémentielle des gondoles, c'est que ce petit bouquin n'est en rien une désuète bluette : mais l'un des plus féroces ouvrages jamais écrits à propos de la grotesque et immonde comédie des hommes.
Sa cruauté comme sa crudité tranchent avec le déluge de la mièvrerie et du sentimentalisme de la production littéraire contemporaine, avec sa connerie effarante et son écœurant cucul-la-prâline. En regard de Mes Amis, comme de la moindre ligne de Bove, tout ce que pondent les milliers de romanciers français contemporains se révèle l'œuvre d'autant de puceaux de la vie, donc de puceaux tout court.
Romanciers à la con, écrivaines à la mord-moi-le-nœud, mollassons neuneus, merdiques cuculs, horripilantes connasses, rampants carriéristes, verbeux poltrons, stupides plagiaires, vaniteux graphomanes exorbités ! eussiez-vous lu Mes Amis que, peut-être, vous vous seriez abstenus d'ajouter à votre graphomanie démentielle ?!?! Pour qui écrivez-vous au juste ? Qu'est-ce que la littérature à vos yeux de parfaits crétins insensibles et simulateurs en diable ? Mes Amis est un livre dangereux pour vous et votre misérable commerce : s'il vous reste encore un ou deux nerfs et quelques synapses et un coeur pas entièrement minéralisé, sa lecture risque de vous faire définitivement fermer votre grande gueule. De honte.
J'ai lu déjà Mes Amis nombre de fois, depuis des dizaines d'années. Et dans ses différentes éditions et rééditions (je les ai toutes, avec une affection particulière pour l'originale). J'ai donc aussitôt attaqué une relecture dans la belle version des vengeurs arboricoles.
À chaque relecture, les livres les plus forts nous font la surprise sublime de se révéler sous un autre jour, et de s'avérer encore plus forts, encore plus surprenants. Leur singularité s'affirme encore plus nettement, qui fait tout le prix de notre attachement et de notre chance inouie de les lire. Et par constraste avec l'évidence de leur exception miraculeuse, ils font apparaître le reste de la production éditoriale comme un attentat contre le goût et la délicatesse, et, il faut bien le dire, comme une pure saloperie : une répugnante emmerdation, ainsi que dirait ma mémé de la montagne.
Myriatonnes de connerie
Toute la rentrée littéraire et les myriatonnes de connerie de sa masse d'offices ne sont strictement que de la merde, chaque fois plus puante encore que celle de l'année d'avant, ne valent rien par comparaison avec ce seul et si fragile mais increvable récit d'Emmanuel Bove : Mes Amis. Et s'il résiste tant à être confondu avec la concurrence excrémentielle des gondoles, c'est que ce petit bouquin n'est en rien une désuète bluette : mais l'un des plus féroces ouvrages jamais écrits à propos de la grotesque et immonde comédie des hommes.
Sa cruauté comme sa crudité tranchent avec le déluge de la mièvrerie et du sentimentalisme de la production littéraire contemporaine, avec sa connerie effarante et son écœurant cucul-la-prâline. En regard de Mes Amis, comme de la moindre ligne de Bove, tout ce que pondent les milliers de romanciers français contemporains se révèle l'œuvre d'autant de puceaux de la vie, donc de puceaux tout court.
Romanciers à la con, écrivaines à la mord-moi-le-nœud, mollassons neuneus, merdiques cuculs, horripilantes connasses, rampants carriéristes, verbeux poltrons, stupides plagiaires, vaniteux graphomanes exorbités ! eussiez-vous lu Mes Amis que, peut-être, vous vous seriez abstenus d'ajouter à votre graphomanie démentielle ?!?! Pour qui écrivez-vous au juste ? Qu'est-ce que la littérature à vos yeux de parfaits crétins insensibles et simulateurs en diable ? Mes Amis est un livre dangereux pour vous et votre misérable commerce : s'il vous reste encore un ou deux nerfs et quelques synapses et un coeur pas entièrement minéralisé, sa lecture risque de vous faire définitivement fermer votre grande gueule. De honte.
Cet homme sut dire l'irrémédiable solitude et déambule comme un gagman dans l'atroce comédie sociale où il est d'autant moins à sa place qu'il n'en cherche pas ou fuit celles qu'on veut lui faire. Dès Mes Amis, comme à la fin dans Le Piège, Départ dans la nuit et Non Lieu, entre autres romans si tragiques et si burlesques, Bove ose pousser ces autoportraits à peine déguisés jusqu'à se montrer sous l'espèce exaspérante de la tête-à-claques. Quelle élégance qu'ainsi désespérer les bonnes âmes et décourager jusqu'à ceux-là même qui consentent enfin à jouer le jeu ou veulent bien l'aider à se tirer d'affaire !
La farce de l'amitié
Cet homme dit toute l'impossibilité de l'amitié (et séduisit donc le jeune Beckett qui en dit tant de mal dans son Proust) et toute la bêtise d'une obstination de sa quête. De fait, il s'impose dès qu'on le lit comme l'ami de tous ceux qui s'abstiennent de croire en sa possibilité, sauf miraculeuse, car ils savent depuis toujours ou, cruellement, ont fait l'expérience si amère de son illusion. Il y a certes des exceptions, si rares dans toute une vie !, mais elles confirment cette évidence.
Avec Mes Amis, son premier livre, écrit pour échapper à la misère fatale et se venger de l'enfer de l'existence, Emmanuel Bove prend souverainement la parole et s'impose d'emblée comme un grand auteur tragique, c'est-à-dire comme un grand burlesque, qui n'est pas sans évoquer Harry Langdon jusque dans sa dégaine ahurie, économe de ses mots, ennemi de tout tralala verbal et de toute esbroufe comme de toute escroquerie morale. Bien avant cet autre cruel impitoyable qui écrira Le Voyage au bout de la nuit. Jusqu'à sa disparition précoce (lire la biographie de Bove tire des larmes !), il ira toujours plus loin dans ce ton désarmant où la vie se fait entendre comme jamais avant lui.
C'est la voix d'un seul homme car la voix d'un homme seul.
"Il n'y a pas de sujet, il n'y a que ce qu'on éprouve…" dira-t-il laconiquement un beau jour à propos de son écriture si singulière, que l'on reconnait dès les premiers mots.
N'espérez aucune consolation
En ces temps où toute la planète succombe au délire cybernétique de l'amitié et des réseaux sociaux alors même que l'étripage et la férocité des bipèdes sublunaires battent des records tant verbaux que sanglants, ce petit livre, qui peut être lu en une heure ou deux, impressionne et émeut d'autant plus qu'il ne dit qu'une chose : n'espérez aucune consolation, aucune solution, aucune rédemption. Vous serez toujours le dindon de cette farce qu'est votre existence, la proie des cons et des profiteurs, ce pauvre type, à jamais seul, qui trottine apeuré, de gags en catastrophes, jusque dans le trou final.
Les auteurs les plus forts et les plus irréfutables ne disent que cela. Dès Mes Amis, Bove rejoignit d'emblée ce Club des Incomparables, et c'est pourquoi je le range, toujours à portée de la main, sur le même rayon et le même plan que Céline et Shakespeare, Cioran et Thomas Bernhard, Bukowski et autres vengeurs de haute volée.
Je méprise qui méprise Bove. Et qui persiste à l'ignorer, à son tour je l'ignorerai avec persistance.
Les auteurs les plus forts et les plus irréfutables ne disent que cela. Dès Mes Amis, Bove rejoignit d'emblée ce Club des Incomparables, et c'est pourquoi je le range, toujours à portée de la main, sur le même rayon et le même plan que Céline et Shakespeare, Cioran et Thomas Bernhard, Bukowski et autres vengeurs de haute volée.
Je méprise qui méprise Bove. Et qui persiste à l'ignorer, à son tour je l'ignorerai avec persistance.
L. W.-O.
Emmanuel Bove, Mes Amis,
éditions de L'arbre Vengeur
- PRÉFACE DE JEAN-LUC BITTON
- POSTFACE DE JEAN-PHILIPPE DUBOIS
- ILLUSTRATIONS DE FRANÇOIS AYROLES
BONUS :
Feuilleter le livre sur le site de L'Arbre Vengeur
Pour d'autres tuyaux, des liens, une video et des images on pourra consulter mon précédent billet de juillet dernier sur Bove (où l'on pourra lire dans les commentaires un savoureux et inédit souvenir d'amour de Frédéric Schiffter !!!!) :
TÉMOIGNAGE
"J'attends, j'attends… Je ne sais pas ce que j'attends. J'attends bien sûr, peut-être, de rentrer, mais je ne sais pas."
Le témoignage de Jean Gaulmier,
écrivain et directeur de Radio-France Alger
TÉMOIGNAGE
"J'attends, j'attends… Je ne sais pas ce que j'attends. J'attends bien sûr, peut-être, de rentrer, mais je ne sais pas."
écrivain et directeur de Radio-France Alger
" Un jour, très exactement le 19 septembre 1944, j'entre dans un bistrot que fréquentaient beaucoup de Français, la Taverne Alsacienne. Le restaurant était plein, c'était midi. Toutes les places étaient prises. Au fond de la salle, longue et étroite, seule une place sur une chaise restait vacante. Je demande au petit bonhomme qui était assis de l'autre côté de la banquette, s'il accepte que je prenne place devant lui. "Mais volontiers" me répond-il en se levant et en se présentant :
"— Emmanuel Bove".Alors, je lui dis :
"— Emmanuel Bove".Alors, je lui dis :
"— Eh bien... Jean Gaulmier.
— C'est vous qui faites tous les jours une émission à la radio?
— Oui, c'est moi. Et vous êtes Bove, mais Bove... le Bove de La Coalition ?
Alors là, il y a eu un sourire, dans cette figure pâle et maigre, un sourire que je n'oublierai jamais, un sourire à la fois satisfait et, en même temps, un peu triste:
— Vous avez lu ça ?"
Il m'écoutait et ne disait rien. Il avait l'air étonné d'avoir eu des lecteurs jusqu'en Syrie. Il était attablé devant une carafe d'eau et des pieds de mouton, c'est-à-dire une assiette pleine d'os.
"Si vous permettez, lui dis-je, moi je me nourris au vin rouge, nous allons partager une bouteille de Mascara."
Il a alors levé les bras au ciel:
— Ah. vous, vous êtes costaud!
— Que faites-vous ici? lui ai-je demandé.
—J'attends, j'attends... Je ne sais pas ce que j'attends. J'attends bien sûr, peut-être de rentrer, mais je ne sais pas."
Je voyais à son allure qu'il était dans une profonde tristesse : "Si vous voulez, vous devriez venir parler à la radio, je pourrai vous obtenir une chronique.
— Ce n'est pas la peine, me répondit-il. Merci. Et puis, vous savez, je ne sais pas parler en public...
Là, j'ai reconnu l'auteur de La Coalition.
"Vous savez, je suis un ami. Voilà quinze ans que je suis dans votre univers et que je m'y trouve très bien.
— Drôle d'idée, me répondit-il. Drôle d'idée..."
— Drôle d'idée, me répondit-il. Drôle d'idée..."
Voilà, tout ce que j'ai eu comme réponse de Bove. Je ne sais de quelle drôle d'idée il parlait, mais il y avait ce sourire inoubliable dans une figure maladive. On sentait l'homme au bout de ses forces. Bove fait partie de ces rares écrivains, très rares, qui ont créé un monde, un univers bien à eux, et lorsqu'on fait l'effort de pénétrer cet univers, on en est récompensé. Cet univers est une valeur sûre, parce que c'est l'univers de la sincérité. Ce qu'on cherche dans un livre, ce n'est pas des phrases, ce n'est pas des cadences; ce qu'on cherche, c'est un homme qui sache parler aux hommes. Ce sont ceux-là qui font la vraie littérature."
Jean Gaulmier
2 commentaires:
C'est un étrange plaisir que de se faire engueuler par vous. Votre colère, votre mépris, votre silence, votre oeil, que l'on imagine volontiers noir et furieux, tout cela possède un charme. A de la tenue. Vous savez comme personne remettre les pendules des cons verbeux - dont je suis - à l'heure de leur néant. Quel calme ... Merci.
"Mes amis", je l'ai lu il y a 30 ans, dans une chambre de bonne triste et sombre, peu après une séparation définitive, me croyant seul au monde, et puis j'ai rencontré Emmanuel Bove.
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